Mais ces petits prurits agaçants ne sont pas les seuls effets étranges que provoque la fermeture, ô combien progressive, des robinets d’argent public. On découvre même, au hasard de petits pamphlets internautiques au bourrichon tout remonté, que l’obligation pour certaines institutions publiques de recourir à des méthodes inventives pour trouver des fonds de fonctionnement provoque un courroux bruyant de la part d’une population d’habitude fort discrète.
Tout part semble-t-il d’un projet d’éducation artistique, le programme Génération(s) Odéon, qui vise à accompagner sur deux ans des élèves de quatrième, et en particulier des jeunes scolarisés en réseau d’éducation prioritaire, dans un parcours de découverte et de pratique théâtrale. Et comme ce programme semble bien marcher (deux classes de quatrième du Collège Jules Ferry de Maisons Alfort et du Collège Saint Vincent de Paris en font déjà partie), la direction de l’Odéon-Théâtre de l’Europe (établissement public inauguré en 1782) souhaite l’étendre à deux nouvelles classes chaque année. Pour cela, le théâtre pouvait
- vendre plus de services, d’abonnements de spectacle, de places à ses événementiels
utiliser le 50/50faire appel au public au travers d’une campagne de mécénat participatif- réclamer plus de thune à l’État.

Pour eux, pas de doute, cette nouvelle expérience du crowdfunding dans le monde feutré et balisé de la Culture est une hérésie insupportable, puisqu’il est, je cite, « le signe du désengagement des tutelles auprès de la création la plus fragile ». AAaah, la création la plus fragile, vous savez, ce petit fétu de paille précieux mais qui ne résiste jamais au moindre souffle de vent, à la moindre brise légère, à la moindre contrainte du réel et qui aurait besoin de toutes les attentions, toutes les bonnes grosses tutelles étatiques, parce que sans leur indispensable ouate moelleuse de financement, elle ne pourra jamais s’exprimer comme l’ont si bien montré les déserts culturels arides des siècles passés dans lesquels même le mécénat était malingre ! Aaaah, cette fragile création, alibi récurrent à la ponction publique de tous ceux qui n’ont jamais réussi à vivre de leur art parce que, … parce que … eh bien parce que le public n’a rien à carrer de leurs productions douteuses.

Et puis, on ne la leur fait pas, hein : nos grands brûlés du théâtre post-austérité comprennent bien que ce crowfunding truc machin, introduit-là par un directeur de théâtre au salaire sulfureux, n’est que le début d’un délitement gravissime de leurs modes de financement habituels. Les robinets publics se tarissent les uns après les autres, et ils ont bien vu qu’on leur demandait de diversifier leurs ressources. Horreur des horreurs, de fil en aiguille, il va falloir s’adapter aux demandes du public (celui qui vient, qui regarde, qui écoute, qui critique, et qui décide ou non de payer, le cuistre !).
Abomination supplémentaire lorsqu’on apprend qu’en plus, « L’entreprise est désormais la bienvenue dans tous les théâtres publics » et qu’elle en devient donc un mécène acceptable. Le Grand Capital sur nos planches ? Autant se jeter tout de suite dans les bras d’Hollywood, de risquer les succès planétaires ou un retour à ces heures les plus sombres où la Culture française, sans ministère ni subventions, rayonnait sur toute la planète. L’entreprise ??!! Mais vous n’y pensez pas, pauvre fou !!



Non, vraiment, on ne peut que comprendre le cri du cœur de nos petits minous effarouchés pour qui « le véritable financement participatif, c’est l’impôt ! », le seul à même de les dégager de toute trace de responsabilité, de toute exposition un peu rude aux contraintes du réel (produire pour un vrai public qui paye, par exemple), et de toute contingence matérielle totalement impropre à l’exercice de leur art. Parce que s’il y a bien une chose de certaine avec l’impôt, c’est son petit côté magique™, même quand il n’y a plus une thune.
