Et en termes de désastres usuels, je pourrais toujours m’épancher sur le dernier bulletin de notes du petit Michel Sapin, dont l’internat à Bercy se poursuit d’autant mieux que la cantoche y est plutôt bonne, les surveillants ont les dents limées et que, hasard de l’actualité, absolument plus personne n’a rien à carrer de ce qui peut bien s’y passer. Peu importe donc que la croissance enregistrée soit plusieurs décimales inférieure à celle prévue, que le budget de l’État continue de s’enfoncer dans les déficits, tout comme il importe aussi peu que, fanfaronnant, le même Sapin s’ébaubisse joyeusement de son « sérieux budgétaire ».
Je pourrais : il y a matière à se tordre les côtes, et ce ne sont pas les journalistes qui risquent de me gêner le passage, occupés qu’ils sont à compter les emplois fictifs ou non de Fillon. Mais comme d’autres l’ont fait avant moi avec brio, je ne m’attarderai pas.
Je choisis plutôt de me pencher sur l’intéressant cas d’Autolib, énième avatar d’idée tordue destinée à résoudre un problème posé de travers et mise en pratique n’importe comment par des gens dont l’improvisation, l’impréparation et l’incompétence sont devenues une véritable marque de fabrique.
Au départ et comme d’habitude, tout commence mal puisque tout part du constat (faux) qu’il faut absolument que la puissance publique fournisse une solution de transport économique et écologique aux Parisiens, tout en sabotant consciencieusement tout usage de la voiture dans la capitale. Le moyen de transport proposé devant être non polluant, c’est le principe électrique qui est choisi (tout le monde sait que l’électricité est produite sans CO2 à partir de pets de licornes 100% bio-dégradables et qu’elle est stockée dans des cabas de Fées Clochette qui ne polluent pas plus). La MIA étant écartée car dans le giron pictocharentais défendu férocement par la Dame Aux Caméras (et avec quels résultats !), c’est le breton Bolloré qui sera choisi par la mairie de Paris pour installer moult bornes et force voiturettes électriques dans la Ville Lumière.
Quelques années s’écoulent pendant lesquelles les habitants de la capitale ont pu tester le concept, bugner les voitures, fumer dedans, dégrader les bornes et les abris de stations et payer leurs impôts locaux en hausse constante et vigoureuse pour éponger partiellement les petits soucis de trésorerie que l’invention miraculeuse provoque avec décontraction.
Pendant ce temps, Bolloré exporte le concept aux quatre coins du monde, autant chez les latins qui s’accommoderont sans mal du sens particulier donné à « service à l’équilibre » que dans le monde anglo-saxon où la rentabilité est normalement la condition sine qua non. De toute façon, rassurez-vous puisque l’Anne de Paris a clairement déclaré qu’Autolib ne perd pas d’argent et qu’il n’y a donc aucune raison de s’inquiéter : pour la frétillante bourgmestre, le système Autolib
« n’est pas en déficit (…) il n’y a pas aujourd’hui de pertes. Pour l’instant, cela ne coûte pas plus cher que prévu ni pour la ville, ni pour les personnes qui l’utilisent, même s’il faudra bien sûr se reposer la question du modèle économique. »Chouette, chouette, youpi, enfin une initiative municipale qui ne perd pas d’argent ! C’est toujours bon à prendre, surtout par les temps qui courent à la Mairie de Paris où les déficits s’ajoutent aux dettes, aux difficultés de trésoreries et aux trous malencontreux dus à des imprévus budgétaires regrettables.
Malheureusement, … tout le monde n’en est pas autant convaincu : le syndicat Autolib’ Métropole, qui réunit les communes accueillant Autolib’, s’est malgré tout engagé sur le chemin tortueux d’un audit complet des comptes du système de voitures partagées, afin de confirmer ou d’infirmer les chiffres récemment annoncés par le groupe Bolloré et qui font état d’un ahem broum déficit potentiel kof kof kof de gnignieuf millions d’euros.
… Hrmmrf je disais un déficit potentiel de 179 millions d’euros. C’est un gros potentiel. Un hippopotentiel, en quelque sorte, d’autant que le groupe Bolloré est en charge de ce service jusqu’en 2023, ce qui laisse encore de nombreuses années d’une performance édifiante. D’ici là, on peut raisonnablement douter que l’équilibre sera atteint : depuis 2011 où le service a été mis en place, le point mort de rentabilité est doucement passé de 50.000 abonnés à 65.000 puis 80.000 et avec plus de 100.000 abonnés actuellement, Autolib continue d’accuser des pertes, alors même que les différentes contraintes et vexations anidalguesques favorisent outrageusement les voiturettes.
En réalité, tout semble pointer vers une bonne dose de capitalisme de connivence bien sirupeux : la ville de Paris sert de vitrine à une expérimentation coûteuse, moyennant quoi, les voiturettes de golf boostées peuvent s’introduire sur différents marchés de par le monde. Les difficultés inhérentes à l’essuyage de plâtre, à la recherche du bon tarif et aux modes de financement de toute l’infrastructure seront généreusement facturées aux Parisiens qui, en échange, bénéficieront de moyens de transports coûteux, sales, polluants et mal entretenus.
Parallèlement aux difficultés logiques de maintenir un parc de véhicules spécifiques produits en petite quantité et dans un cadre particulièrement agressif, Autolib doit de surcroît composer avec des concurrents de diverses natures qui ne facilitent en rien la tâche.
D’une part, les efforts constants de lutte contre l’automobile dans la capitale finissent par impacter négativement la praticabilité des rues parisiennes : en gros, c’est le bordel à Paris. Electrique ou non, une voiture doit se frayer un chemin dans les embouteillages savamment orchestrés par une municipalité devenue folle. On se consolera en se disant qu’à l’arrêt en attendant la décongestion suite à la fermeture des voies sur berge, au moins les Autolibs ne polluent pas. Certes. Mais elles n’avancent pas plus.
D’autre part, le Parisien aura vite fait le calcul qu’en face existent aussi des alternatives nettement plus séduisantes, soit en termes de service, soit en termes de tarifs ou de praticité. Je passe rapidement sur les VTC, Uber et autres nouveaux arrivants qui cantonnent bien souvent l’usage d’une Autolib à quelques bobos précieux, et je pourrais aussi citer les nouvelles formes de location mises en place par de grands constructeurs comme Daimler avec Car2Go ou BMW avec DriveNow qui se comparent avantageusement avec les Hidalgocars.
Au problème de déplacements dans la capitale, le marché, malgré les monceaux de réglementations idiotes et de barrières à l’entrée monstrueuses, parvient à fournir plusieurs solutions crédibles et dont les éventuelles pertes ne seront assumées par aucun contribuable. A contrario et comme je le mentionnais, Autolib a tout de l’idée tordue pour résoudre un problème posé de travers et mise en pratique n’importe comment par des gens incompétents.
Décidément, il n’y a pas à tortiller : le socialisme, c’est magique.