Car dans ces droits, il y notamment celui, inaliénable, imputrescible et ignifugé, de mourir en bonne santé. Ce droit, ne l’oublions jamais, a été obtenu de haute lutte par des citoyens courageux qui se sont battus pour l’obtenir et qui sont tous morts pour ça. Dès lors, il faut que l’État, qui a été fermement mandaté pour ça, s’occupe de bannir les déviances et les addictions de notre beau pays. Et pour que cela fonctionne, on procèdera par petites touches successives.
Il y eu tout d’abord l’interdiction de la publicité pour le tabac, puis, pour des raisons de santé, son bannissement des lieux publics, puis l’instauration des images choc sur les emballages, parallèlement à une hausse continue et de plus en plus raide des prix pratiqués. Conformément à ce qu’on pouvait s’attendre, les ventes ont commencé à fléchir puis à nettement diminuer (pendant que la contrebande explosait). Mais Marisol Touraine sait que cela n’est pas suffisant. À présent, il faut passer à l’étape suivante : la mise en place des paquets de cigarettes neutres.
L’idée est donc d’enlever tout logo sur le paquet de cigarette qu’on achète d’ailleurs de moins en moins. Ne resterait sur le paquet qu’un grand espace dédié à la réception d’une jolie image à collectionner (des dents pourries, un foie endommagé, une gorge pleine de tumeurs, des yeux opaques, des chatons écrasés, François Hollande, bref, un truc détestable), et un espace, plus restreint, pour le nom de la marque de cigarettes et la variante (mentholée, brune, blonde, au bon goût de marée). Comme d’habitude, il sera mis en avant que ces restrictions s’inscrivent dans le cadre des mesures prophylactiques mises en place pour diminuer la première cause de mortalité évitable en France
Bref, il est probable que les prochains mois verront apparaître ces réjouissants paquets de cigarettes dans le commerce, fusillant encore un peu plus l’avenir des petits débitants de tabac qui, pour les plus lucides d’entre eux, se reconvertissent doucement en point de vente pour la Française des Jeux, PMU et autres jeux à gratter, en attendant que ce plaisir là soit aussi minutieusement combattu.
Rassurez-vous : le Front Anti-Fun ne se contente pas de bouter le tabac hors de France. Il a bien compris qu’il existait maintenant une échappatoire avec la cigarette électronique et le vapotage, qui, au lieu d’utiliser du tabac, se contentent de chauffer de la nicotine. Pour le moment, il n’y a pas à proprement parler de lois spécifiques sur le vapotage, ce qui fait deux bonnes raisons de légiférer.
D’une part, il ne peut, il ne doit subsister en France aucune zone, aucun comportement, aucune habitude non couverts par une loi ou un article légal. Ce serait le début du grand n’importe quoi comme il pouvait encore en exister il y a quelques dizaines d’années, où les gens faisaient tant de chose sans même imaginer demander l’autorisation (les fous !).
D’autre part, tout ce plaisir qui échappe à la fois à une saine taxation libératoire et à une indispensable moralisation publique, c’est proprement inconcevable. Laisser cela sans corriger le tir, c’est prendre un risque considérable (et interdit constitutionnellement) d’habituer les générations futures à une trop grande liberté, qui est néfaste, comme chacun le sait. Il en sera donc pour le vapotage comme pour le reste, avec une interdiction de sortir sa cigarette électronique dans les lieux publics ou de faire de la publicité pour cet objet qui séduit de plus en plus de Français, grands enfants incapables de se contrôler un minimum.
En toute cohérence donc, quand bien même le vapotage est une alternative bien plus saine que le tabac traditionnel et judicieusement taxé, quand bien même les vapeurs dégagées ne peuvent pas être cancérigènes, quand bien même un nombre grandissant d’utilisateurs dit avoir pu arrêter complètement la cigarette puis la nicotine grâce à ce procédé, et surtout quand bien même cette invention a permis de créer un marché et les emplois qui vont avec, le gouvernement va sagement entreprendre de restreindre autant que possible son usage et sa pénétration, jugeant sans doute que la toxicité du tabac n’est pas suffisamment forte pour y trouver un substitut, ou que le chômage dans le pays n’est pas assez élevé pour s’affranchir d’étrangler un peu plus un marché naissant.
Et puis en toute cohérence toujours, alors que la lutte contre le vapotage va notoirement s’intensifier, le projet de loi de la ministre entendra expérimenter une ou plusieurs salles de consommation de drogue, dans lesquelles, selon toute vraisemblance et lieu public oblige, il sera donc interdit de fumer ou de vapoter. L’individu lambda pourra donc y faire son fix d’héroïne, mais n’aura pas le droit de se fumer une cigarette (électronique ou non). Délicieux.
Bref, si la route est longue, le chemin est connu et on en a déjà parcouru une bonne partie : l’avalanche de restrictions aux libertés des citoyens français continue au même rythme, dans la plus parfaite incohérence de textes s’empilant les uns sur les autres. La guerre contre toutes formes de plaisirs, qu’ils soient solitaires ou en société, va encore gagner quelques points décisifs pour transformer ce pays, jadis loué pour son art de vivre, en mouroir à petits vieux cacochymes où le summum du fun sera une partie hebdomadaire de dominos arrosé d’une grenadine sans sucre.
Ce pays est foutu, et en plus, on ne va même pas rigoler.