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Guy Wagner

Guy Wagner

Je suis chief economist à la Banque de Luxembourg.

Dans mon blog, je commente les derniers développements sur les marchés financiers ainsi que mes évaluations sur leur future évolution.
Ces pages s’adressent aux investisseurs dans des fonds et actions avec un certain intérêt pour les marchés boursiers.


Mon parcours

Licencié en Sciences Economiques de l'Université Libre de Bruxelles, je rejoins la Banque de Luxembourg en 1986, où je fus successivement responsable des départements analyse financière et Asset Management. Depuis 2005, je suis administrateur-directeur de BLI - Banque de Luxembourg Investments.

Déflation : une série (4ème partie)

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Dans les précédents articles de cette série, nous avons donné une description de la déflation, expliqué comment elle se crée et quelle est la différence entre la « bonne » et la « mauvaise » déflation et nous avons rappelé où et quand elle est advenue. Nous avons examiné d’un peu plus près la déflation des années 1930 aux États-Unis qui, du fait d’un endettement excessif, a abouti à la grande dépression. Dans ce contexte, nous avons abordé deux théories explicatives, le keynésianisme et le monétarisme, qui enseignent aussi comment il est possible, du moins en théorie, d’éviter des dépressions grâce à l’intervention des gouvernements ou des banques centrales.

Aujourd’hui, nous sommes prisonniers d’un environnement structurellement déflationniste à cause d’une croissance faible sur l’ensemble du globe, des surcapacités qui plombent de nombreux secteurs d’activité et des forts gains de productivité autorisés par les technologies de l’information. C’est pourquoi, au vu du stock élevé de dette dans le monde entier, nous sommes en grand danger de tomber dans la déflation par la dette, dont les conséquences économiques et sociales sont dramatiques.

Nous avions promis dans notre précédent exposé d’examiner les effets de cet environnement déflationnistesur les marchés financiers et de nous demander quelles conclusions les investisseurs devaient en tirer.

Avant d’aborder la question du comportement des diverses classes d’actifs dans un environnement déflationniste, quelques remarques préalables s’imposent.

Tout d’abord, il n’est pas certain que la situation dans laquelle nous nous trouvons aboutisse à une longue période de déflation. Il est même beaucoup plus vraisemblable que l’on n’en arrive pas là. En effet lesbanques centrales du monde entier sont conscientes de ce risque et c’est pourquoi elles suivent une politique monétaire très expansionniste. Et si, comme on l’a vu ces dernières années, cela ne suffit pas, elles recourent à des moyens non conventionnels : programmes d’alimentation des banques en liquidités à grande échelle, achat d’emprunts d’État, taux d’intérêt négatifs sur les dépôts, achat d’obligations d’entreprise, et même, au Japon, achat d’actions.

Les débats sur ce qu’on appelle « l’argent déversé par hélicoptère », c’est-à-dire la distribution de billets fraîchement imprimés aux consommateurs, peuvent certes paraître excessifs à l’heure actuelle, mais ils n’en montrent pas moins que les responsables ne reculeront pas devant des mesures extrêmes pour conjurer la menace de la déflation par la dette ou pour amortir le choc de telle sorte que ses effets économiques et sociaux restent gérables.

On n’est de plus pas certain de la durée de cette phase de déflation potentielle , de son étendue dans le monde et de ses répercussions. Il ne fait aucun doute que l’économie de la plupart des grands pays pourrait supporter un court accès déflationniste (de un à deux ans). Mais plus longtemps la déflation durera, plus forte sera la probabilité qu’elle dégénérera en déflation par la dette, laquelle pourrait provoquer une dépression. Mais même cela n’est pas certain. Le précédent du Japon prouve que même une déflation modérée sur 20 ans ne produit pas obligatoirement les effets d’une grande dépression telle que celle que les États-Unis ont connue. De même, la Suisse est en déflation depuis plus de dix ans sans que personne ne s’en soucie outre mesure.

Mais même si une longue période de déflation s’instaurait dans l’ensemble du globe, voire dans une grande zone monétaire seulement, on peut s’attendre à ce que la réaction des classes d’actifs sur les marchés financiers soit limitée.

