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Guy Wagner

Guy Wagner

Je suis chief economist à la Banque de Luxembourg.

Dans mon blog, je commente les derniers développements sur les marchés financiers ainsi que mes évaluations sur leur future évolution.
Ces pages s’adressent aux investisseurs dans des fonds et actions avec un certain intérêt pour les marchés boursiers.


Mon parcours

Licencié en Sciences Economiques de l'Université Libre de Bruxelles, je rejoins la Banque de Luxembourg en 1986, où je fus successivement responsable des départements analyse financière et Asset Management. Depuis 2005, je suis administrateur-directeur de BLI - Banque de Luxembourg Investments.

Investir au Japon - Dans l'attente de réformes structurelles

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En 2013, après plusieurs décennies de déboires, le marché boursier japonais a enregistré la meilleure performance de ces 14 dernières années. Les actions ont été portées par les débuts prometteurs des Abenomics, l'ambitieuse expérience économique menée par le Premier ministre Shinzo Abe et son gouvernement. Le but de ce programme radical : redonner un élan à l'économie nippone, en berne depuis des décennies, et sortir de la spirale déflationniste qui pèse sur les investissements des entreprises et la consommation des ménages.  

En septembre dernier, j'avais publié un article intitulé « Investir au Japon - L'impact des Abenomics », où je cherchais à donner une vue d'ensemble du programme, les raisons de sa mise en place, des risques qui y sont associés et de son influence sur nos décisions d'investissement au Japon. Dans l'article d'aujourd'hui, j'essaierai de me concentrer sur le volet touchant aux réformes structurelles du programme.

La troisième flèche des Abenomics

Les Abenomics reposent sur trois piliers : une politique monétaire expansionniste, une augmentation des dépenses budgétaires et la mise en place de réformes structurelles. Si le bienfondé des volets monétaire et budgétaire font débat parmi les économistes, les réformes structurelles sont unanimement considérées comme l'élément le plus important des Abenomics et comme un facteur clé pour le succès de l'expérience menée par Shinzo Abe. L'objectif de ces réformes est de développer des stratégies de croissance, avec pour mot d'ordre « Le Japon est de retour ». Efficacement mises en œuvre, ces initiatives pourraient déclencher un cercle vertueux dans le cadre duquel une augmentation de la productivité des entreprises et des salairesseraient les vecteurs d'une croissance économique plus vigoureuse. Pour nous, investisseurs fondamentaux concentrés sur les entreprises et non sur les évolutions macroéconomiques, il s'agit clairement de l'aspect le plus intéressant des Abenomics : leur réussite pourrait nettement améliorer l'environnement dans lequel évoluent les entreprises japonaises.

Pour comprendre en quoi ces réformes structurelles sont devenues indispensables, il faut se demander pourquoi le Japon n'est jamais parvenu à retrouver la voie d'une croissance pérenne après l'éclatement de l'énorme bulle économique et financière des années 1980. Un article récemment publié sur le site de l'Asian Century Institute, intitulé « Why did Japan stop growing » (« Pourquoi la croissance s'est-elle arrêtée au Japon »), explique pourquoi et comment le pays s'est retrouvé confronté à des problèmes contre lesquels il lutte depuis des décennies. En particulier, l'archipel fait face à de sérieuses difficultés qui l'empêchent de renforcer sa main-d'œuvre et la rentabilité de ses entreprises, deux composantes essentielles d'une croissance économique réelle.

Les difficultés économiques et sociales du Japon

D'une part, compte tenu de sa démographie en berne assortie d'un taux de naissance très faible, le pays du Soleil levant voit sa population active décroître à un rythme inquiétant. S'il veut inverser la tendance, le gouvernement nippon n'aura d'autre choix que d'assouplir sa très rigide politique d'immigration et de parvenir à augmenter le taux de participation des femmes japonaises dans la main-d'œuvre.

D'autre part, contrairement à leurs homologues internationales, les entreprises japonaises sont très peu rentables.

