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Vincent Benard

Vincent Benard

Vincent Bénard est analyste à l'Institut Turgot (Paris) et, depuis mars 2008, directeur de l'Institut Hayek (Bruxelles). C'est un spécialiste du logement et  de la crise financière de 2007-2008 (subprimes). Grand défenseur du libéralisme économique, Vincent décortique tous les errements des Etats providence !

La Grèce, une chute tellement prévisible... et prévue

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Nombre de commentaires : 2 réactions

Complètement à court de temps, j'ai quelque peu délaissé le clavier malgré l'actualité brulante. L'occasion de me retourner vers mes vieux articles sur la Grèce, dans lesquels, avec quelques autres à l'époque asssez rare, comme "notre" Loïc Abadie ou le gérant de fonds Olivier Delamarche, disaient qu'il ne fallait surtout pas aider la Grèce, que cela ne faisait que repousser les problèmes. Naturellement, l'Europe des politiciens étatistes a voulu faire croire qu'elle pouvait maîtriser la situation. Flash Back:


4 novembre 2008: "Un changement de cap économique est indispensable"


"Par conséquent, la compétition des états endettés pour attirer les faveurs des détenteurs de capitaux va être plus rude. Et le phénomène que j’anticipais en Août est en train de se produire : cette compétition rend les prêteurs plus sélectifs et tend à remonter la "prime de risque" demandée aux emprunteurs considérés comme un peu moins fiables que les meilleurs.

(...)

La crise a permis aux états drogués à la dette de s’offrir en septembre un énorme shoot d’héroïne, pardon, de crédit, à bon compte, mais la fête semble finie.

(...)

Concrètement, cela veut dire que lorsqu’une "vieille" tranche d'emprunt d’état va arriver à échéance, l’état débiteur, s’il ne réduit pas sa dette par une politique d’excédents budgétaires, devra la remplacer par un nouvel emprunt au moins équivalent qui risque de lui coûter plus cher, voire beaucoup plus cher. Pire encore, s’il accroît ses déficits, les nouvelles tranches émises seront  plus importante que celles arrivant à maturité: tout déficit ne peut être financé que par de nouveaux emprunts. L’intérêt qu’elles feront donc supporter aux contribuables n’en sera que plus élevé.

De fait, les intérêts payés par les états les moins bien jugés par les investisseurs vont fortement augmenter.

10 Décembre 2009 : "Grèce, Espagne, France: non à un sauvetage européen !"

Revenons à l'argument selon lequel seul un sauvetage, un "bailout" de la Grèce, si elle venait à entrer en défaut sur sa dette prouverait que l'Europe politique existe, et que la zone Euro permettrait une solidarité effective entre membres.

L'Europe, crédible ou crédule ?

Mais si la Grèce en est arrivée là, c'est bien parce que ses gouvernants se sont ingéniés à truquer leurs comptes et à dépenser sans la moindre retenue, plutôt que de réformer leur état providence, ou plutôt leur état catastrophe, car ils espéraient bénéficier de la générosité de leurs "partenaires" en cas de faillite: un exemple de "Moral Hazard" entre états rendu possible par la monnaie unique. Bref, la Grèce s'est comportée en parfait passager clandestin de l'Europe. Non, Nicolas Doze, la solidarité européenne n'est pas signe de la crédibilité de l'Europe politique, mais de sa crédulité.

Pourquoi les citoyens-contribuables européens des autres nations devraient ils se montrer solidaires de gouvernements grecs qui ont si ouvertement abusé de la "bienveillance irresponsable" des autres états, lesquels ont préféré jouer les autruches plutôt que d'accepter de regarder en face la réalité, à savoir l'insoutenabilité de l'extension simultanée de toutes les dettes publiques ?

La France n'aura pas de bouée de sauvetage européenne quoiqu'il arrive

"Ah ça mais", me direz vous, "mais si l'Europe lâche la Grèce, elle ne pourra pas venir nous soutenir quand nous, Français, serons dans la mouise !".

Certes. Mais de toute façon, au vu de l'état des finances publiques dans la zone Euro, si la France doit tomber, c'est que l'Italie ou l'Espagne risquent de l'avoir précédé, pour ne parler que de ceux là. Et là, même l'Allemagne, elle même exsangue, ne pourra rien faire face à l'ampleur des ardoises en présence. Quand bien même elle le pourrait, les électeurs Allemands ne sont pas des imbéciles, et l'équipe au pouvoir serait durement sanctionnée si elle devait se livrer à un détournement de la toute relative vertu allemande pour nourrir l'addiction aux vices dépensiers des pays "du club Med".