D’une part, parce qu’elle pourrait n’avoir aucune influence sur le climat des marchés, ou que ceux-ci pourraient ne réagir que timidement à un changement aussi fondamental. Surtout, l’intervention des gouvernements ou des banques centrales, qui est motivée par des considérations non pas économiques mais politiques, peut influer fortement sur la formation des prix. En sus des achats ou ventes directs sur les marchés financiers tels qu’ils sont déjà employés, cette intervention peut revêtir d’autres formes, comme, par exemple, des restrictions sur la circulation des espèces, un contrôle des marchés de capitaux, des réformes monétaires, des réductions de dettes, des impôts exceptionnels sur certains placements tels que l’immobilier, ou même des restrictions sur la possession ou la négociation de certains types d’investissements tels que les actions, les produits structurés, l’or, les devises ou les espèces.

Si, aujourd’hui, ces mesures peuvent sembler difficilement imaginables, il convient de remarquer, d’une part, que, jusqu’à une date récente, je considérais les taux négatifs comme une mesure extrême et ne pouvais pas m’imaginer qu’ils pourraient être mis en œuvre pendant une durée prolongée et, d’autre part, que la plupart des instruments susmentionnés ont déjà été employés indirectement dans au moins un des pays du G7 depuis la Deuxième Guerre mondiale.

Au vu de cet arrière-plan menaçant, les investisseurs se doivent d’ores et déjà d’en tirer la première conséquence, qui est aussi la plus importante : Il faut diversifier ses placements afin qu’une éventuelle mesure politique ait des effets limités.

Pour nos autres réflexions sur l’évolution probable des différentes classes d’actifs dans le contexte d’une déflation, nous sommes partis de trois postulats :

  1. la déflation fait augmenter la valeur de l’argent. Cela signifie que même une diminution de la valeur nominale d’un actif équivaut en réalité à une augmentation en termes réels dès lors que cette diminution est inférieure à l’augmentation de la valeur de l’argent;
  2. normalement, les dettes et les taux d’intérêt sont fixes et s’expriment en termes nominaux. C’est pourquoiles débiteurs sont les grands perdants de la déflation et, à condition que les débiteurs paient leurs dettes, les créanciers sont les gagnants;
  3. comme le Japon a connu une déflation modérée au long des 20 dernières années, l’évolution des différentes classes d’actifs dans ce pays peut servir de référence.
Il découle évidemment de la première thèse ci-dessus que l’argent liquide est le placement le plus sensé en temps de déflation. Quand les prix des biens et services diminuent, l'argent liquide a l’avantage, d’une part, d’être sans risque et, de l’autre, de procurer un taux d’intérêt positif en termes réels. Il faut évidemment tenir compte du fait que le transport, le stockage et l’assurance de cet argent liquide ont un coût, qui s’impute sur le taux d’intérêt réel. De même, les règles sur le blanchiment de capitaux telles que, par exemple, le montant des transactions en espèces, limitent leur emploi et les rendent quasiment impossibles pour les montants assez élevés, ce qui bride en pratique l’utilisation du bas de laine.

Naturellement, les dépôts sur les comptes courants, d’épargne et à terme relèvent de la même catégorieque les espèces à condition que les frais et le taux d’intérêt que doit payer leur détenteur ne soient pas supérieurs à l’augmentation de la valeur de l’argent. Dans tous les cas, il faut s’interroger sur la stabilité de la banque dans laquelle on a ouvert ses comptes. C’est ici qu’entre en scène la deuxième thèse : si un établissement de crédit a accordé trop de crédits qui ne sont pas remboursés, il peut devenir insolvable. Dans ce cas, la fraction des placements dans cet établissement qui dépasse le plafond de la garantie des dépôts est gravement menacée.

Pendant les périodes de déflation passées, les obligations des émetteurs qui sont en mesure d’honorer leurs engagements même dans des conditions extrêmes étaient considérées comme un placement encore meilleur que les espèces. En général, cette description désigne les emprunts d’État. C’est précisément quand la déflation s’est durablement installée que ce type de placement est intéressant. L’évolution des obligations d’État japonaises au long des décennies passées est particulièrement éclairante à cet égard. Quoique, à la fin de 1995, le rendement d'un emprunt d'Etat japonais était déjà faible [1], l’indice exprimé en yens avait monté de 2,81 % par an jusqu’à la fin mai 2016 alors que sa volatilité était limitée.

JP Morgan GBI Japan



Au vu de la rémunération que procure actuellement l’emprunt d’État allemand à dix ans (0,01 % au 17.6.2016), les 3,07 % offerts par son équivalent japonais à la fin de 1995 apparaissent élevés et, en ces temps de déflation encore modérée, l’on peut se demander à bon droit s’il n’est pas déjà trop tard pour obtenir un rendement positif en termes réels après déduction des frais et des impôts.

