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Thibault Doidy de Kerguelen

Thibault Doidy de Kerguelen

Je suis président de la Compagnie Financière et Patrimoniale de Normandie. Vous pouvez me suivre sur mon site http://maviemonargent.info/

Le stress de l’embauche vue côté employeur

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Le recrutement dans les entreprises, quand je lis la littérature bobo et bien-pensante, ou quand j’écoute France-Inter, ne pose évidemment pas de problème. D’un côté, il y a 3,5 millions de chômeurs qui sont autant d’esclaves modernes rêvant de travailler et devant qui toutes les portes se ferment. De l’autre, il y a une cohorte de patrons qui sont autant d’esclavagistes haineux et profiteurs, qui gagnent des millions en sous-payant leurs salariés. Il suffirait que la seconde catégorie relâche un peu la pression sur la première pour que le chômage se résorbe. Et si la pression ne se relâche pas, il suffit de promulguer une loi pour changer les choses.

Le recrutement, c’est le contraire du sexe…

Dans le sexe, la première fois est rarement la meilleure. Ensuite, plus on pratique, plus on s’amuse.

Avec le recrutement, c’est plutôt le contraire qui se produit. Le premier salarié qu’on recrute est le plus jouissif, parce qu’il marque un cap dans le développement de l’entreprise. Ensuite, on commence à comprendre le malheur dans lequel on est entré.

Je ne parle ici seulement de l’empilement de procédures, de règles, qu’il faut suivre une à une pour qu’enfin le salarié puisse travailler: la médecine du travail, la déclaration URSSAF, les registres en tous genres. Ce serait plutôt cocasse d’ailleurs de demander aux députés qui reprochent aux patrons de ne pas assez embaucher combien de procédures doivent être respectées avant que le salarié ne puisse rejoindre son poste de travail. On découvrirait sans doute qu’aucun pourfendeur de ces entreprises qui n’embauchent pas ne sait exactement à quel tourment procédural se destine celui qui embauche.

Je ne parle pas non plus de la responsabilité socio-fiscale qu’un patron prend quand il embauche, notamment de ces fameuses charges qu’il faut payer chaque trimestre et qui s’emballent comme autant de bombes à retardement. C’est vrai qu’embaucher, c’est le promesse de nuits blanches quand il va falloir honorer l’addition trimestrielle et que les factures envoyées aux clients depuis trois mois ne sont toujours pas payées. Mais, après tout, c’est aussi pour cette angoisse qu’on choisit de devenir patron…

Non! je parle ici de la difficulté du recrutement en lui-même, c’est-à-dire de la somme d’enquiquinements à laquelle le petit patron s’expose quand il publie une annonce pour pourvoir un poste dans son entreprise.

Décider de passer au recrutement…

Ce que les candidats qui répondent à l’annonce ignorent le plus souvent, ce sont les étapes que le patron a franchies avant de poster son annonce. Une fois le premier recrutement effectué, le patron se jure en effet qu’on n’est pas prêt de l’y reprendre aussi vite. Entre temps, il s’est souvent essuyé les plâtres des premières revendications du salarié, à qui l’on explique depuis son enfance que le monde est organisé autour de son bien-être et de sa satisfaction personnelle.

« Oui, mais là, le client attend sa livraison, alors ce soir ce serait bien que vous ne partiez pas avant 18 heures… parce que si le client ne reçoit pas son produit, il ne paiera pas, et s’il ne paie pas, je ne pourrai pas vous payer »

« Ce n’est pas mon problème, Monsieur, c’est le vôtre. Ma femme m’attend, je m’en vais. »

Pour peu que le salarié soit malin, il attend le lendemain de sa fin de période d’essai pour commencer à renâcler, et le tour est joué. L’enfer commence: ces journées passées à surveiller ce qu’on dit ou ce qu’on ne dit pas, et ces soirées en famille sacrifiées pour finir le boulot que le salarié ne juge pas utile de finir, sous différents prétextes dont la société moderne a le secret (« je ne sais pas pourquoi, je n’y arrive pas Monsieur! », « franchement, j’ai oublié de le faire », « Ah bon? je ne m’en suis pas rendu compte », etc.)