Certains politiciens français s'illusionnent encore en espérant que l'Allemagne accepte de participer à un cartel d'émission d'emprunts européens pour permettre aux nations inspirant moins confiance de trouver tout de même des fonds sur les marchés internationaux. Mais les investisseurs, s'ils sont parfois aveugles, finiront par se rendre compte que l'Allemagne, si grande soit-elle, ne peut à elle seule garantir toutes les frasques budgétaires de ses voisins du sud de la Zone Euro. D'ailleurs, les ministres allemands ont déjà fait savoir que l'idée ne leur paraissait pas très bonne. Doux euphémisme.


Monétisation de la dette: le remède serait pire que la mal

Si la voie choisie en cas de difficultés venait à être celle d'une réforme expresse de la BCE, visant à lui permettre de monétiser la dette des états tombant en cascade, non seulement l'Europe ne sera pas "plus crédible politiquement", mais LA CREDIBILITE DE LA ZONE EURO en tant qu'espace de stabilité monétaire AURA VECU.

Pire encore, elle donnera aux états tels que l'Italie ou la France un signal très fort de continuation des gabégies, avec, une fois passée le creux déflationniste que nous vivons à cause de l'explosion des bulles de dettes un peu partout dans le monde, un retour des inflations comprises entre 10 et 20% voire plus. Ces périodes se caractérisent par une volatilité de l'inflation telle qu'elles rendent très difficiles la moindre projection à long terme des agents économiques, ce qui est dramatique pour l'investissement, et par là même l'emploi. Or, pour sortir de la crise, le monde a désespérément besoin d'innovation, ce qui signifie de l'investissement, lequel réclame stabilité monétaire... Et aussi, une fiscalité marginale raisonnables, et un faible "effet d'éviction" par aspiration de l'épargne privée pour financer la dette publique.

5 Mars 2010 : "La Grèce aurait intérêt à adopter une Flat Tax pour tenter de redresser ses comptes"

Selon Forbes, la Grèce occupe une peu flatteuse 10 ème position de son "Tax Misery Index". Si les taux marginaux des impôts sembleront "normaux" vus de France, avec par exemple 40% pour l'Impôt sur le Revenu, comme ici, les grecs ne sont pas de cet avis puisqu'ils fraudent massivement, faute d'une justice visiblement peu active lorsqu'il s'agit de pourchasser les abus des puissants.

La Grèce devrait s'inspirer de l'expérience des pays de l'Est qui ont pour beaucoup d'entre eux fait face dans les années 90 aux mêmes problèmes de fraude fiscale massive et de rentrées fiscales médiocres alors que les taux étaient en constante augmentation. Leur réponse: une "Flat Tax".

(...)

La Grèce pourrait donc calculer le pourcentage de son produit fiscal comparé aux sommes déclarées, faire de ce résultat son nouveau taux de Flat Tax, et transformer ainsi son impôt progressif actuel en impôt proportionnel.

Sans doute devrait elle conjointement amnistier totalement tous les revenus et capitaux sous-déclarés et frauduleusement évadés par le passé, et annoncer une forte augmentation des peines pour les futurs fraudeurs. De cette façon, les incitations à frauder le fisc, et les possibilités de le faire faute de niches, diminueraient drastiquement, celles à entreprendre, à prendre des risques, à produire plus pour les personnes à haut potentiel augmenteraient tout aussi fortement, ce qui assurerait en 4 à 5 ans un redressement des comptes publics grecs en même temps que l'économie retrouverait le chemin de la prospérité, toutes choses égales par ailleurs. Naturellement, cela ne doit pas inciter le gouvernement grec à ajourner ses coupes dans les dépenses publiques. De plus, sans doutes certaines réformes législatives autres que la fiscalité (retraites, droit des affaires) sont elles indispensables.

Une efficacité empiriquement éprouvée

Ces recettes simples ont donné d'excellents résultats dans les pays baltes ou en Russie**, et dans bien d'autres pays***, tant en terme d'équilibre budgétaire que de croissance économique. En Russie, le remplacement d'un impôt gruyère taxé marginalement à plus de 30% par une flat Tax à 13% en 2001 a produit, en 5 ans, une augmentation du produit fiscal de cet impôt de 128%, ajustée de l'inflation !