Cette situation découle de plusieurs facteurs :
  • Dans de nombreux secteurs d'activités, il existe une myriade de réglementations gouvernementales, ce qui pèse sur la productivité et constitue un frein à l'innovation. L'absence de déréglementation du secteur tertiaire, source de croissance potentielle pour les économies matures, handicape par exemple l'économie. De leur côté, les mesures protectionnistes dans le domaine agricole ont obéré les finances du pays, agacé les partenaires commerciaux et donné naissance à un secteur surcapitalisé mais sous-productif.
  • Le Japon importe très peu et les investissements étrangers y sont très limités, tout comme la présence de main-d'œuvre étrangère. Or une plus grande ouverture aux importations stimulerait la concurrence, l'efficacité et l'innovation.
  • Dans une certaine mesure, le Japon a également perdu sa culture de l'innovation dans les secteurs orientés vers l'export. Les géants de l'électronique tels que Sony ou Sharp, jadis leaders dans leur secteur, enregistrent des pertes et se font devancer par leurs concurrents internationaux comme Apple ou Samsung.
  • Le Japon a une culture de maintien à flot des entreprises non rentables (des « entreprises zombies »)et ses énormes conglomérats se montrent extrêmement réticents à stopper leurs activités déficitaires. Autant d'obstacles donc au processus de destruction créatrice qui conduit à la faillite et la disparation des entreprises non rentables et incite celles qui sont solides et innovantes à se développer.
  • Sur le marché du travail, la rigidité du système japonais favorise les emplois à vie et est une entrave à la mobilité des travailleurs, pourtant nécessaire afin de garantir une allocation judicieuse des ressources humaines du pays.

Stratégies de croissance

Les réformes structurelles imaginées par le gouvernement entendent améliorer le climat des affaires et enrayer la plupart des problèmes que je viens d'évoquer. En juin 2013, le gouvernement a validé un ensemble de propositions de stratégies de croissance et a commencé d'appliquer ces mesures. L'objectif est de soutenir les réformes structurelles tout en stimulant la demande, à la fois intérieure et extérieure.

Voici quelques exemples des mesures envisagées :
  • Une réforme du système d'emploi, dont l'objectif est d'augmenter la flexibilité des salariés etd'augmenter le taux de participation des femmes. La création de places supplémentaires dans les structures de garde d'enfants devrait permettre de résoudre le problème actuel des listes d'attente pour l'inscription dans les crèches. Des mesures facilitant l'arrivée de travailleurs étrangers sont également à l'étude.
  • Des réformes visant à promouvoir la concentration et la consolidation du secteur agricole pour renforcer la productivité.
  • La création de zones économiques spéciales. Les principales villes japonaises pourraient devenir des zones stratégiques où les entreprises bénéficient d'avantages fiscaux, d'une réglementation moins dense et d'une bureaucratie moins lourde.
  • La négociation de partenariats économiques stratégiques, dont le but serait d'augmenter significativement le nombre de transactions commerciales internationales relevant d'accords de libre-échange, par exemple en rejoignant l'Accord de Partenariat Trans-Pacifique.
  • Des mesures politiques qui devraient permettre de mieux exploiter le potentiel touristique du Japon, pour l'heure sous-développé, et d'augmenter sa contribution à la croissance, par exemple en assouplissant les critères d'obtention de visas pour les touristes d'Asie du Sud-Est.
Cette liste n'a rien d'exhaustif et, pour en savoir plus sur les réformes à l'étude, je vous recommande la lecture de l'article « The Third Arrow of Abenomics: What economic picture will it draw in the middle-term? » d'Akio Egawa, (« La troisième flèche des Abenomics : quelles conséquences économiques à moyen terme ? »), disponible en anglais sur Bruegel.org.

La hausse de la rentabilité des entreprises, une opportunité pour les investisseurs

La mise en place de ces réformes structurelles demandera plus de temps que celle des mesures monétaires et budgétaires et nécessitera l'émergence d'un consensus national entre les entreprises, le gouvernement et les syndicats. A de nombreuses reprises par le passé, le Japon a montré que sa société savait faire front face aux difficultés et s'adapter aux nécessaires évolutions. Par exemple, lors de la restauration Meiji, au début du 19ème siècle, l'archipel a connu des bouleversements politiques et sociaux. Il s'est ouvert à l'Occident, a aboli son système féodal, a adopté une constitution moderne et importé des technologies nouvelles, autant de mesures qui ont donné naissance à une productivité industrielle et une croissance économique sans précédent. Après la Seconde Guerre mondiale, le Japon est passé d'un empire militaire à une société démocratique axée sur son pouvoir économique, offrant au pays une croissance solide et lui permettant de devenir la troisième économie mondiale.