Donc, avant de décider de passer à un nouveau recrutement, le patron se tâte. Il encaisse. Il prend lui et augmente encore son nombre d’heures supplémentaires pour tenir le plus longtemps possible. Il travaille jusqu’à une heure du matin et se relève à cinq heures pour éviter les retards. Il sacrifie les colossales tâches administratives qui lui incombent, reçoit des recommandés qu’il n’ouvre plus en se disant: il faut que je tienne bon. Et un moment, sa femme lui dit: « Maintenant, tu arrêtes! tu vas finir par faire une crise cardiaque. Tu as encore des enfants à élever. »

Et à ce moment-là, il décide de recruter.

Les doutes du patron au moment de recruter l’annonce

Ce que le patron qui publie une annonce veut, c’est forcément la perle rare: un salarié qui fera le boulot qu’on lui demande sans expliquer qu’il y a beaucoup de problèmes chaque jour, sans aucune solution.

Comme il sait que cette demande est exorbitante, il a auparavant épuisé toutes les autres possibilités. Il a fait le tour de son entourage, de son voisinage, de ses connaissances, pour être sûr qu’aucune alternative à l’annonce vers l’inconnu n’existait. Et puis vient le grand plongeon: il lance une offre sur les sites qu’il a repérés pour commencer le travail de tri.

Avec l’expérience, l’exercice devient un casse-tête. Que l’offre soit trop ciblée, et le patron va récupérer ceux dont les autres ne veulent plus, qui sont techniquement bons mais psychiquement allumés. Que l’offre soit trop large, et il va recevoir des dizaines, des centaines de réponses, qui vont lui prendre un temps colossal à analyser, éplucher, et qui seront autant de risques de procédures pour discrimination et autres folies inventées par des élus coupés des réalités.

Le texte de l’annonce lui-même est compliqué à rédiger. Si le descriptif des fonctions est trop précis, le patron s’expose à la remarque du salarié, un mois après son recrutement du: je n’ai pas été recruté pour ça. « Oui, mais le besoin évolue, c’est la vie de l’entreprise! ». Et le salarié, goguenard: « Envoyez-moi en formation ».

« Valider »: le coup est parti

Et maintenant, j’appuie sur le bouton « valider ». Bien entendu, je dois payer des sommes farfelues pour être référencé sur des sites à l’efficacité contestable. Mais cela revient quand même moins cher que de lancer une chasse.

L’annonce est publiée avant huit heures du matin, et dans la matinée, le patron moyen reçoit une vingtaine de candidatures si le poste n’est pas dans le domaine informatique (auquel cas il s’arme de patience… car le marché est en pleine pénurie). Dans les quarante-huit heures, sans effort, il a drainé à lui une petite centaine de réponses.

Et commence alors le fastidieux travail de lecture des candidatures, des CV et des lettres de motivation, sans compter les e-mails de transmission qui valent souvent leur pesant de cacahuètes. Pire même: l’e-mail est souvent beaucoup plus intéressant que la lettre de motivation. Cette dernière est généralement un simple copier-coller d’un modèle attrapé sur Internet ou ailleurs. La vraie personnalité se livre dans l’e-mail d’envoi qui l’accompagne.

Je me permets de publier ici quelques perles reçues d’une annonce en cours:

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Le plus drôle est sans doute ce curriculum vitae non relu, qui donne lieu à un joli lapsus:

recrutement

Et c’est vrai que c’est terrible, cette sélection qui commence par s’opérer simplement sur un critère: le candidat comprend-il les mots qu’il utilise? connaît-il les codes de présentation?

Le grand remplacement a déjà triomphé

Après 48 heures de publication, dont un samedi, de ma petite annonce payée à 1,4 SMIC, je compte environ 70 candidatures, peut-être 80. Parmi elles, j’en compte 10 avec un patronyme à consonance française. Le reste est composé de noms africains (du Nord ou subsahariens). Pour l’essentiel, je sais d’ores et déjà que le recrutement que je vais opérer sera, il y a 90% de chances pour cela, un collaborateur d’origine étrangère.

Ce point soulève une difficulté structurelle vis-à-vis de tous les discours sur la préférence nationale, comme sur la discrimination.