Naturellement, l'assiette de l'impôt ainsi adopté devrait être la plus large possible, et le taux le plus faible. Dans l'absolu, la "flat tax" idéale se calcule avec deux taux identiques pour l'impôt sur les ménages et l'impôt sur les sociétés, et pour ce dernier, les intérêts payés aux créanciers ne sont pas déduits de la base taxable (principe de neutralité fiscale)

La Grèce, financièrement en ruines, montrée du doigt pour ses fraudes comptables, et humiliée par les perspectives de mise sous tutelle auxquelles elle doit faire face, ne s'en sortira pas sans une remise en cause complète de ses paradigmes fiscaux et sociaux. La Flat Tax serait sans aucun doute l'un des meilleurs choix qu'elle puisse faire pour retrouver son attractivité, une certaine prospérité, et peut-être plus encore, son honneur.

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* Digression : en Fait, pour la France, j'ai proposé une implémentation un peu plus subtile de la Flat Tax ici. Les chiffres cités étaient ceux d'avant crise, ils auraient sans doute besoin d'un coup de plumeau...

** Comme je l'ai déjà dit par le passé, le fait qu'une bonne réforme, parmi de nombreuses mauvaises, ait été conduite par un  autocrate comme V. Poutine ne discrédite pas la mesure en elle même, qui a parallèlement été adoptée par nombre de petites démocraties. Merci d'épargner aux lecteurs les arguments fondés sur la rhétorique "Poutine est un méchant" dans les commentaires éventuellement en désaccord, ça ne fait pas avancer le débat.

*** L'économiste Alvin Rabushka a écrit pas mal d'articles évaluant les effets des Flat Taxes adoptées par divers pays ici. Il tient en outre un blog dédié à l'observation des effets des flat taxes au plan mondial.

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Et je rappelle quelques avertissements prémonitoires, cette fois ci pour la France, à une époque ou tous les économistes dits "sérieux" affirmaient la main sur le coeur qu'un état ne pouvait pas faire faillite : 

octobre 2004 : Le dérapage de nos finances publiques nous emmène droit dans le mur

Janvier 2009 : L'euro va-t-il exploser ?

mai 2010 : Le piège mortel de la dette publique

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Promis, je me remets au boulot et j'essaie de produire des "vrais" nouveaux articles cette semaine.

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2 commentaires

  • Lien vers le commentaire Vincent BENARD mardi, 13 septembre 2011 11:50 Posté par Vincent BENARD

    Bonjour

    Je reste modeste et je reconnais que si le phénomène était anticipable, j'ai totalement sous estimé la capacité des états à faire croire qu'ils pouvaient tenir à faire bricoler le système. Quand j'écris en 2004 qu'on va dans le mur, je suis incapable de dire que "ce sera en 2011-2012", et honnêtement, Je le voyais arriver avant.

    C'est d'ailleurs pour cela que je ne suis pas trader: un "bon" économiste (c'est ironique) est généralement incapable de déterminer le timing des événements. Quand on vous dit que les économistes ne servent pas à grand chose, ce n'est pas totalement une blague.

    Le Trader non plus, ne sait pas prévoir longtemps à l'avance, mais au moins, lui, avec ses "courbes magiques", il les voit arriver quelques heures ou quelques jours avant, ce qui lui permet d'anticiper. Le court termisme n'a pas que des mauvais côtés !

    Bref, si les choses se passaient "normalement", la grèce serait reconnue en défaut aujourd'hui, ou au pire au 17 octobre prochain. Mais je ne peux exclure que les politiques sortent un lapin de leur chapeau pour faire croire qu'ils ont solutionné le problème, solution qui tiendra de quelques jours à quelques mois.

    Je reviens au problème de la prévision:

    Pour reprendre une métaphore, le trader est un météorologue qui prédit avec de plus en plus de précision le temps à 1 jour au fur et à mesure qu'il devient expérimenté.

    L'économiste est un climatologue, qui adhère à une chapelle religieuse ou à une autre, qui affirme que sa religion est soutenue par la science, qui traite l'autre camp de crétins, qui se trompe souvent, et n'en souffre jamais professionnellement.

    Donc, pour du conseil financier, adressez vous à un trader ! ça tombe bien, il y en a quelques uns sur Ob'eco.