L'heure est donc venue pour le Japon de montrer qu'il est une nouvelle fois capable de surmonter les défis et de prendre les mesures nécessaires pour relancer une économie qui en a bien besoin. Parmi les évolutions positives déjà visibles figure la tendance des entreprises japonaises à améliorer leur politique de rémunération des actionnaires et à privilégier davantage leur rentabilité. Cela pourrait constituer une opportunité pour les investisseurs en actions, car les entreprises nippones sont traditionnellement à la traîne en matière de rentabilité par rapports à leurs homologues internationales. Alors que les marges atteignent déjà des niveaux record dans d'autres pays (notamment aux Etats-Unis), elles peuvent encore augmenter au Japon. Grâce à une envolée des résultats et de la rentabilité, les entreprises japonaises ont réussi en 2013 à réduire le gouffre qui les séparait des concurrentes étrangères en termes de rentabilité sur fonds propres.

Différence de rentabilité entre les entreprises japonaises (Topix) et leurs concurrentes internationaux (MSCI World)


source: Bloomberg

La création d'un nouvel indice boursier révèle un changement de mentalité

Le lancement d'un indice boursier couvrant les 400 plus grandes entreprises japonaises en termes de rentabilité sur fonds propres témoigne également de l'évolution des mentalités au Japon. Ce nouvel indice devrait renforcer l'attractivité du marché actions nippon aux yeux des investisseurs étrangers à la recherche d'entreprises de qualité, d'autant plus qu'au niveau de la valorisation des entreprises (à l'égard du ratio cours/valeur comptable) le marché japonais affiche toujours une décote par rapport à la plupart des autres marchés boursiers.

La création de cet indice devrait également s'avérer bénéfique pour les entreprises dans lesquelles nous investissons, car la plupart de celles qui figurent actuellement au sein du BL-Equities Japan (ISIN: LU0578148453) appartiennent à ce nouvel indice. 


Différence de valorisation entre le marché japonais (Topix) et le MSCI World


source : Bloomberg


Hitachi - un conglomérat en pleine transformation

Hitachi, la plus grande firme japonaise d'électronique industrielle, est un exemple de société qui évolue dans la bonne direction. Lors d'une conférence, j'ai récemment pu rencontrer des responsables de la communication d'Hitachi et avoir avec eux une discussion très intéressante sur la stratégie de leur société. Il y a quelques années, Hitachi a commencé à apporter des changements significatifs à son vaste portefeuille d'activités et décidé de se concentrer sur celles qui affichaient une rentabilité élevée, un caractère peu cyclique et un potentiel de croissance solide. Aujourd'hui, le portefeuille d'activités d'Hitachi est bien mieux équilibré qu'à l'époque : la société a renoncé à la majorité des activités cycliques et à faible valeur ajoutée pour se tourner vers les infrastructures sociales, plus stables et à vocation plus tertiaire. La direction a également décidé de mieux intégrer ses différentes branches et de mutualiser les ressources, ce qui permet de réduire les coûts. Bien que les transformations entreprises par Hitachi ne soient pas directement liées aux Abenomics, les réformes structurelles et les incitations mises en place par le nouveau gouvernement pourraient pousser d'autres entreprises à lui emboîter le pas.

Quel avenir pour le Japon ?

Pour que le Japon puisse libérer le potentiel de croissance de son économie, il doit lancer des réformes structurelles pour surmonter le défi démographique, promouvoir l'innovation et encourager le secteur privé à réorienter les ressources allouées à des entreprises en déclin vers les segments de croissance. Si les autorités japonaises sont capables de pérenniser leur changement de politique et de procéder à des réformes réglementaires, sans perdre le soutien de la population, il est possible que les perspectives pour la troisième puissance économique mondiale s'éclaircissent. La rentabilité des entreprises affiche d'ores et déjà une nette amélioration, et celles-ci accordent également plus d'importance aux intérêts des actionnaires. A l'aune de ces évolutions, et compte tenu du fait que les valorisations sont inférieures à celles de la plupart des marchés développés, le Japon représente une véritable opportunité d'investissement.

Se concentrer sur les entreprises de qualité disposant d'un avantage compétitif

Patience et persévérance seront toutefois les maîtres mots sur le chemin certainement escarpé d'une relance économique durable au Japon. Compte tenu de la fragilité des perspectives économiques, la meilleure stratégie en tant qu'investisseur est d'opter pour un horizon à long terme et de se concentrer sur les entreprises de qualité disposant d'un avantage compétitif. Ces dernières se montrent en effet moins tributaires de l'issue incertaine des politiques budgétaire et monétaire du programme Abe, tout en étant bien positionnées pour tirer parti de ses réformes structurelles. Ces entreprises de qualité devraient être en mesure de créer de la valeur à long terme pour les actionnaires et d'être des investissements intéressants, même si le chemin de la reprise économique du Japon devait s'avérer plus mouvementé que prévu.

Steve GlodEquity Fund Manager
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