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Pourquoi le revirement de l'Allemagne vis-à-vis des Eurobonds et de la BCE ?

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Nombre de commentaires : 2 réactions
Cet article fait suite à mes précédents articles de début Mai.

A l'époque:
  • La Cour Suprême allemande mettait en demeure la BCE de prouver la légalité d'actions de quantitative easing depuis 2017.
  • En parallèle, l'Allemagne s'opposait fermement à la création d'Eurobonds, à la raison que ces Eurobonds engageraient l'Allemagne, sans que le gouvernement national élu puisse avoir un réel contrôle.

En parallèle, l'on voit récemment fleurir des déclarations telles que:


« La politique monétaire doit soutenir les politiques budgétaires expansionnistes des États membres, explique le secrétaire d’État italien M. Riccardo Fraccaro dans une interview. Cela pourrait conduire à annuler la part des dettes souveraines contractées pendant la pandémie ou à étendre perpétuellement leur maturité. »

M. Bruno Le Maire envisage d’isoler 150 milliards d’euros pour créer une "dette Covid" à part. Son remboursement pourrait être financé par l’allongement de la CRDS qui devait être supprimée en 2024. Le ministre de l’économie et des Finances envisage donc un échéancier s’étalant jusqu’en 2042, et c’est pourquoi des bébés nés aujourd’hui seront mis à contribution pour payer les emprunts Covid sur les premiers salaires de leur vie active...

et http://www.andrechassaigne.fr/2020/09/exigeons-l-annulation-de-la-part-des-dettes-publiques-detenue-par-la-bce.html




Ainsi, non seulement la demande de la Cour Suprême a fait flop, mais l'Allemagne a donné son accord aux Eurobonds.

Pourquoi ce revirement à 180°?


A mon sens, il y a quatre explications possibles:

  1. l'Allemagne adhère vraiment à la vision que le salut passe par l'Europe et la BCE.
  2. la classe politico-financière allemande a des intérêts qui priment sur les intérêts du pays.
  3. l'Allemagne ne veut pas apparaître comme la désintégratrice de la zone Euro, voire de l'UE
  4. le gouvernement allemand considère que la situation est irrattrapable de toute manière, alors autant en tirer profit pendant que cela dure. Pourquoi dès lors laisser les autres se goinfrer seuls?

La première raison est peu probable.

L'accord d'émission d'Eurobonds a été donné du bout des lèvres. Les politiques allemands ne sont pas montés au créneau devant leur opinion publique pour soutenir cette mesure.

Dans sa globalité, la classe politique allemande reste fermement opposée à une perte de souveraineté supplémentaire.
D'autant plus avec la crise du COVID.
La réponse des autorités locales a conduit à deux à quatre fois moins de morts que chez les voisins et à entre 2 et 4% de perte de PIB en moins.


Un mix des trois autres raisons me semble l'explication.

L'Allemagne semble laisser 
le sale boulot de veto à de petits pays non menaçants (en échange d'une place dans une future zone économique ?). C'est bien pratique pour ne pas apparaître comme l'hégémon européen, avec au final le même résultat.


Par ailleurs:
  1. Les banques systémiques allemandes ne sont pas en meilleure posture que les autres en Europe.
  2. Le gouvernement et les banques allemandes ont prêté/prêtent énormément d'argent aux autres pays d'Europe; argent qui sert à acheter des produits allemands en retour. 
Si les créanciers européens ne devaient pas pouvoir rembourser, ce serait non seulement une perte sèche pour l'Allemagne, mettant en péril ses banques, mais aussi un tarissement de la demande à l'export. (L'export représente 40% du PIB.)


Comment atténuer / sortir de cette situation ?

1) En faisant en sorte que la BCE achète de la dette étatique allemande et finance les banques du pays, en contrepartie de l'accord d'émission d'Eurobonds.

+ Le gouvernement allemand va vendre à la BCE sa dette étatique qu'il aurait vendu à d'autres. Ce faisant, il ne change pas sa trajectoire d'endettement.

+ Les banques allemandes engrangent du cash pour se renforcer.

Si la BCE saute, l'état allemand et les banques n'ont plus à rembourser ces dettes ou alors en monnaie de singe.


2) Avec les Eurobonds, ce sera la BCE qui financera les pays du Club Med pour acheter des produits allemands.

L'Allemagne continue d'engranger des excédents commerciaux à hauteur d'environ 200 milliards d'euros par an, sans supporter le risque de défaut de prêt. Cool...


3) Emettre/renégocier des dettes à maturité infinie serait très intéressant pour les gouvernements.

Mais ce sera très difficile à mettre en oeuvre en Allemagne. Ce sera un suicide politique pour le parti en place.
Le citoyen allemand a été marqué par le "rinçage" à deux reprises en 100 ans de l'épargne populaire (dans les années 1920 et en 1948).
Un enseignement économique de base et de bons sens est encore dispensé à tous dans ce pays.
L'allemand moyen ne sera pas dupe.

Faire émettre ces instruments à Bruxelles serait doublement intéressant:
  • pour le bénéfice court terme à en tirer, sans en supporter le coût politique
  • pour montrer en temps utiles que tout cela est bien de la faute d'une BCE devenue incontrôlable et qu'il faut sortir de l'Euro.

