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Guy Wagner

Guy Wagner

Je suis chief economist à la Banque de Luxembourg.

Dans mon blog, je commente les derniers développements sur les marchés financiers ainsi que mes évaluations sur leur future évolution.
Ces pages s’adressent aux investisseurs dans des fonds et actions avec un certain intérêt pour les marchés boursiers.


Mon parcours

Licencié en Sciences Economiques de l'Université Libre de Bruxelles, je rejoins la Banque de Luxembourg en 1986, où je fus successivement responsable des départements analyse financière et Asset Management. Depuis 2005, je suis administrateur-directeur de BLI - Banque de Luxembourg Investments.

Discussions sur la crise de l’euro (6)

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Guy :

Le « plan de sauvetage » de la Grèce semble être adopté. Est-ce à dire que la crise européenne est en train d’être résolue ?

Dieter :

Si seulement c’était vrai. Admettons que tout se passe comme les dirigeants politiques de l’Union européenne l’imaginent. Même après la décote partielle décidée aujourd’hui, l’endettement de la Grèce s’élèverait à 120 % en 2020 ce qui signifie que le pays resterait nettement surendetté. Par ailleurs, les prévisions des responsables politiques concernant sa situation économique et financière sont, à mon avis, irréalistes. A partir de 2014, la Grèce devrait, selon eux, afficher un excédent primaire (différence entre recettes et dépenses publiques avant intérêts et amortissement de la dette) égal à 4,5 % du PIB. Or, elle affichait, au milieu de l’année 2011, un déficit primaire de 3,5 %. Ne serait-ce que pour se rapprocher de cet objectif, elle devra continuer à faire des efforts considérables de compression des coûts et d’augmentation des recettes fiscales. En ce qui concerne la Grèce, on constate que les choses ne sont pas encore rentrées dans l’ordre mais on a évité de justesse un effondrement qui aurait mené au chaos.

Actuellement la question est de savoir si l’incendie peut se propager au Portugal, à l’Irlande ou même à l’Espagne ou à l’Italie? Le pare-feu que constitue le Fonds européen de stabilité financière (FESF) suffira-t-il ? Si c’est le cas, le monde ne marchera toujours pas droit pour autant, mais on pourra traiter les dettes souveraines de manière ciblée et individuelle et éteindre ces foyers d‘incendie au fil des années et des décennies.

Guy:

Le fait que la BCE ait bénéficié d’un traitement spécial, sans accuser de perte sur ses positions sur la Grèce, ne constitue-t-il pas un précédent ? Il n’y a pas égalité de traitement entre les créanciers et cela devrait rendre les investisseurs plus méfiants envers les emprunts d’État. Désormais ils savent que même s’ils achètent les mêmes obligations que la BCE, ils seront les seuls à supporter le coût d’une restructuration. Le coût en sera d’autant plus élevé que tous les créanciers ne seront pas appelés à contribuer à l’effort exigé. Pour certains pays, cela devrait entraîner une augmentation structurelle des coûts de financement.

Dieter :

Ces dernières années, le profil de risque des placements en obligations d’État a totalement changé. On a du mal à croire aujourd’hui que les obligations d’État ont pu être considérées comme étant sans risque et qu’elles le restent d’ailleurs pour de nombreuses autorités de surveillance. La perception du risque est beaucoup plus différenciée : le risque n’est pas le même pour des investissements en Italie, qui est quand même un pays du G7, et des investissements en France ou en Allemagne. Ce précédent dont tu parlais confirme cette évaluation du marché et conduira de plus en plus à ce que chaque pays soit contraint de payer les intérêts qui correspondent à son profil de risque.

Guy :

Pour citer Shelby Cullom Bonds : "Bonds promoted as offering risk-free returns are now priced to deliver return-free risk."

Si j’étais Grec,  je serais plutôt furieux. Le contrat qui a été passé veut que les recettes futures servent en priorité à payer les créanciers étrangers, ce qui prive en grande partie le pays de tout pouvoir décisionnel sur sa propre politique. L’actuel gouvernement a complètement échoué dans sa mission qui est de trouver la meilleure solution pour le peuple grec, ce qui n’a rien d’étonnant puisqu’il a été mis en place par les créanciers étrangers. Le contrat passé ne changera rien à l’évolution désastreuse de l’économie grecque ni au fait que l’endettement reste beaucoup trop élevé. En avril, il y aura des élections en Grèce. Dans quelle mesure le prochain gouvernement sera-t-il obligé de respecter ce contrat ?

