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Guy Wagner

Guy Wagner

Je suis chief economist à la Banque de Luxembourg.

Dans mon blog, je commente les derniers développements sur les marchés financiers ainsi que mes évaluations sur leur future évolution.
Ces pages s’adressent aux investisseurs dans des fonds et actions avec un certain intérêt pour les marchés boursiers.


Mon parcours

Licencié en Sciences Economiques de l'Université Libre de Bruxelles, je rejoins la Banque de Luxembourg en 1986, où je fus successivement responsable des départements analyse financière et Asset Management. Depuis 2005, je suis administrateur-directeur de BLI - Banque de Luxembourg Investments.

Fin de la crise ?

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"By a continuing process of inflation, governments can confiscate, secretly and unobserved, an important part of the wealth of their citizens. (...) As inflation proceeds and the real value of the currency fluctuates wildly, all permanent relations between debtors and creditors, which form the ultimate foundation of capitalism, become so utterly disordered as to be almost meaningless."

(John Maynard Keynes: The Economic Consequences of the Peace)

Depuis près de 40 ans, les autorités dans la plupart des pays industrialisés ont mené des politiques fiscales basées sur des principes keynésiens : dans des périodes de contractions de l'économie, elles ont augmenté les dépenses publiques. Durant cette période, elles ont cependant oublié de respecter l'autre aspect des recommandations de Keynes, à savoir qu'en période de croissance économique, l'heure devait être à la rigueur fiscale et à la réalisation de surplus budgétaires. Depuis la fin des années 1990, une politique monétaire inepte est venue s'ajouter à cette politique fiscale irresponsable. Sous l'impulsion du président de la Réserve fédérale de l'époque, Alan Greenspan, cette politique semblait avoir comme priorité absolue de soutenir les actifs financiers et immobiliers, plutôt que le bien-être à long terme des économies concernées.

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Un niveau d’endettement historiquement élevé

Le résultat de ces politiques a été un niveau d'endettement de plus en plus élevé. En pourcentage du Produit Intérieur Brut (qui illustre en fin de compte la capacité des pays industrialisés à honorer leur dette), cet endettement est aujourd'hui à un niveau historiquement élevé qui dépasse de loin le sommet précédent qui avait eu lieu à la fin des années 1920. Contrairement à une idée reçue, le niveau d'endettement n'a d'ailleurs pas diminué depuis 2008puisque la réduction modeste de l'endettement du secteur privé a été plus que compensée par la forte hausse de l'endettement du secteur public.

Une économie mondiale mal en point

Dans ce contexte, il est étonnant d'entendre de nombreux commentateurs parler d'un retour à la normale et d'une économie mondiale qui serait sur la voie d'une reprise durable et retrouverait rapidement un taux de croissance proche de celui d'avant la crise de 2008. Il est possible que le processus de désendettement qui semblait avoir commencé en 2008/2009 ait été temporairement arrêté et remplacé par un nouveau cycle d'endettement avec comme conséquence que le prochain ralentissement interviendrait à un niveau de dette encore plus élevé et deviendrait du coup encore plus dangereux. Par certains aspects, la situation actuelle est cependant fondamentalement différente de celle des 3 dernières décennies, et notamment de celle du début des années 1980, lorsque le cycle d'endettement a véritablement commencé :

- les taux d'intérêt sont proches de zéro. La réaction pavlovienne des autorités monétaires à tout problème économique - réduire le coût de l'argent - devient dès lors de plus en plus difficile à mettre en oeuvre;  

- contrairement aux cycles précédents, le niveau endettement est aujourd'hui tellement élevé que même une faible reprise des taux d'intérêt (qui serait logique si vraiment l'économie mondiale était sur la voie d'une reprise durable) ferait mal;

- les années d'avant la crise de 2008 avaient déjà montré un recul continu de la productivité de l'endettement. En d'autres mots, il fallait de plus en plus de dette pour produire un certain niveau de croissance économique;

- les événements des dernières années ont montré que les gouvernements ont épuisé leur capacité de se financer sur les marchés et ont de plus en plus besoin des banques centrales pour leur procurer les montants dont ils ont besoin;

- le vieillissement de la population dans les pays industrialisés fait en sorte qu'il y aura de moins en moins de gens qui travaillent et de plus en plus de retraités (à moins d'avoir recours de manière beaucoup plus forte à l'immigration et d'augmenter l'âge de la retraite). En partant du fait que croissance économique égale nombre de personnes qui travaillent fois la productivité de ces personnes, ceci pointe vers un taux de croissance plus faible (rendant d'autant plus difficile le service d'une dette historiquement élevée).

L'évolution de la conjoncture dans les pays industrialisés depuis 2009 reflète bien ces aspects : malgré des politiques fiscales et monétaires très expansives, la reprise économique est extrêmement faible. La capacité de bon nombre d'acteurs économiques et politiques à oublier les facteurs structurels pesant sur la croissance et à utiliser tout chiffre économique un peu meilleur ou un peu moins mauvais que prévu pour annoncer la fin de la crise est à cet égard étonnante.

Conséquences pour un investisseur

Quelles sont les conséquences de la réalité économique décrite supra pour un investisseur ?

La principale conséquence me semble être que les autorités commencent à graduellement ne plus regarder l'inflation comme un mal à éviter, mais plutôt comme un remède potentiel au problème de la dette. Tolérer un taux d'inflation plus élevé tout en maintenant les taux d'intérêt à un niveau artificiellement bas semble en effet le moyen politiquement le moins douloureux pour améliorer le ratio dette/P.I.B. L'indépendance des banques centrales, qui semblait sacro-sainte il y a quelques années encore, n'existe plus que sur le papier. Et si contrairement aux taux d'intérêt à court terme, les taux d'intérêt à long terme sont en principe déterminés par le marché et non pas fixés par les autorités monétaires, des moyens ont été trouvés pour les manipuler que ce soit à travers les assouplissements monétaires quantitatifs ou à travers la réglementation.

Il en résulte que les placements à revenu fixe sont pratiquement assurés de faire perdre de l'argent à un investisseur, du moins en termes réels, c'est-à-dire en tenant compte de l'inflation. Détenir des liquidités peut se justifier pour des raisons tactiques, c'est-à-dire pour profiter d'opportunités éventuelles (même si la plupart des investisseurs -professionels compris- surestiment généralement leur capacité à profiter d'une correction sur les marchés), mais les placements monétaires n'ont structurellement plus leur place dans un portefeuille dont l'objectif est de conserver, voire d'augmenter le pouvoir d'achat. Il en va de même pour la plupart des placements obligataires qui ne rémunèrent tout simplement plus de façon adéquate le risque encouru.

Guy Wagner
Source: http://www.guywagnerblog.com/fre/entry/point-sur-la-situation 
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