Mais, au vu de cette situation de départ, et avant d’écarter d’un revers de main ce placement en se disant que « dans ces conditions, autant rester dans les espèces », il faut prendre en considération le fait que les emprunts d’État voient leur valeur augmenter sensiblement pendant les crises financières et que la zone euro se trouve dans une situation particulière qui rend malgré tout les obligations d’État allemandes attrayantes en dépit de la faiblesse de leur rendement nominal.

Comme les pays membres ont abandonné leur pouvoir souverain de création monétaire à la Banque centrale européenne, ceux qui sont surendettés peuvent se trouver dans l’incapacité d’honorer leurs paiements en temps et en heure. C’est ainsi que même des établissements financiers renommés se sont trouvés en difficulté pendant la crise de la Grèce en 2011 et il n’y a aucune raison de croire qu’il ne pourrait en aller de même à l’avenir. Dans ces conditions, un compte courant que l’on croit sûr pourrait au contraire se révéler être un placement à risque contrairement aux obligations d’État allemandes.

D’un autre côté, il existe en Europe un risque d’éclatement de la zone euro, qui entraînerait le retour aux différentes monnaies nationales. Dans ce cas, les emprunts d’État allemands constituent une assurance précieuse, même si leur rendement est négatif.

Si en outre une crise de confiance encore plus grave se déclenchait, au point que même les emprunts d’État allemands ne constitueraient plus une assurance suffisante, il serait bon d’avoir investi dans les métaux précieux. Dans ce cas, c’est avant tout à cause du manque d’alternatives que l’or et l’argent s’apprécient. Cependant, comme depuis l’abolition de l’étalon-or il n’existe pas de relation mesurable entre l’inflation/la déflation et le prix de l’or, il ne me semble pas judicieux d’investir dans les métaux précieux pour des motifs autres que le désir de s’assurer contre une situation catastrophique.

Mais revenons au scénario d’une déflation modérée et durable et à la question du comportement des différentes classes d’actifs. Il existe d’autres placements que les emprunts d’État, comme par exemple lesobligations du secteur privé. Selon la deuxième thèse, y investir paraît en principe être une bonne idée. En tout état de cause, le nombre de faillites augmente toutefois dans un environnement déflationniste. Les investisseurs doivent donc veiller à ne prêter leurs fonds qu’à des débiteurs de bonne qualité.

Dans l’espoir d’obtenir un rendement plus consistant lorsque taux d’intérêt sont extrêmement bas, beaucoup d’investisseurs jettent leur dévolu sur des obligations à haut rendement en devises étrangères. Un tel comportement est dangereux à long terme, précisément lorsque la déflation règne. Pour ne citer qu’un exemple, depuis la fin 1995 (donc depuis près de 20 ans), la valeur du yen est quasi inchangée par rapport au dollar mais la volatilité sur la devise a été très élevée. Il faut donc ne recourir aux placements en devises que dans des proportions modérées et les suivre de près, le cas échéant en couvrant le risque de change.

JPY / USD



Un environnement déflationniste nuit de toute évidence aux actions. Une crise profonde entraîne un recul de la consommation bien que le prix des marchandises diminue. Les entreprises sont donc amenées à réduire leurs investissements. Les bénéfices en souffrent, et donc les cours des actions aussi. La perte de confiance qui résulte inévitablement de la déflation pousse les investisseurs à exiger une prime de risque plus élevée pour acheter des actions, de sorte que le multiple cours-bénéfice baisse aussi. Ce phénomène a été particulièrement flagrant pendant la crise économique mondiale lorsque les marchés d’actions se sont effondrés. Les cours ont d’emblée perdu près de 33 % entre septembre et novembre 1929. À moyen terme, ce fut encore pire. L’indice américain a touché le fond à 41 points le 8 juillet 1932, soit une chute de 89 % par rapport à la fin septembre 1929. Il a fallu attendre novembre 1954 pour qu’il retrouve son niveau de 1929.

L’évolution de la Bourse de Tokyo montre aussi que les actions peuvent perdre de la valeur dans les périodes de déflation. À la fin de 1989, l’indice Nikkei a clôturé à 38 915 points. À la fin février 2009, à 7 568 points, il se situait aux alentours de 20 % de ce niveau. Même aujourd’hui, à près de 16 000 points, il reste très en deçà de son niveau de la fin des années 1980.

