Acrithène
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Acrithène est doctorant en finance, auteur d'un blog où il tente de combler le fossé séparant la science économique du grand public.
Le Blog d'Acrithène
Le pacte de responsabilité est une embrouille
Audience de l'article : 1983 lecturesSans aucun doute, le « pacte de responsabilité » est un concept qui sonne, même à l’oreille peu avertie, plus pipologique que mathématique. Et comme tous les concepts ainsi définis, il a le potentiel de générer des débats sans queue ni tête. D’un côté du champ de bataille, ses promoteurs défendent les emplois créés par une réduction du coût du travail. A l’opposé, ses adversaires dénoncent un cadeau fait, sans contrepartie, au patronat.
Ce débat est ubuesque pour la simple raison que les cotisations sociales ne sont, pour l’essentiel, pas payées par les entreprises. En conséquence, ne faisant pas partie du coût du travail, leur réduction n’est ni un cadeau pour les entreprises ni une piste prometteuse pour lutter contre le chômage. Ce qui, bien entendu, ne signifie pas qu’il ne faille pas les baisser.
Suis-je à ce point ignorant qu’il faille me montrer une feuille de paye pour me faire constater que les entreprises doivent s’acquitter de cotisations patronales conséquentes ? Justement, le « pacte de responsabilité » n’est finalement qu’une embrouille parmi un spectacle de prestidigitation qui dure depuis des décennies et dont l’illusion fondamentale est le partage légal du financement de la Sécurité Sociale entre salariés et employeurs.
L’idée que l’Etat répartit, par des taux administratifs, le poids des charges sociales entre employeurs et salariés n’a que trois conséquences concrètes. Organiser un débat absurde sur la définition de ces taux. Faire croire à la population salariée qu’elle obtient un service remarquable au regard de ce qui lui en coûte. Et enfin de devoir consacrer trente minutes du cursus de sciences économiques à expliquer aux étudiants que cette répartition légale n’a aucune espèce d’importance. Comme le résume Joseph Stiglitz dans manuel (1988), « cela ne fait aucune différence que les cotisations sociales soient payées pour moitié par l’employeur et pour moitié par le salarié, ou entièrement par l’un ou l’autre. »
Ce n’est pas l’Etat qui décide de qui paye les charges sociales (et les impôts en général), mais l’offre et la demande. La partie qui sur laquelle tombe le poids des cotisations est celle qui ne peut dire à l’autre : « si tu ne les prends pas à ta charge, je m’en vais ». Que les salariés décident de démissionner s’ils n’obtiennent une augmentation de salaire pour compenser la hausse des charges, et les employeurs devront prendre à leur charge des cotisations dîtes salariales. Que les employeurs réduisent leur demande de travailleurs en réaction à une hausse des charges dîtes patronales, et le salaire net de l’économie baissera (ou ralentira) de sorte que le coût en sera en définitif porté par les salariés.
En somme, l’Etat décide de la somme des taux, et les mécanismes décrits plus haut se chargent de la répartition réelle de l’impôt, de ce que les économistes appellent « l’incidence fiscale ». Le taux administratif ne fait que créer une ligne comptable, le salaire brut, qui n’intéresse ni l’entreprise (ce n’est pas ce qu’elle paye) ni le salarié (ce n’est pas ce qu’il reçoit).
Evidemment, cette illusion existe depuis plus d’un demi-siècle et imprègne si bien la société toute entière qu’on n’hésite pas à bâtir des politiques économiques dessus. Leur effet, généralement contenu dans la marge de l’inflation, est limité au temps de renégociation des salaires. Aussi, la première question à se poser est de savoir qui paye les cotisations patronales ? En effet, si ces cotisations sont réellement payées par les salariés, la mesure ne changera, à moyen terme, ni le coût du travail ni le taux de chômage.
Trois intuitions théoriques conduisent à penser que les charges sont essentiellement portées par les salariés. La première est que le coût du travail est lié à la productivité au sein d’un marché qui dépasse les frontières nationales. On ne peut faire payer aux entreprises le coût de la santé si elles peuvent s’installer ailleurs. La seconde est que les entreprises sont plus enclines à adapter leur masse salariale au coût du travail que les salariés ne sont sujets à adapter leurs temps de travail aux variations du salaire net. La dernière raison est que le salarié devrait être relativement indifférent à l’existence des cotisations vu que celles-ci lui sont rendues sous la forme de prestations. Bien sûr, cette dernière condition suppose une Sécurité Sociale relativement efficace.
D’un point de vue empirique, un grand nombre de pays, France comprise, ont connu des variations de taux de cotisations depuis la création des Etats-providence. La plupart du temps à la hausse, mais parfois aussi à la baisse. Un résultat récurrent se dégage des études empiriques sur ces politiques : les variations de cotisations se répercutent sur les salaires nets et non sur le coût du travail, et surtout n’ont en conséquence pas d’effet significatif sur le chômage. Le cas le plus frappant et extrême est sans doute la suppression de la Sécurité Sociale chilienne en 1981. Sur la seule année 1982, les cotisations patronales chutèrent de 8.5% au Chili, sans effet ni sur le taux de chômage ni sur le coût du travail (Gruber, 1997).
Les emplois au SMIC constituent une exception importante à ces raisonnements, dans la mesure où la contrainte légale empêche le marché de s’ajuster librement. Mais dans ce cas faudrait-il concentrer la réduction de charges sur cette partie de la population, voir prendre le problème à la racine en supprimant le salaire minimum.
Gruber, Jonathan, 1997. "The Incidence of Payroll Taxation: Evidence from Chile," Journal of Labor Economics, University of Chicago Press, vol. 15(3), pages S72-101, July.
Stiglitz, Joseph, 1988. Economics of the Public Sector, Second Edition, W W Norton and Company, New York and London, chapter 18 ("Tax incidence") (traduit par l’auteur)
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