Et histoire de remettre ces prochaines élections dans leur contexte, il est nécessaire de rappeler qu’elles auraient dû avoir lieu en mars 2015 et qu’à la suite de la branlée de magnitude 9 aux municipales de 2014, le gouvernement et les parlementaires, leurs slips même pas encore secs de l’humiliation reçue, avaient donc cru judicieux de déplacer les régionales et accorder ainsi plus de temps à la fine équipe en place pour redresser le pays, assurer le retour de la croissance et récolter les fruits d’un succèsinévitable. D’où ces élections en décembre.
Évidemment, avec le bilan actuel et le succès inévitable que nos élites ont pourtant très bien réussi à nous éviter, les prévisions concernant ces élections ne donnent guère d’optimisme pour la majorité en place. C’est même plutôt la panique puisqu’on chuchote même, les yeux exorbités et la face blême, qu’un Front National survitaminé pourrait remporter la nouvelle région Nord.
Pire que tout, la région Île-de-France pourrait quitter le doux giron de la Gauche Socialiste pour rejoindre celui, forcément moins doux, de la Droite Socialiste. Et pour Claude Bartolone, c’est une mauvaise nouvelle.
Mais voilà : même si l’affaire semble très mal engagée, il ne faut pas non plus montrer qu’on s’en fiche complètement. Des militants socialistes (dont les rares qui seraient à jour de cotisation) pourraient s’en offusquer. Des sympathisants, devant le peu de motivation du Claude, pourraient trouver la pilule amère, risquer le vote contestataire et tremper l’orteil dans l’onde froide de ce lac visqueux où dort la Beuhète Immonheude. Pire, des citoyens, devant le détachement et la décontraction d’un Bartolone déjà résigné à l’échec, pourraient comprendre l’arnaque que constituent ces rendez-vous républicains en carton.
Il faut donc occuper le terrain, faire parler de soi. Et pour ça, le Claude, il sait y faire ; si c’était un moteur de voiture, ce serait même un V8, avec plein de petits chevaux nerveux empaquetés sous les cylindres et prêts à bondir, et ce serait même un VW, pollution et gaz toxiques compris.
Dès lors, pas étonnant qu’il appuie régulièrement sur le champignon (atomique) de la petite phrase médiatique, avec parfois des catapultages hors piste du bolide politicien dans les désert rocailleux de la consternation.
Frisant probablement un burn-out carabiné, le Claude a par exemple analysé récemment les soucis d’image de la région Île-De-France dont il entend — sur le papier du moins — prendre les rênes et a trouvé la raison de ce déficit : le nom de cette région n’est pas assez sexy, il faudrait donc en changer, par exemple en fourrant un petit « Paris » dedans, histoire de vendre du rêve à l’étranger. Je propose « Parisle-de-France », ça envoie du steak de caribou et c’est tout à fait à la portée d’un Bartolone au taquet dans le gadget débile dont on se demande quoi faire ensuite.
Les résultats économiques commencent à se faire sentir mais nous, nous sommes la gauche et nous ne voulons pas seulement des résultats économiques, nous sommes là pour changer le monde.Diable. Lui, comme Sapin ou Macron ou tant d’autres du gouvernement, laisse donc croire qu’il est persuadé d’un retour à la bonne fortune économique, alors que tous les mauvais chiffres s’accumulent (comme, du reste, les chômeurs aux portes de Pôle Emploi), et partant de ce constat faux, il en arrive à expliquer que le désastre produit ne suffit pas : pour lui, après avoir dévasté la France, il faut changer le monde, c’est-à-dire étendre la catastrophe au reste de la planète qui a probablement d’autres chats à fouetter.
« Il n’y a pas d’envie de Marine Le Pen présidente de la République, il n’y a pas d’envie de retour de Nicolas Sarkozy. C’est tout l’enjeu des socialistes d’apporter leur soutien au président et au Premier ministre pour donner l’envie. »« Donner l’envie », certes, mais de quoi ? On ne sait pas, mais on commence à frémir lorsqu’on se demande si, au fond, par cette phrase mal tournée, Bartolone n’a pas clairement expliqué ce qu’on observe, ce qu’on comprend de la dynamique politique du pays, et ce qu’il feint de redouter : lui comme le président et son premier ministre semblent en effet tout faire pour donner l’envie … d’aller voter ailleurs, Front National compris.
Parallèlement, le même Bartolone prétend réformer les institutions de la Cinquième République avec la maestria d’un plombier dans un orchestre philharmonique, ce qui suscite la colère de toute la droite pourtant au départ associée au projet. Il faut dire que le Claude déploie toute la délicatesse politique d’une division panzer dans une foire à la porcelaine, à tel point qu’on se demande si cette opération ne tient pas d’une sorte de moquage de visage assumé pour bien faire comprendre à tout le monde à quel point il n’en a vertement rien à carrer.
Décidément, s’il y a des observations à mener sur la Cinquième République, c’est celles de la grandeur et de la décadence d’une démocratie qui parvient, par nivellement par le bas, à pousser au pouvoir l’exact reflet des électeurs, avec tous leurs défauts et sans aucune de leurs qualités, bref des importuns à des postes importants.
À l’issue du scrutin de décembre, selon toute vraisemblance, Bartolone sera battu. Rejeté par les électeurs, aura-t-il la décence minimale d’abandonner complètement le poste qu’il occupe actuellement ? Franchement, j’en doute.