Dieter :

Les grands partis se sont tous engagés à le respecter même après les élections d’avril. La restructuration de la dette permet de délester presque totalement le secteur privé du problème de la dette grecque. Après cette restructuration, cette dette sera essentiellement détenue par des institutions publiques multinationales comme la BCE, l’UE, le FESF ou le FMI. Un élément particulièrement important pour la Grèce est que les banques, les assurances et les fonds de retraite grecs ne sont quasiment plus concernés. Dans le cas où tout cela devrait quand même aboutir à une cessation de paiement, les conséquences sur l’économie grecque ou la population seraient infimes. Il est donc particulièrement intéressant de se demander dans quelle mesure le prochain gouvernement est contraint de respecter ce contrat. Tant qu’il existe un déficit primaire la Grèce est tributaire de son financement externe. En revanche, si elle parvenait effectivement à dégager un excédent primaire dans un ou deux ans, les conséquences politiques d’une insolvabilité seraient tellement insignifiantes qu’à mon avis celle-ci se produira.

Je note en outre qu’une cessation de paiement de la Grèce n’est plus un risque systémique. Vu que les pertes des banques et des assurances ont été réparties sur plusieurs années et que la BCE a mis à disposition suffisamment de fonds, certains établissements bancaires ont certes beaucoup souffert mais le système à proprement parler a survécu sans choc. Du fait de la restructuration, la Grèce ne concerne plus que très marginalement les marchés financiers et le traitement ultérieur de la dette sera une question strictement politique. Les dirigeants politiques ont bel et bien rempli cet objectif.

Guy :

Sur le papier, tout semble parfait. La Grèce adopte des mesures d’austérité et transforme un (important) déficit primaire en excédent primaire. Mais la mise en pratique est quasiment irréalisable. Les mesures d’austérité continueront de freiner la croissance ce qui réduira encore davantage la capacité du pays à assurer le service de la dette. Les mesures exigées comme condition pour la mise en place du plan de sauvetage déclencheront de graves troubles sociaux. Les Grecs doivent trouver qu’il y a une certaine ironie dans l’utilisation du terme « plan de sauvetage » sachant que leur économie est par là même condamnée à des années de morosité du fait de l’abandon de l’indépendance fiscale du pays. Sauvés de quoi alors ?

En janvier de cette année, les recettes de la Grèce sont en baisse de 7 % par rapport à janvier 2011 – alors que les estimations tablaient sur une hausse de 8,9 %. Ainsi les recettes grecques ont déjà accumulé un retard de € 1 milliard par rapport au chemin projeté. Ceci en dit long.

Et si une cessation de paiement de la Grèce ne représente plus un risque systémique alors pourquoi tout ce cinéma autour de « la décote volontaire de la dette » ? Et pourquoi la BCE n’était-elle pas disposée à contribuer à la restructuration de la dette ?

Dieter:

La Grèce n’est pas un risque systémique parce que, au cours des deux dernières années, on a pu faire un inventaire des passifs et de leur appartenance et déterminer pour qui la Grèce constituait un réel problème. Il était important également d’étaler la décote sur plusieurs années pour que les banques et les assurances puissent procéder aux dépréciations nécessaires. C’est pourquoi la décote, même si elle n’est pas vraiment volontaire, ne peut plus totalement paralyser les marchés financiers.

Pour ce qui est de la BCE, la décote lui aurait coûté plus cher que ses capitaux propres. Mais, avant tout, il était impératif d’éviter que la BCE perde son indépendance. En participant à la décote elle serait indirectement devenue le financier d’un État. C’est contraire à ses statuts. Par ailleurs, l’intervention de la Banque centrale dans le financement de l’État a toujours été, dans le passé, le point de départ d’une hyperinflation. En Allemagne, la crainte d’une nouvelle hyperinflation comme dans les années 20 est si grande qu’on a de toute évidence préféré chercher et trouver une solution spéciale pour la BCE.

Guy:

Les banques, les assurances et les fonds de retraite grecs contribueront-ils  à la restructuration ?

Dieter:

Oui, ils y participent tous. Mais leurs pertes sont absorbées à presque 100 % par le plan de sauvetage.

Théoriquement, ils ne devraient pas contribuer à la décote mais ce serait totalement insensé. Pour 45 milliards d’euros d’amortissements déductibles de la dette grecque, ils obtiennent 40 milliards d’euros d’augmentation de capital en numéraire auxquels s’ajoutent environ 10 milliards d’euros de prêts du FESF plus les intérêts et de nouvelles obligations grecques.

 

Guy Wagner

Source : http://www.guywagnerblog.com/fre/entry/discussions-sur-la-crise-de1

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