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Vincent Benard

Vincent Benard

Vincent Bénard est analyste à l'Institut Turgot (Paris) et, depuis mars 2008, directeur de l'Institut Hayek (Bruxelles). C'est un spécialiste du logement et  de la crise financière de 2007-2008 (subprimes). Grand défenseur du libéralisme économique, Vincent décortique tous les errements des Etats providence !

Propositions d’un think tank socialiste pour le logement: taxes, réglementations, subventions… et consternation.

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Le think tank Terra Nova, proche du PS, se veut être le moteur de la modernisation de la pensée économique de la gauche. Pourtant, force est de constater qu’ils ne nous servent souvent qu’une version “nouvelle cuisine” des recettes éculées de la gauche de l’échec: taxation, régulation, planification et subvention.

J’en veux pour preuve leurs dernières propositions pour “relancer la construction de logements”. J’avoue avoir eu, en les lisant, un peu de mal à garder mon sérieux, ou mon calme, selon mon humeur du moment. Étudions en le résumé (extraits en italique):

 
Terra Nova propose d’aller plus loin en engageant des mesures structurelles qui auront un effet durable sur la construction de logements. Pour cela, il faut :


1.         Convaincre les « Girondins » qui défendent à tout prix le pouvoir au niveau le plus local, celui des 36 000 communes, qu’il faut changer d’échelle et passer à l’agglomération pour toutes les décisions qui concernent le logement : ce n’est plus le maire qui doit signer le permis de construire, mais le président de l’agglomération. Par ailleurs, une dotation « construction » de 500 millions d'euros annuels serait ajoutée par l’Etat pour les « maires bâtisseurs » ; en contrepartie, les 300 000 propriétaires immobiliers les plus riches, qui paient l’ISF, seraient imposés sur 100 % de la valeur de leur résidence principale et non plus sur 70 %.

 

Cela commence très fort. Le PLU unique intercommunal, voilà “la solution” ! Malheureusement, elle a déjà été testée, et ne fonctionne pas. Des aires urbaines comme Londres ou Los Angeles appliquent des politiques de planification à grande échelle et connaissent constamment un déficit d’offre contribuant à gonfler des bulles dévastatrices. Plus près de nous, toutes les communes de l’agglomération nantaise ont réalisé simultanément la dernière mouture de leur PLU, en obéissant à des règles communes définies au sein d’un “SCOT”, “Schéma de Cohérence Territorial”, machin bureaucratique destiné à fixer quelques règles communes chez toutes les communes adhérentes. Et comme le “SCOT”, tout comme les politiques d’”Urban containment” britanniques ou de “Smart Growth” américaines, obéissent à des logiques foncières restrictives, la construction reste à la traîne des signaux de prix. Ces politiques ne sont que l’expression du rapport de force entre propriétaires existants, qui aiment voir la valeur de leurs biens monter sans effort, et les nouveaux entrants sur le marché immobilier, qui n’ont pas le même poids électoral…

Ce n’est pas en changeant le niveau de décision de celui qui bénéficie d’un pouvoir de blocage exorbitant et qui a intérêt à l’utiliser que nous changerons quoi que ce soit à la disponibilité foncière. C’est en replaçant le pouvoir d’agir entre les mains des propriétaires.


Pire encore, Terra Nova propose de financer les communes plus ouvertes à la construction via un fond… alimenté par une hausse de l’impôt le plus idiot jamais créé dans ce pays, j’ai nommé l’ISF, celui qui a fait fuir tant de capitaux que le manque à gagner pour l’Etat est au moins 5 fois supérieur au produit de l’impôt (source). Voilà qui devrait encore renforcer les désirs d’expatriation de nos créateurs… On sent dans le propos de Terra Nova que les raisonnements de type “lutte des classes”, “ces riches qu’il faut punir”, restent très présents. La belle pensée moderne que voilà… Mais continuons notre lecture.

 

2.   Aller à l’encontre des tocquevilliens pour qui s’attaquer à la propriété, c'est mettre en péril l’ensemble des libertés. Concrètement, deux mesures devraient permettre de lutter contre la rétention foncière : asseoir la taxe sur les terrains non-bâtis sur sa valeur vénale des terrains constructibles, ce qui suppose de faire enfin aboutir le chantier de la révision des valeurs locatives ;  mettre en place une planification active pour que le classement en terrain constructible débouche effectivement sur une construction.



