Et par « gouvernement », on entend ici Michel Sapin, l’actuel ministre de nos actuelles finances, ce qui, quand on voit la bobine rebondie du premier et la tronche émaciée des secondes, donne à réfléchir. Le Michel, il ne s’en laissera donc plus compter : « Je serai intraitable » aurait-il même déclaré jeudi dernier (peut-être sous le coup d’un vin un peu trop capiteux), lançant ainsi une offensive en règle contre les sociétés françaises qui auraient eu l’idée saugrenue de faire de l’optimisation fiscale par l’intermédiaire de filiales à l’étranger ou de rescrits fiscaux (tax rulings) accordés par d’autres pays de l’Union européenne.
On attend déjà avec gourmandise les effets de bords débiles et crisogènes que ces belles intentions vont provoquer. En attendant, vilains évadés fiscaux, vos jours sont comptés, et vos portefeuilles surveillés ! Tremblez, mauvais contribuables félons !
Ceci étant dit, intéressons-nous deux minutes au fond de l’affaire pour mesurer l’ampleur des dérapages à venir. Cela nécessite d’être un peu technique, mais le jeu en vaut la chandelle, ne serait-ce que pour dissiper les épais nuages de pignouferie que les articles produisent autour du sujet.
Passons rapidement sur la différence entre évasion fiscale et optimisation fiscale, on a maintenant l’habitude de la confusion journalistique éhontée qui permet de faire passer les utilisateurs chevronnés de la seconde pour des malandrins habitués de la première. L’optimisation, rappelons-le, consiste à limiter son impôts en utilisant tous les moyens légaux mis à sa disposition, que ce soit par des montages juridiques plus ou moins complexes (mais légaux) ou des investissements dans certaines niches fiscales (légales). L’évasion, par définition, consiste à fuir d’une prison fiscale vers un pays de moindre tabassage en soustrayant autant que possible l’opération aux yeux des gardes-chiourme fiscaux.
Passons également sur cette logique socialiste assez typique qui veut que l’impôt est un dû et qu’il est formellement interdit de chercher à le réduire, même par des dispositions pourtant légales. Dans la belle idée de nos collectivistes, comme tout ce que vous faites leur appartient (la réciproque étant fausse, soyons sérieux), tenter d’en garder un peu pour vous constitue un vol. Implacable comme un goulag de Sibérie en plein hiver.
Dans le cadre de sociétés multinationales, se pose alors la question de cette application à l’échelle du groupe. On peut en effet être juste au niveau local mais avoir tort au niveau de toute la holding. C’est ainsi que s’introduit le concept d’abus de droit, qui revient en l’espèce à mettre en place un mécanisme à visée exclusivement fiscale. Le mot-clé ici est exclusivement. Et dans ce cadre, le fisc français doit être en mesure de prouver que le montage n’a pas d’autres buts que d’échapper à l’impôt. Une bonne optimisation fiscale consistera donc à « fournir de la substance » c’est-à-dire, à créer une filiale dans un autre but que celui d’échapper à l’impôt, ce dernier bénéfice ne devenant alors qu’un sous-produit pratique de l’opération, et non recherché en premier lieu.
À partir du moment où ces deux éléments, le ruling et la substance, sont réunis, le mécanisme d’optimisation fiscale est inattaquable. A contrario, vous vous exposez ou bien à des risques dans le pays de défiscalisation (en cas d’absence de ruling) ou bien dans le pays d’origine (en cas d’absence de substance).
En pratique, la loi française couvre déjà tous les abus. D’ailleurs, les employés du fisc ne se privent absolument pas de contrôler les sociétés systématiquement dans les trois ans qui suivent la mise en place d’un tel mécanisme. Et bien sûr, le fisc est au courant de ces pratiques puisqu’au moment du montage, la création de la filiale entraîne automatiquement le paiement d’une « exit tax » sur la valeur de l’apport.
Enfin, on ne peut que déplorer ces nouveaux petits pas sur la route de la servitude, petits pas marqués par de nouvelles limitations de mouvements des capitaux, et la réduction de la concurrence fiscale entre les États en se calant, bien évidemment, sur les plus gourmands, en tuant les avantages comparatifs de petits (Luxembourg, Suisse, Belgique, Irlande, …) qui misent sur une politique fiscale accommodante comme outil d’attractivité. Faire le contraire, transformer la France en relâchant les contraintes fiscales, en offrant aux investisseurs un paysage fiscal à la fois stable et doux, n’était pas envisageable. Pensez donc : si ça marche pour le Luxembourg ou la Belgique, ça ne peut pas marcher pour la France !
Décidément, Moscovici d’un côté, Sapin de l’autre, de concert pour entraîner toute l’Europe dans la spirale fiscale française … Forcément, ça va bien se passer.