C’est ainsi que le RSI, le Régime Social des Indépendants, se classe sans conteste comme la pire branche de sécurité sociale que l’administration française peut imposer à ses ressortissants, comme j’ai pu le relater à plusieurs reprises dans ces colonnes.
Il serait cependant dommage d’oublier l’aspect dynamique de la conjoncture française actuelle : la course à la catastrophe administrative est lancée et si, indéniablement, le RSI tient sans conteste le haut du podium dans la médiocrité du service rendu et dans la dangerosité de ses exactions envers ses cotisants, l’organisme est de plus en plus talonné par une autre magnifique construction sociale aux délires administratifs totalement incontrôlés.
La CIPAV, la « caisse interprofessionnelle d’assurance-vieillesse », est la plus importante caisse de retraite des professions libérales et regroupe plus de 300 professions libérales. Et à bien y regarder, elle semble faire à peu près tout ce qu’elle peut pour modifier durablement l’opinion publique à l’égard du RSI en fournissant plus de cas tordus, plus d’affaires litigieuses, plus de scandales, plus d’exactions financières que le tenant du titre, pourtant en mode turbo, n’est déjà capable de fournir.
Depuis 2014, on savait déjà de source sûre que la CIPAV était – euphémisme puissant – « mal gérée », grâce à un rapport particulièrement circonstancié et sans la moindre ambiguïté de Didier Migaud, président de la Cour des Comptes, qui y dénonçait « la gestion désordonnée, les graves dysfonctionnements et le service déplorable de la plus grosse des caisses de retraite des professions libérales ».
Fin 2015, on apprenait, aussi consterné que pas du tout surpris, que les dirigeants de cet établissement étaient condamnés à des amendes pour des faits graves de favoritisme, après avoir passé plusieurs millions d’euros de commandes sans passer d’appel d’offres : Jean-Marie Saunier, aujourd’hui directeur de la caisse nationale d’assurance vieillesse des professions libérales(CNAVPL), à laquelle est justement rattachée la CIPAV, a été condamné à 15.000 euros d’amende et deux mois de prison avec sursis pour avoir passé 22 millions d’euros de commandes (une paille) sans avoir publié d’appel d’offres alors qu’il dirigeait le groupe Berri, groupe chargé de mutualiser la gestion du personnel et le système informatique de quatre caisses de prévoyance … Dont la CIPAV, déjà épinglée par Migaud. À côté de Saunier était aussi condamné François Durin, aujourd’hui à la retraite, et alors son successeur dans le groupe Berri.
Rassurez-vous : d’une part, les condamnations des coupables n’ont pas été portées à leur casier judiciaire, parce que, parce que bon… Et d’autre part, la CIPAV n’a pas jugé utile de se porter partie civile dans l’affaire, parce que, parce que bon, aussi. On pourra sourire de la mansuétude de la justice tout en oubliant que certains individus, poursuivis par le RSI, l’URSSAF ou la CIPAV, auraient sans doute aimé bénéficier de la même largesse d’esprit.
Depuis, de l’eau a coulé sous les ponts et, pourrait-on croire suite au rapport dévastateur de la Cour des Comptes et ces délicates affaires judiciaires, l’organisme s’est attelé à améliorer ses pratiques pour, enfin, fournir des prestations à la hauteur des Services Publics Que Le Monde Entier Nous Envie.
Manque de bol, les responsables ont eu poney et les pratiques catastrophiques continuent donc de plus belle. C’est la conclusion qu’on peut tirer de l’intéressante lecture d’un très récent article de Capital au sujet de la CIPAV et qui revient en détails sur des cas, aussi édifiants que consternants, illustrant à quel point rien n’a véritablement changé.
Du reste, il suffit de parcourir la presse régionale ou les commentaires de ces articles pour trouver de nombreux autres exemples, là encore tout à fait d’actualité, qui brossent un portrait sans guère de zones floues : cette caisse, qui gère les professions libérales, est devenue un véritable enfer de mauvaise gestion, de dossiers égarés, de prestations calculées de travers, d’appels de cotisations fantaisistes et autres poursuites juridiques farfelues entraînant parfois des situations invraisemblables et particulièrement épuisantes pour les
Le pompon est sans problème atteint lorsqu’on sait que la CIPAV impose désormais le prélèvement automatique à ses affiliés. Autrement dit, lorsque l’organisme se trompe dans sa ponction (et apparemment, ô combien il se trompe !), le compte de l’affilié se voit vidé sans qu’il ne puisse rien dire, et il lui est pour ainsi dire impossible de se faire rembourser sans en passer par la case Procès, longue et coûteuse au moins nerveusement.
Peut-être le nouveau contrôle dont l’institution fait l’objet permettra de remettre en question les affirmations de Capital et les témoignages pourtant nombreux de dysfonctionnements, mais le simple fait que le rapport suite à ce contrôle aurait dû être publié depuis plusieurs semaines et soit toujours en cours d’élaboration laisse présager de nombreux points encore litigieux.
Quoi qu’il en soit, le petit historique présenté ci-dessus amène quelques réflexions.
Comment se fait-il qu’encore une fois, une institution chargée de gérer un aspect de la couverture assurantielle d’individus non salariés soit le cadre de dérives aussi manifestes, d’une gestion aussi déplorable de ses prestations, d’une qualité de service à ce point mauvaise ? Comment ne pas noter le parallèle saisissant qu’il peut y avoir avec le RSI ?
Or, alors que le RSI est devenu une véritable « cause nationale » dont le premier ministre s’est emparé, combien de maux, de procès, de misères la CIPAV devra-t-elle déclencher pour que nos politiciens se penchent sur son cas ?
En réalité, on assiste au naufrage complet, inéluctable et catastrophique de toute la partie assurance maladie et vieillesse des professions libérales. Rendons-nous à l’évidence : les autorités ont très manifestement choisi de favoriser les salariés dans le sauve-qui-peut des administrations pour tenter de camoufler la déroute complète du système de Sécurité Sociale.
Ce sera, bien sûr, insuffisant, trop peu, et trop tard : les différents gouvernements ont choisi de faire durer l’agonie aussi longtemps que possible, dans une magnifique resucée d’Après Moi Le Déluge mâtinée d’un petit Plus Près De Toi Mon Dieu rendu célèbre par un naufrage titanesque, plutôt que favoriser un retour à la liberté des Français de s’assurer comme ils le souhaitent.