Ah, les “tocquevilliens”, “ultra libéraux” défenseurs de la propriété… La solution de Terranova pour lutter contre une rétention foncière parfaitement fantasmée est… une augmentation de taxes. Comme si les terrains constructibles étaient si nombreux que leurs propriétaires se battaient pour ne pas les utiliser.



La seule “rétention foncière” que l’on observe réellement, c’est la rétention administrative: des terrains qui pourraient êtres constructibles et que les communes maintiennent sous statut agricole ou “bâtard” (“urbanisation future”...), ou des terrains acquis par des agences foncières publiques pour des opérations mêlant logements privés et sociaux, à des conditions de financement de ces derniers tellement défavorables que les constructeurs ne se bousculent pas pour y porter des projets.

 

Enfin, Terra Nova évoque une “planification active” permettant de faire en sorte que le délai entre l’obtention du statut “constructible” et la construction effective soit court. Mais nous n’en saurons pas plus sur cette “planification active” (pas même dans l’étude “détaillée de 12 pages), sachant que j’ignore totalement en quoi l’ultra planification actuelle serait plutôt “passive”.



Bon, trêve de mauvaise foi, je peux supposer que Terra Nova a dans l’idée une planification à l’Allemande, où les communes sont tenues par les Länder de libérer du terrain au moindre signe d’inflation foncière, et où, en contrepartie, les promoteurs demandant la libération de terrain ont un délai limité pour le bâtir avant qu’une punition fiscale ne tombe. De fait, dans la plupart des grandes villes allemande, le processus de libération foncière est annuel. Mais en contrepartie, tout terrain contigu à un terrain constructible (donc facile à viabiliser) est lui même réputé constructible par défaut: c’est l’inconstructibilité qui doit faire l’objet d’une décision politique, généralement motivée par des question environnementales. Cette inversion du sens de la décision publique est évidemment essentiel pour comprendre pourquoi, en Allemagne, les prix grimpent moins que chez nous, y compris dans les grandes villes recevant un solde migratoire très excédentaire.

 

Bref, le système Allemand, sans être l’idéal libéral, permet à l’offre privée de trouver facilement de quoi répondre à tout signal de prix haussier, et interdit dans la pratique aux communes de pratiquer un trop grand malthusianisme foncier. Et malgré cette relative liberté privée,  les villes allemandes,  sont agréables, n’ont absolument rien d’anarchique dans leur développement, et que l’étalement urbain, cette grande peur française, y est non pas combattu, mais de fait, astucieusement accompagné. Quant à la qualité moyenne des constructions, elle est incomparablement supérieure de l’autre côté du Rhin.

Mais je ne vois pas comment une “planification active” pourrait exister dans le cadre légal français actuel, où l’inconstructibilité est l’état d’un terrain par défaut, et où le premier obstacle à vaincre pour ouvrir du terrain à la construction, est le voisin-électeur qui veut surtout qu’on lui fiche la paix.

 

Étudions maintenant le troisième et dernier volet des propositions de Terra Nova:

 

3.   Mobiliser, pour le logement intermédiaire, le bas de laine des « pères Grandet ». Pour organiser le retour des investisseurs institutionnels dans le logement, seraient créés des fonds communs de placement d’entreprises « logement intermédiaire », qui pourraient drainer tous les ans 100 millions d’euros d’épargne salariale, et une obligation pour les assurances-vie de consacrer au logement au moins 10 % de leurs contrats « vie génération » à régime fiscal privilégié, ce qui pourrait représenter 1 milliard d’euros tous les ans.

 

Vous ne savez peut être pas ce qu’est le logement intermédiaire: c’est du logement dont le loyer est intermédiaire entre celui d’un logement social “full color” et celui d’un logement privé, par le biais d’un taux de subvention plus faible. C’est donc un logement “un peu subventionné”, au contraire des logements sociaux ordinaires “plus subventionnés”.

