Or donc, la France n’a plus un rond. C’en serait comique si ce n’était pas l’aboutissement de quarante années d’incuries, de dépenses inouïes dans la décontraction que seule une parfaite opacité mentale autorise. Force est de constater qu’il faut maintenant trouver de quoi combler un budget annuel nanométriquement dosé pour ne froisser personne, finement ciselé au microscope à effet tunnel alors que des coupes à la tronçonneuses seraient à peine suffisantes.
Deux voies se dessinent.
La première a déjà donné quelques doutes à ces Français (naïfs) qui croyaient au changement : c’est l’averse drue de taxes et de ponctions. Certains, ingénus voire heureux, se découvrent riches à un point qu’ils ne soupçonnaient pas. Les prochains tiers d’impôts à débourser les conforteront dans le bonheur équivoque de participer à la
La seconde est en cours d’expérimentation : elle consiste à faire faire, autoritairement, des économies aux uns et aux autres. Bien évidemment, il ne s’agit pas de trancher dans le vif. François Hollande l’a bien expliqué : tout devra se passer dans une tempête de bisous républicains (dont il est, lui, président), ce qui, outre une mollesse théâtrale et une apathie anesthésiante, se traduit par des micro-ajustements dans des domaines où, traditionnellement, l’État n’avait pas à intervenir et où le ridicule le touche immédiatement dès qu’il le fait.
Ça n’a donc pas loupé.
Le dessert fromager a décidé que son équipe occuperait les esprits et le législateur sur de petites nouveautés passablement idiotes sous couvert d’économies : cela donne le change, ça justifie des montagnes d’indemnités, des commissions, des rapports, et ça fait même écrire les chroniqueurs ! Alors on va s’attaquer aux petites économies ridicules, presque comiques, à la cosmétique, celles qui ne font pas de mal parce que leurs coûts, au final aussi absurdes qu’exorbitants, seront répartis sur des millions de victimes plus ou moins consentantes.
On va obliger, mécaniquement, les gens à moins se chauffer par une augmentation des tarifs ou en empêchant une exploitation des ressources locales. On va par exemple faire comprendre à tout le monde que le diesel (carburant raffiné importé à grand frais), ça pollue, c’est très vilain pour les bronches, pour, de l’autre, favoriser à nouveau l’essence ; à ce sujet, ce dernier est raffiné localement, mais comme on l’achète moins (parce que l’Etat a favorisé le diesel à mort), les raffineries ferment.
Et puis surtout, on va obliger les gens à couper la lumière la nuit.
Parce que vous comprenez, toute cette électricité qui est majoritairement produite par des centrales nucléaires, il ne faut pas l’utiliser la nuit, c’est mal. Bien sûr, ça n’aura aucun impact sérieux et réel sur notre facture énergétique, mais l’important, c’est le geste ! Alors c’est décidé, le 1er juillet de cette année, les magasins devront couper la lumière de leurs vitrines. Les mairies arrêteront d’illuminer les monuments et les points remarquables. Éteignons tout cela, que diable, ce n’est plus tendance, voyons !
Mais voilà : comme à présent, les Français se doutent bien que cette histoire d’économie en coupant les lumières la nuit, c’est du gros flan mou, le gouvernement a déjà commencé à préparer le terrain. Pour faire passer cette idée anti-lumineuse, on n’aura qu’à dire qu’il s’agira certes d’une opération d’économie d’énergie, mais aussi une magnifique occasion de faire de l’écologie à double tranchant : d’un côté, cela fera moins de CO2 rejeté dans l’atmosphère (mais si, même si c’est nucléaire, et qu’il n’y aura pas de différentiel de production, ça le fera, qu’on vous dit) et puis surtout, cela va protéger la nuit !
Et pour bien comprendre la problématique, il faut donner la parole (et la retransmettre avec force dans les médias) à Anne-Marie Ducroux, qui est la célèbre présidente de l’ANPCEN, la non-moins légendaire association nationale pour la protection du ciel et de l’environnement nocturne. Comment ça, vous n’en aviez jamais entendu parler ? Comment ça, vous ne savez pas de quoi ça parle ? Mais enfin, sur quelle (sombre) planète vivez vous ? C’est Mme Ducroux qui a prouvé, dans un calcul précis et reconnu par des douzaines de journalistes sur toute la planète que le nombre des éclairages publics a progressé de 64% en vingt ans (64 putain de fucking pourcent, vous vous rendez compte c’est totalement HALLLLLUCINANT quand on y pense !). Et c’est carrément catastrophique quand on sait qu’en plus, la durée d’éclairage passait de 2400 à 4000 heures dans le même temps ! C’est MONSTRUEUX ! Il y aurait, selon ses estimations (qui font froid dans le dos mais qui permettent d’y voir clair dans les ruelles sombres) des millions, oui, je dis bien, DES MIYONS d’enseignes allumées la nuit ! Si l’on y ajoute les bureaux inoccupés, et les mairies qui ne font rien qu’à succomber aux charmes des « plans lumières » qui balayent, la nuit, les ponts ou les monuments des cités, il faut bien comprendre que la France est devenu un véritable spot lumineux dans la galaxie, un pulsar vibrant d’énergie lumineuse qui grille inutilement les rétines de millions de petits animaux !
Devant telle calamité, Mme Ducroux ne peut s’empêcher de s’écrier :
« Si l’on voyait un robinet couler, on l’éteindrait. Pourquoi ne pas faire de même avec la lumière ? »C’est vrai, ça, quoi bon. Tout le monde sait qu’on peut se passer de boire pendant une heure ou deux. Et pour la lumière, c’est pareil : un éclairage furtif d’une petite seconde permet de bien apprécier tous les petits meubles bas de la pièce et de la traverser sans encombre. Et puis un commerce qui s’éteint, c’est un socialiste qui sourit, c’est un écolo qui frappe des mains, et c’est bien plus joli. Il n’y a bien qu’un salaud de boutiquier capitaliste pour oser prétendre que, je cite,
« Tout le monde aime les vitrines illuminées, et pas seulement à Noël. »Pfu. N’importe quoi. Tout le monde sait bien que ces vitrines illuminées, ça crée de l’envie, de la jalousie, des besoins. Rappelez-vous, quand, du temps de Brejnev (Béni Soit Son Nom), était épargné aux fiers ouvriers la vision cauchemardesque et les bas instincts animaux de possession grâce à d’habiles fermetures de magasins et à l’absence d’électricité la nuit ! D’ailleurs, cette saine méthode est encore en vigueur dans certains pays, et les gens sont ra – vis !
Finalement, même si tout ceci est presque drôle, il ne faudrait pas oublier que ce n’est que l’illustration de deux tendances : d’un côté, ces humains, un peu fous, qui voulurent combattre la nuit et y parvinrent par intelligence, ingéniosité et beaucoup de travail. Et de l’autre, ceux qui combattent la lumière.
Ce n’est ni anodin, ni fortuit.