Il faut dire qu’entre les débuts de cette carte scolaire, dans les années 60, et son actuelle utilisation, les choses ont un peu évolué.
À commencer par les populations : plus nombreuses ici, moins là, le planisme a vaguement fait ce qu’il a pu pour suivre et, comme dans absolument toutes les expériences de planification étatique, a bien évidemment foiré. Les établissements aux classes vides se sont disputés aux établissements bondés, sans que personne ne puisse réellement mitiger le problème.
Les idéologies, ensuite. S’il était clair au départ que cette carte devait remplir un but pratique, presque terre-à-terre, d’optimisation des ressources, l’échec assez patent de cette optimisation n’a pourtant pas affaibli la croyance de ses concepteurs en une utilité, et peu importe laquelle. En somme, comme on peut très bien enfoncer un clou avec une clé à molette à condition de taper suffisamment fort, l’outil Carte Scolaire était créé, et même s’il ne servait plus du tout à optimiser les ressources, autant l’utiliser pour autre chose, comme lutter contre les discriminations, égaliser les élèves et puis pour les mixer un peu, aussi.
Encore une fois, l’idée de base est à la fois simple, facile à mettre en œuvre et parfaitement idiote : on va mélanger les élèves des classes aisées avec les élèves des classes défavorisées, ce qui va instantanément se traduire par une amélioration générale des performances des uns et des autres parce que, parce que, parce que bon voilà.
De façon surprenante, ça ne marche pas.
Décidément, les gens sont vraiment méchants en refusant ainsi de se conformer aux injonctions de l’État, du ministère et de toute la société qui, par ses porte-paroles officieux (journalistes, philosophes, sociologues et experts pédagogos rigolos) s’empresse de faire comprendre à tout ce petit monde réfractaire que, pourtant, la mixité est absolument souhaitable, indispensable même, pour faire de beaux citoyens républicains et ouverts sur le monde.
Bien sûr, tout ceci se déroule dans la plus grande discrétion : « On ne veut surtout pas faire de bruit » confie-t-on à voix basse et regard fuyant dans l’entourage du ministre. Eh oui, il en faut, de la discrétion pour un tel projet : tout le monde sait que lorsque toute une société vise, comme un seul homme, à une belle mixité, lorsque tout le monde est d’accord pour tenter des expériences, la plus grande discrétion est de mise de peur, sans doute, de recueillir trop vite l’assentiment massif et les vivats de la foule.
Najat est donc lancée, telle un petit train à vapeurs (éthyliques ?), et plus rien ne pourra arrêter la délicieuse
Cela n’est pas sans poser quelques problèmes, comme le souligne un ardent défenseur de ce triomphe en devenir, Stéphane Troussel, le président socialiste (assurément socialiste, et socialiste assumé) de la Seine-Saint-Denis, qui ne peut s’empêcher de poser une question pleine de cette réalité poisseuse qui va singulièrement compliquer les torsions belkacémiennes : « Oui, enfin quand vous n’avez aucune mixité sociale sur l’ensemble de la ville, vous faites comment ? »