Nikkei 225



En raison du bas niveau des taux d’intérêt, de l’évolution incertaine de l’économie et de la volatilité des marchés boursiers, beaucoup de publications affirment que l’immobilier est la voie royale de l’investissement. C’est précisément dans ce contexte déflationniste qu’il faut mettre en garde contre cette vision simpliste des choses. Ainsi, d’après une étude rédigée par la banque Sarazin, depuis 1989/90, début de la phase déflationniste dans ce pays, le marché immobilier japonais a plongé de 80 %.

Il ne fait aucun doute que la majeure partie de cette chute est due à l’éclatement de la bulle immobilière qui existait à l’époque. Mais en temps de déflation il est parfaitement logique que les prix de l’immobilier baissent. Puisque les salaires, et donc le revenu disponible pour payer les loyers subissent une pression particulièrement forte, le loyer moyen et, par là, les prix de l’immobilier diminuent. Dans l’immobilier d’entreprise aussi, la baisse des prix fait que les entreprises ont moins d’argent à leur disposition pour financer des achats. Donc, de manière générale, même l’immobilier ne protège pas nécessairement lorsque règne la déflation.

Nous déconseillons tout particulièrement l’achat d’immobilier à crédit en temps de déflation. La valeur de la dette augmente alors que celle du bien diminue. En cas d’apport personnel insuffisant, il n’est pas exclu qu’au bout du compte les dettes contractées vis-à-vis de la banque soient supérieures à la valeur du bien.

Les considérations qui précèdent sont toutes très sommaires et elles se rapportent au comportement statistique des investissements passifs tels que le fonds indiciels. Néanmoins, dans la plupart des classes d’actifs une gestion active entraîne toujours des chances (et des risques), par exemple en choisissant judicieusement la date à laquelle on achète ou vend une classe d’actifs, en sélectionnant avec soin des titres à l’intérieur de celle-ci, ou aussi en faisant preuve de patience.

Avec le recul, le choix de la date à laquelle investir dans une ou plusieurs classes d’actifs ou en sortir paraît simple. Il suffit d’acheter des actions quand elles sont bon marché et de les vendre quand elles sont chères. Mais en fait et à notre connaissance, personne n’a durablement réussi à ce petit jeu. En outre, les phases de sur- ou sous-évaluation d’une classe d’actifs sont bien trop longues pour s’y prêter. Ainsi, pour ne citer que lui, Alan Greenspan, alors gouverneur de la banque centrale des États-Unis, avait mis en garde dès 1996 contre « l’exubérance irrationnelle » des marchés d’actions. Cela n’a pas empêché l’ascension du S&P 500 de se prolonger pendant encore quatre ans, au point de presque doubler, parce qu’il régnait sur les marchés une atmosphère d'euphorie qui faisait que les investisseurs n’ont tout simplement tenu aucun compte des critères de valorisation rationnels.

La sélection de valeurs est à la fois plus intéressante, plus durable et plus aisée à réaliser. Dans tous les cas de figure, il faut beaucoup de temps et de patience pour l’analyse. L’évolution de l’action Fanuc fournit un bon exemple pour illustrer ce propos. Fanuc produit depuis de nombreuses années des  robots destinés en particulier à l’industrie automobile. Sur ce segment, il est numéro un et sa technologie est en avance sur celle de ses concurrents. Cette société japonaise n’a pratiquement pas de dette et jouit d’une excellente réputation dans le monde entier depuis de longues années pour la qualité de ses produits, sa proximité avec ses clients et la vision à long terme de ses dirigeants. Elle remplit donc parfaitement les conditions nécessaires pour obtenir de bons résultats en dépit d’une déflation durable et pour enrichir ses actionnaires.

Et de fait, si un investisseur avait acheté l’action à la fin 1995 et réinvesti tous les dividendes perçus dans l’achat de titres supplémentaires , il aurait enregistré en yens un gain de 7,9 % par an. Sur la même période, la performance de l’indice Nikkei 225 n’est que de 0,5 % par an. L’action Fanuc a donc réalisé une performance nettement plus élevée et, à vrai dire, impressionnante. Cependant, cet investisseur aurait dû dénicher l’action au préalable et faire preuve de beaucoup de patience dès la première année. En effet, son cours a plongé de plus de 16 % en 1996, tandis que l’indice se tassait de 2 % seulement. Face à une telle sous-performance, la plupart des investisseurs auraient déjà perdu patience, de sorte qu’ils n’auraient pu profiter de la hausse du titre pendant les années qui ont suivi. Et bien entendu l’investisseur qui avait misé sur cette action aurait dû non seulement la conserver pendant 20 ans, mais aussi y réinvestir les dividendes perçus. Rares sont ceux qui sont capables d’une telle patience et d’une telle foi dans leurs convictions.
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