 

La logique socialiste planificatrice est à l’oeuvre: l’état et les communes font tout, par malthusianisme foncier, pour que le logement soit cher, au point que toute une classe moyenne trop “riche” pour accéder aux logements sociaux mais trop “juste” pour les logements privés deux fois plus chers, ne trouve pas chaussure à son pied. Terra Nova propose donc de subventionner des investisseurs institutionnels moyennant carottes fiscales, pour que des logements à loyer encadré soient construits. Et tant qu’à faire, elle propose à ces investisseurs de financer ces logements en commercialisant des parts de fonds de placement spécialisés qui draineraient votre épargne, moyennant carottes fiscales. Des FCPI “sociaux et subventionnés”, en quelque sorte. 

 

Terra Nova oublie beaucoup de choses. D’abord, si ces logements ne sortent pas en nombre suffisant, c’est parce que la loi SRU a donné aux communes la possibilité de faire financer les logement sociaux ou intermédiaires par la construction privée: autrement dit, les promoteurs doivent vendre à perte environ un tiers de leur programme à des bailleurs sociaux, et doivent se rattraper en vendant plus cher les mètres carrés privés. Et bien sûr, on s’abstient de dire à tout acheteur de logement privé qu’il paie, dans le prix, un impôt déguisé, servant à financer la bonne clientèle du logements social “haut de gamme”. Conséquence: les promoteurs limitent l’ambition de leurs programmes pour limiter leur risque de perte en cas de retournement de marché (cf cet article détaillé sur le fonctionnement des quotas SRU).

 

Ensuite, même si ces logements intermédiaires étaient tous attribués sur des critères honnêtes, ce qui serait une première, les familles qui les occupent ont des bonnes chances de voir leurs revenus évoluer à la hausse. Pourtant, ces familles resteront dans ces logements subventionnés, comme en témoigne le taux de rotation des locataires très faible du parc social. Aujourd’hui, plus de 40% du parc social “qualitatif” est occupé par des familles dans les tranches de revenus aisées. La subvention au logement social est donc en partie un détournement de ressources au profit d’une clientèle aisée… Mais électoralement recherchée. Terra Nova mentionne dans son rapport ce problème de faible rotation du parc mais ne propose rien pour le régler, comme par exemple le bail social unique de 6 ans non renouvelable.

 

Taxe, planification et subvention, les trois mamelles de la pensée étatiste

 

Résumons nous: les politiques étatiques créent les conditions d’une bulle immobilière. Comme les loyers augmentent moins vite que les prix (le ratio valeur/loyer augmente quand les taux d’intérêts bancaires baissent), la rentabilité locative baisse. En contrepartie, les risques de pertes liées à l’émergence de mauvais payeurs augmente: le logement devient un placement risqué et peu rentable: étonnez vous que l’investissement sa fasse rare ! Et au lieu de se demander pourquoi et et d’attaquer le mal à la racine, Terra Nova propose… une énième subvention aux bailleurs sociaux privés, déjà fort bien pourvus en avantage fiscaux, merci pour eux. “Ça ne marche pas actuellement ? faisons en plus !”

 

Terra Nova n’envisage pas une seconde l’idée d’une vraie libération foncière de l’arbitraire étatique, une meilleure sécurité juridique des propriétaires contre les locataires indélicats, des loyers libres, un allègement de la fiscalité sur le logement neuf ou sur les mutations anciennes, et un abaissement des aides publiques au logement, les plus élevées au monde (près de 2% de notre PIB) pour des résultats affligeants. Pour Terra Nova, planification, taxes, et subventions sont les piliers de la réforme du logement, Terra Nova est incapable de voir que ce sont déjà les clés de compréhension de la crise actuelle.

 

Ce ne sont pour l’instant que des propositions d’un think tank, mais Terra Nova a de nombreuses entrées au gouvernement, ce qui laisse penser que certaines pourraient voir le jour. Malheureusement, tant que les officines ayant l’oreille des politiciens au pouvoir n’auront que ce type de solution à proposer,  le sort des mal logés n’a aucune chance de s’améliorer.

 

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Liens :

 

Rapport Terranova: résumé - PDF

 

 

Petite sélection parmi les nombreux articles de l’auteur dans le domaine du logement:

 

la réglementation foncière, source de la crise du logement

 

Le logement social n’est pas la solution mais une partie du problème

 

Comment la loi SRU nous pénalise tous

 

Mon livre “logement, crise publique”, en PDF gratuit

 

Le résumé du livre en 16 points clé

 

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