Conclusion:

Ce changement de stratégie affichée ne repose donc pas, à mon sens, sur une vision diamétralement opposée de la situation à long terme.

Comme je l'écrivais dans mon article précédent, si l'Allemagne devait accepter les Eurobonds, alors il faudrait se faire du souci. Nous y sommes.


C'est un constat d'échec par le gouvernement allemand à contrôler la BCE et à peser sur les autres pays.


La crise du COVID a un effet paradoxal. Elle renforce la crise financière, mais permet toutes les erreurs de court terme pour masquer cette réalité.

L'Allemagne ne peut s'opposer politiquement à ses voisins plus touchés qu'elle par la COVID, sans ajouter une crise à la crise et appraître comme le grand méchant insensible.

De manière pragmatique, l'Allemagne se joint au marché de dupes, pour profiter de la manne temporaire.
Elle préserve sa position dominante, sans s'opposer frontalement aux autres pays.
Le fait que la présidente de la Commission européenne - Mme. Von der Lyen - soit une proche d'Angela Merkel est un atout supplémentaire.



Ma conviction à titre personnel:

L'Euro est condamné. La France est dans une position intenable.

Expatrier le gros de son capital hors de la zone Euro me semble des plus judicieux...

Mais il est probable que les capitaux ne puissent plus circuler librement dans le futur.
Il faut donc être prêt à aller vivre dans le pays où l'on aura stocké ses capitaux.

Et c'est maintenant qu'il faut le faire.
Dans quelques temps, les pays intéressants vont se fermer sous la pression des USA, de l'Europe et/ou de la haute finance.

Idem pour l'immigration physique, de peur de devenir le refuge du monde.

Il faut donc bien choisir ce pays.
Voir Charles Dereeper pour cela.



Si ce n'est pas possible/souhaité, investir dans l'économie allemande me semble la moins mauvaise solution pour un résident fiscal français.
  • Economie forte.
  • Finances publiques plus saines et volonté de continuer à assainir.
  • Influence bénéfique de bon sens des allemands de l'Est qui ont vécu le communisme pour de vrai, eux (à commencer par Angela Merkel).
  • Proximité géographique et culturelle.
  • Un système légal proche de celui de la France. Et il restera des passerelles avec la France héritées de l'UE.
  • Hedge contre un éclatement de l'Euro: pour un français, avoir des investissements et revenus en nouveau Deutschmark et des dépenses en nouveau Franc compensera en partie la perte due à la crise.
Et s'il faut s'expatrier physiquement en Allemagne, du fait de sa démographie, il y a plus de chances que le pays reste ouvert.
L'immigrant européen sera accepté (est déjà accepté) par la population, car apportant de la main d'oeuvre manquant cruellement et ne représentant pas une menace culturelle et religieuse.


Et si je me trompais et qu'il n'y ait pas de crise?
Etre investi dans l'économie la plus solide d'Europe n'est pas une erreur.
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2 commentaires

  • Lien vers le commentaire Karl Descombes vendredi, 18 décembre 2020 11:12 Posté par Karl Descombes

    @ Gilles LERAT


    Pour l'Allemagne, je ne suis pas aussi pessimiste que Charles GAVE.

    Un argument de M. GAVE est que l'Allemagne perdra tout ce qu'elle a prêté aux autres pays européens.
    Et donc qu'elle sera à la même enseinge au finaL
    Je partageais totalement cette vision, sauf que les Eurobonds changent la donne. L'Allemagne va se faire acheter sa dette par la BCE, qui lui servira de bad bank...

    Un autre argument est que les gandes banques allemandes sont aussi fragieles que les françaises et too-big-to fail. Ca c'est un vrai problème. Cf la BCE comme bad bank.

    Un autre argument est que les grandes entreprises allemandes exportatrices, telles que l'automobile, ne sont pas les vainqueurs de demain. C'est juste, mas à modérer:
    Les dirigeants économiques en ont conscience et un basculement des investissements et forces vives est en cours. L'Allemagne a besoin de gagner du temps.
    Il y a aussi une volonté de relocatlisation industrielle naissante suite au COVID.

    En enfin, même si l'Allemagne s'en prend autant dans la gueule que la France:


    1. on part d'un différentiel de 30% ou 40 % de dette publqique/PIB entre les deux pays

    2. d'environ 2x moins de chômage

    3. et il y aura toujours le hedge du taux de change nouveau DEM / nouveau FRF en cas d'éclatement de l'Euro.

    Et je crois beaucoup dans la culture au sens large: le pays s'st redressé par deux reprises dans des conditions similaires.

    Encore une fois, la vraie solution est de sortir de la zone Euro. Auncu pays n'en sortira indemne.
    Pour ceux pour lesquels ce n'est pas possible (et j'en fais partie), l'Allemagne me semble être le moins pire.

  • Lien vers le commentaire Gilles Lerat jeudi, 03 décembre 2020 21:39 Posté par gilles lerat

    Merci pour cet article très intéressant, Karl !
    Il semble difficile d'imaginer un futur dans lequel les français ne soient pas les dindons de la farce.
    En même temps, Charles Gave pense que l'Allemagne est l'homme malade de l'Europe. Son avis est également bien documenté.