Il faut comprendre l’ampleur du choc. Déjà, qu’un journal se laisse aller à faire paraître des informations qui auraient une charge polémique évidente constitue en soi une secousse notable dans les habitudes franco-françaises.
Normalement, l’AFP produit des informations validées par l’intelligentsia, puis les journaux subventionnés les reprennent religieusement en ajoutant ici ou là la faute d’orthographe originale, le contre-sens indispensable ou les errements grammaticaux utiles à justifier leur existence. Ensuite, les réseaux sociaux s’en emparent pour transformer ce petit thé fade en lavasse improbable, les petits Kevin et Léa de tout le pays se relaient sur Twitter et Facebook pour achever de diluer encore la microscopique charge informationnelle initiale dans un océan de conneries pour adulescents lobotomisés, et enfin, après un temps plus ou moins long, le tout peut terminer dans une note de bas de page sur Wikipedia.fr.
Là, ça a dérapé tout de suite avec des observations, des descriptions de choses vraiment vues et entendues. Ensuite, il y a eu l’utilisation malencontreuse de termes extrêmement connotés comme « gens du voyage », « Roms », « groupes des cités toxicomanes » et un festival de nationalités comme des Géorgiens, des Bulgares, des Roumains ou des Russes. A ceci s’est ajoutée la présence de délits et de crimes comme le vol, le cambriolage, le proxénétisme, le braquage ou le trafic de stupéfiant. Enfin, tout ceci fut illustré par des petits cartoons rigolos. La recette était parfaite et ne pouvait aboutir qu’à une explosion majeure en République du Bisounoursland.


Pensez-donc : ça fait dans la stigmatisation et
Bing, l’accusation est lancée.
Sauf que stricto-sensu, ce serait déjà plus proche de la xénophobie que du racisme, d’une part, et d’autre part, on se demande exactement où il est fait l’indispensable raccourci « Rom = voleur » (dans le sens « tous les Roms sont des voleurs ») et tutti frutti pour que même l’accusation de xénophobie tienne la route. Pire : il est plutôt dit que les prostituées sont des Bulgares, ce qui ne veut pas dire, sauf dans la tête des gens un peu approximatifs dans leur logique, que les Bulgares sont des prostituées. Et ceci n’est ni xénophobe, ni raciste. De la même façon, non, tous les Français ne parlent pas français, bien malheureusement, mais c’est comme ça. Non, toutes les blondes ne sont pas connes : certaines sont seulement peroxydées. Certes. Mais il n’en reste pas moins que les amalgames sont couramment utilisés et on peut comprendre qu’ils ont un aspect pratique qui évite de verser dans des tautologies navrantes à force de vouloir diluer les différences (« le voleur avait deux bras et deux jambes » ou « la prostituée était une femme »).


Et surtout, il y a quelque chose de malsain à vouloir nier la spécificité des individus, à nier leur couleur, leur origine, et à le faire exclusivement sur le prétexte que tout détail sur cet individu (couleur des yeux, de peau, taille, corpulence, religion, bord politique, que sais-je) pourrait entraîner un abominable amalgame et dans une pente glissante, zwiiip, amener l’autre — qui est forcément limité intellectuellement — à croire que tous les individus répondant aux mêmes spécificités se comporteront obligatoirement de la même façon. C’est un collectivisme parfait qui consiste à fondre tout le monde dans un grand tout vague, pour ne choquer aucune minorité, et, ce faisant, à nier toute spécificité aux individus, pourtant la plus importante, la plus petite et la plus faible des minorités. Cette schizophrénie galopante aura permis d’écrire les plus belles pages des luttes antifascistes rabiques dans lesquelles les décérébrés des deux côtés extrêmes du spectre politique se foutent sur la gueule pour savoir lequel égalisera plus fort le groupe au détriment de l’individu.
On le voit, et comme je l’ai dit en introduction, la France a subi avec cette illustration journalistique une attaque horrible. Mais heureusement, les Fiers Soldats de la Bien-Pensance ont encore marqué des points.
Reste à savoir si ce n’est pas, encore une fois, contre leur camp.