Je mets à part l’embêtement absurde des procédures que tous les gouvernements qui se succèdent inventent pour éviter la discrimination à l’embauche. Elles servent à nourrir dans l’opinion l’idée que les patrons sont forcément d’horribles fachos, et à imposer un modèle de management où le patron s’interdit d’entrer en communication avec ses salariés.

Je reviens au sujet de fond: pourquoi la préférence nationale est impossible dans une entreprise. Il faut bien mettre les pieds dans le plat. La réponse ne tient pas seulement au fait que 90% des réponses aux offres d’emploi provient d’une population qui n’est manifestement pas « de souche », ce qui oblige tôt ou tard à recruter des « allogènes ». Il provient d’un mal bien plus profond, qui s’appelle la paresse bobo du candidat « de souche ».

Une brève anthologie de la paresse bobo

Lors d’un précédent recrutement sur le même poste, j’avais reçu deux candidates « de souche » parmi douze entretiens.

L’une de ceux deux « françaises » m’a d’abord expliqué qu’elle était une grande experte du tableur et d’Excel. « Et comment faites-vous des tableaux croisés dynamiques? ». Je revois son regard éberlué: « Des quoi? je n’en ai jamais entendu parler ». Et dix minutes plus tard, elle m’expliquait qu’elle se fâchait avec tous les patrons qui « l’emmerdaient trop ».

L’autre candidate était surdiplômée pour le job que j’avais en stock. Je lui ai proposé de la revoir pour un autre poste que j’étais prêt à ouvrir pour elle, utilisant ses capacités dans le domaine de la recherche en mathématiques. J’ai donc organisé un déjeuner avec l’équipe, pour elle. Et deux semaines plus tard, quand je l’ai appelée pour lui faire une offre ferme, elle m’a répondu qu’elle partait au Japon pour un stage.

Des exemples de ce type sur les « Français de souche », j’en ai des dizaines. Dois-je parler du stagiaire que j’ai employé cet été? Un petit blond aux yeux bleus, hébergé à titre gratuit chez ses grands-parents dans un appartement de luxe, et qui passait ses journées à se plaindre de la « galère » qu’était sa vie? Après avoir revendiqué ne surtout pas travailler plus de 35 heures (entrecoupées de nombreuses pauses cigarette), il nous a rendu un travail de sagouin.

Durant son stage, il a appris que son école ne validait pas son année. Il m’appelle à l’aide: « Je n’ai rien à la rentrée… vous n’avez pas quelque chose pour moi? » Je lui propose de le rencontrer à la fin de son stage pour en parler. « Vendredi? » J’entends un silence. « Non, mais j’ai mes vacances à prendre. Je pars vendredi matin. » J’accepte de sacrifier mon jeudi soir pour le voir en urgence. Il m’explique, ce soir-là, qu’il a accepté la veille un autre job, qu’il n’a plus besoin de moi et que, le lendemain, il part simplement rejoindre des copains à Grenoble. « Et vous ne pouviez pas partir en fin de matinée? » Réponse: « Si, mais je voulais avoir le sentiment de pouvoir commander mon patron et de vous forcer à perdre une soirée… »

Pauvre connard de 20 ans, j’ai sacrifié une soirée avec ma fille pour entendre tes jérémiades de petit merdeux bobo.

Voilà pourquoi je ne veux pas entendre parler de préférence nationale en entreprise. Je m’en moque, que mon salarié soit blanc, noir, rouge ou jaune. Je veux juste qu’il bosse.

Quitter la France?

Quand je mesure la somme de tourments que cause le moindre recrutement, je me pose, comme beaucoup de patrons, la question de quitter la France. Pas, ou pas seulement, pour des raisons fiscales. Mais d’abord par la lassitude que procure cet étrange sentiment d’un pays où 10% de la population doivent travailler sans limite sous les quolibets de la foule, et où 90% attendent passivement que le monde s’écroule en jugeant que rien n’est jamais assez bien.

Et oui, le recrutement dans un pays qui compte 3,5 millions de chômeurs est une course d’obstacles dont il est difficile de voir la fin. Ah! si un candidat aux présidentielles mettait en première ligne de son programme: remettre le pays au travail, et la valeur travail au centre du pays.

Eric Verhaeghe

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