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Georges Kaplan

Georges Kaplan

Georges Kaplan ne s’appelle – de toute évidence – pas vraiment Georges Kaplan puisque Georges Kaplan est un leurre. Né en 1975 dans une grande ville du sud de la France qui fût autrefois prospère grâce à son port, Georges Kaplan a principalement quatre centres d’intérêts dans la vie : sa famille, la musique, les bateaux (à voile) et l’économie. Ceux qui le connaissent considèrent Georges Kaplan comme un « libéral chimiquement pur » qui pense pour l’essentiel s’inscrire dans la tradition de la pensée libérale classique française et celle de l’école autrichienne d’économie. Il gagne honnêtement sa vie sur les marchés financiers et passe le temps en publiant des articles sur son blog http://ordrespontane.blogspot.com/

De l’indépendance de la Fed

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Le 10 septembre 2008, cinq jours avant la faillite de Lehman Brothers, la Réserve fédérale américaines détenait un portefeuille de titres de créance émis par le Trésor des États-Unis évalué à 479,8 milliards de dollars. Cinq ans plus tard, ce 11 septembre 2013, ce montant atteint 2 041 milliards – soit une augmentation de 325% – ce qui fait de la banque centrale américaine, qui détient désormais 17% de la dette publique négociable, le premier créancier du gouvernement des États-Unis [1].

C’est, naturellement, le résultat de la politique monétaire mise en œuvre par le Federal Open Market Committee (FOMC) ces dernières années, politique qui a principalement consisté, dans un premier temps, à faire baisser le taux moyen du marché interbancaire (lesFed Funds) puis, constatant que cette politique ne produisait pas les effets escomptés (c’est-à-dire une expansion du crédit bancaire ), à agir directement sur la partie longue de la courbe des taux au travers de ce que la presse désigne sous le nom d’opérations deQuantitative Easing.

D’une manière générale, ces opérations se traduisent par (i) la création ex-nihilo de dollars américains [2] – ce qui ne coûte pratiquement rien – et (ii) l’achat de titres de créances, principalement des titres émis par le Trésor des États-Unis, sur le marché secondaire (opérations d’Open Market). Elles ont donc pour effet immédiat d’accroître (i) la base monétaire et (ii) le portefeuille de titres détenu à l’actif des douze banques de la Fed.

Avant de poursuivre, il me faut tordre le cou à deux idées reçues.

La première, c’est l’idée selon laquelle la Fed est une banque privée détenue par les banques commerciales. Sans rentrer dans le détail des très étranges statuts de la banque centrale des États-Unis, il suffit de rappeler que les banques privées nationales ont l’obligation d’être actionnaires, à hauteur d’un montant défini par la loi, d’une des douze banques régionales de la Fed [3], que ces actions ne sont pas transférables, ne comportent pas de droit de vote et ne donnent droit qu’à un dividende statutaire de 6% du montant investi. Par ailleurs, la politique monétaire est décidée au sein du FOMC qui est composé de douze membres dont sept (le Board of Governors) sont désignés par le Président des États-Unis et confirmés par le Sénat. La Fed n’est donc pas plus privée que notre Sécurité sociale : c’est bien une agence fédérale réputée – je dis bien réputée –indépendante.

Deuxième idée : celle selon laquelle la Réserve fédérale monétiserait la dette publique américaine. Au sens strict du terme c’est faux puisque, comme nous l’avons vu plus haut, la Fed n’intervient que sur le marché secondaire c’est-à-dire que, à l’image de toutes les banques centrales modernes, elle ne peut en aucun cas prêter directement au Trésor. Néanmoins – et cette remarque vaut pour toutes les banques centrales – cette affirmation mérite d’être nuancée pour au moins trois raisons.

Primo, lorsque la Fed achète pour plus de 1 500 milliards de dette publique sur le marché, elle agit naturellement sur le niveau des taux auquel le Trésor peut espérer contracter de nouveaux emprunts (et sur le taux du stock de dette à taux variable). Dans le cadre normal des opérations monétaires, c’est un effet secondaire ; dans le cadre de opérations de Quantitative Easing, c’est un objectif tout à fait explicite. C’est-à-dire qu’une politique accommodante de la Fed, du point de vue du Trésor, c’est l’occasion de s’endetter à bon compte ou de refinancer la dette existante à moindre coût.

Deuxio, l’accroissement de la masse monétaire qui en résulte a toute les chances, à plus ou moins brève échéance, de se traduire par de l’inflation [4] ; c’est-à-dire par une baisse de la valeur du dollar ou, pour dire les choses encore plus nettement, par une baisse de la valeur réelle de la dette publique. L’inflation, depuis des siècles pour ne pas dire des millénaires, a toujours été l’instrument fiscal privilégié des princes désargentés : c’est la méthode la moins coûteuse, la plus discrète et la plus imparable jamais inventée pour désendetter un État.

Tercio et pour conclure, les opérations monétaires en cours permettent aux banques centrales de réaliser des profits historiques ; profits qui, dans le cas de la Fed et une fois le fameux dividende de 6% payé, sont intégralement reversés au Trésor des États-Unis. Ainsi, en 2012, la Réserve fédérale a réalisé un bénéfice net record de 91 milliards de dollars ; bénéfice qui provient essentiellement des 80,5 milliards d’intérêts servis par les titres acquis dans le cadre de la politique monétaire. Sur ce total, la Fed a reversé pas moins de 88,9 milliards (98% de son bénéfice net) au Trésor des États-Unis – ce qui représente près d’un quart des intérêts payés cette année-là par ledit Trésor au titre de la dette publique [5].

Étant donné ce qui précède et en supposant que le prochain chairmande la Réserve fédérale – qui devrait bientôt être nommé par M. Obama – n’est pas tout à fait indépendant du pouvoir politique, je laisse à chacun le soin de déterminer s’il est vraiment raisonnable – et ce, quel que soit le nom qui sortira du chapeau – d’anticiper un véritable durcissement de la politique monétaire américaine.

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[1] La dette publique totale atteint 16,74 trillions de dollars dont 4,76 sont détenus par des institutions gouvernementales : ce qui porte le total de la dette publique négociable à 11,98 trillions de dollars. 
[2] Sauf dans le cas des opérations dites stérilisées où la Fed a financé l’achat de titres à long terme en revendant une partie de ses titres à court terme dans le but aplatir la courbe. 
[3] C’est une option pour les banques régionales. 
[4] Ce n’est pas le cas aujourd’hui parce que le système bancaire n’a pas (encore) relayé la politique de la Fed. 
[5] Il est bien entendu qu’une importante partie de ces intérêts proviennent du portefeuille d’Asset Backed Securities acquis par la Fed.

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