Pour ma part, je considère que ce que l'on appelle "société de la connaissance" peut également être nommée "Singularité". L'humanité va, au cours des décennies qui viennent, faire un bond technologique si violent et si radical que les changements induits sur la société sont inimaginables. Beaucoup n'y sont pas du tout préparés.
Hélas, tous les pays et habitants de la planète ne vont pas atteindre cette nouvelle étape en même temps. Et puisque le principe de la Singularité est basé sur une accélération exponentielle du rythme des innovations, les écarts entre les peuples risquent de se creuser dangereusement. Avec pour conséquence tragique inévitable, la formation de groupes (plus ou moins) humains, très avancés sur le plan technologique, qui pourront dominer totalement et durablement tous ceux qui auront pris du retard.
Pour illustrer, je vous recommande ce rapport très instructif délivrant les résultats d'une étude menée sur le marché des brevets. Dans sa partie 1, il retrace les progrès faits en matière d'économie du savoir. On apprend ainsi que les dépenses de Recherche et Développement des entreprises ont plus que doublé en l'espace de 15 ans : elles sont passées de 300 à 600 milliards de dollars entre 1992 et 2007. En prenant l'hypothèse (confirmée dans la suite du rapport) d'une productivité stable de la R&D, cela signifie donc que le rythme des innovations a été multiplié par 2 depuis le début des années 1990 !
Cette accélération, nous la ressentons tous. Il nous devient de plus en plus difficile de comprendre ce qui se passe. Tout s'enchaîne à une vitesse folle ! Dans la sphère médicale par exemple, il y a d'ors-et-déjà 3 découvertes majeures faites par jour ! Les professionnels de santé n'arrivent même plus à suivre paraît-il...
Toujours dans le rapport, il est précisé que les pays émergents concentrent désormais 1/5 des dépenses de R&D, soit environ 120 milliards de dollars, dont 80 rien que pour la Chine ! Le monde occidental est toujours en bonne position avec 60% des sommes investies. Mais le plus intéressant, c'est l'évolution sur le long terme. En 15 ans, la Chine a multiplié ses investissements en R&D par 27, les USA par 1.6, l'UE par 1.5, et la France par 1.25. Les entreprises françaises dépensent à l'heure actuelle 4 fois moins que les entreprises chinoises en termes réels (parité de pouvoir d'achat)... Et donc évidemment.
Les auteurs du rapport précisent les deux grandes difficultés de la France : d'une part nos entreprises auraient beaucoup plus de difficultés que les autres à absorber les résultats scientifiques de haut niveau (passage de la recherche fondamentale à la recherche appliquée), et d'autre part les chercheurs travaillant en France seraient beaucoup moins productifs et n'arriveraient pas à valoriser leurs résultats (brevets et publications).
Les conséquences sont bien connues sur le long terme : moins de gains de productivité, moins de parts de marché, moins de création de richesses, moins de revenus et moins d'emplois. C'est déjà très problématique en soi, mais ce n'est pas le plus grave. Non, le pire, c'est surtout la domination technologique qui vient !
Encore quelques décennies de plus comme ça, et la "France éternelle" n'aura jamais aussi bien porté son nom. Ce pays sera devenu un musée à ciel ouvert, immuable et inamovible. Et nous citoyens, au lieu de peser (même un peu) sur les affaires du monde, nous devrons nous contenter du rôle de figurants encombrants, dont la seule préoccupation journalière sera de ne pas faire fuir les touristes, notre unique source de revenus...