Savez vous que la quasi-totalité des individus qui boursicotent et dont le compte « saute », se remettent un jour où l’autre en selle, à l’assaut des marchés financiers, une fois les pertes épongées.
Récemment, Samuel Rondot dans l’une de ces chroniques, nous relatait le cas de ces spéculateurs carbonisés sur les marchés, et qui néanmoins, remettent le couvert …
Savez vous que Sylvain Duport, le trader amateur Français le plus médiatisé des 10 dernières années, et dont on trouve l’esprit au sein de plusieurs ouvrages des Editions Edouard Valys, confie avoir sauté … au moins une fois … ?
Savez vous que 82% des gagnants au loto continuent … de faire une petite grille chaque semaine … dans l’enthousiasme du sirotage d’un petit noir au comptoir ?
En fait, la plupart des êtres humains agissent vis-à-vis de la finance et du jeu comme des hétérocères, autrement connus sous le pseudonyme plus bucolique de : « papillons de nuit ».
Chacun connaît ces magnifiques papillons colorés, tant attirés par la clarté.
Une attirance envers la lumière qui est génétiquement programmée, à l’instar de sa mort rapide et prévisible.
Car, de temps en temps, la lumière salvatrice est celle des phares d’un TGV qui se déplace à pleine vitesse en sens inverse, sur la même voie …
Ainsi, la lumière issue des marchés financiers est-elle semblable à celle d’un soleil d’hiver … cela éclaire, mais cela ne chauffe jamais.
Derrière l’échec à répétition sur les marchés financiers, on trouve le sempiternel ennemi du trader : « le mode espoir ».
Mais, ce n’est pas de cette ritournelle, de cette explication « psychologique », usée jusqu’à la moelle dont je souhaite vous entretenir.
Je vais vous causer d’une sœur consanguine, donc dénaturée, bien moins connue, et pourtant plus vicieuse, bien plus dangereuse que le mode espoir : « l’anticipation du gain ».
L’anticipation du gain déclenche une véritable alerte rouge au sein de l’activité neuronale NON CONSCIENTE des êtres humains.
Les neurologues, par le biais, de l’imagerie cérébrale temps réel, montrent que l’anticipation du gain déclenche au sein du cerveau, à l’insu de la conscience des individus, une tempête d’ampleur inégalée vis-à-vis du résultat réel enregistré.
Bref, le rêve chauffe à rouge les neurones … tandis que le réel provoque un bâillement d’ennui des neurones.
Imaginons que vous achetiez un paquet d’actions, ok ?
La valeur baisse … tant pis pour vous … après tout, vous en avez l’habitude : … je plaisante …
La valeur monte, ou elle baisse … alors … votre cerveau entre en vibration.
Mais, quelle que puisse être la pulsation qui vous anime, elle est d’une ampleur très inférieure à celle de l’émotion qui vous empreignait avant même d’entrer en position.
Car, est à l’œuvre au sein de nos cerveaux, ce que les spécialistes nomment un « circuit de l’anticipation ».
C’est ce « circuit de l’anticipation » qui génère le sentiment d’urgence qu’a pu ressentir confusément tout examinateur des marchés financiers.
C’est à lui que l’on doit la phrase célèbre de Warren Buffet : « Chaque jour, depuis le début de ma carrière, j’ai eu l’impression de rater une fois l’occasion de ma vie ! ».
Sur le plan anatomique, on connaît au sein du cerveau le système responsable du « circuit de l’anticipation ». Son cœur se nomme : le noyau accumbens.
Il se situe assez profondément dans le cerveau, juste au dessus, et un peu en avant de l’amygdale cérébrale … le centre de la peur (voir ma chronique : http://www.objectifeco.com/bourse-2/trading/article/le-poids-de-la-peur-dans-les-gains)
A dire vrai, de nombreuses autres aires cérébrales font partie du « circuit de l’anticipation ».
Elles sont disséminées un peu partout dans le cerveau, en particulier au sein du cortex orbito frontal : juste derrière le front, l’endroit privilégié en lequel infuse le « processus de décision ».
Le « circuit de l’anticipation » est en réalité un réseau neuronal de l’anticipation.
Il est donc comparable à une toile d’araignée en interaction dynamique.
C’est à l’activation de cet ensemble que l’on doit les multiples et diverses émotions qui nous bouleversent lorsque nous cherchons notre prochaine proie sur les marchés.
Le « circuit de l’anticipation » est certes, complexe et tentaculaire, mais tous les neurologues s’accordent sur le fait que le noyau accumbens est l’interrupteur principal du « circuit d’anticipation », et, c’est en la matière ce qu’il vous faut retenir.
Ce système est un invariant de la nature vivante.
Il existe dans toutes les grandes les grandes classes d’animaux, tels les oiseaux, les poissons, ou les mammifères.
Et, de nombreux chercheurs se posent la question de l’intérêt de ce système carrément dysfonctionnel.
Etrange fonctionnement, contre productif au premier examen, que celui qui veut que l’on fasse plus de cas de ce que « nous pourrions avoir » … que de ce que « nous avons » !
Pourquoi en est-il ainsi ?
Les chercheurs évolutionnistes expliquent aisément cette programmation surprenante des êtres vivants, qui, d’une certaine manière, sont programmés pour vivre la tête dans les nuages et les pieds dans la vase … tout en privilégiant la partie haute, tandis que tout le reste est pétrifié de froid.
Durant les millions d’années de l’évolution des espèces, c’était le frisson lié à l’anticipation qui mettait en alerte tous nos sens, nous faisant rassembler l’ensemble de nos forces pour nous emparer de récompenses incertaines.
Rétributions hasardeuses certes, mais potentiellement plus riches en promesses futures pour le développement de l’individu, voire de la communauté.
De plus, les chercheurs évolutionnistes avancent un second intérêt du « circuit de l’anticipation ».
Il serait le gage d’un fonctionnement qui nous pousserait à rechercher des récompenses « long terme », à force de ténacité, de patience, et d’abnégation.
Les individus « normaux » tendent à concentrer leurs ressources cognitives sur le moyen terme.
Les individus cérébrolésés de la « zone de l’anticipation » sont atteints d’un mal que le corps médical qualifie de « choix irréfléchis ».
Ne sont alors sélectionnées par le patient que les récompenses immédiates et faibles … au détriment des récompenses fortes à horizon long terme.
Dans tous les forums boursiers, vous pouvez lire les témoignages de boursicoteurs qui geignent de n’avoir pas su différer suffisamment longtemps un achat.
Ils se meurent d’avoir cédé à une impulsion soudaine, irrésistible, incompréhensible, qualifiée après coup « de stupide ».
On trouve ici la conséquence du pouvoir de nuisance du circuit de « l’anticipation » lorsqu’il se libère de son bâillon, et qu’il hurle sa liberté.
Enfin, il existe un dernier effet pervers à connaître au sujet du circuit de l’anticipation. « Last but not least » comme disent nos voisins dealers de Subprimes.
L’activité inconsciente du cerveau est fortement sensible à l’ampleur de la récompense, mais très peu au jeu des probabilités.
« Combien vais-je toucher ? » : les 10 000 000 d’euros du premier rang des gagnants du loto exaltent sans pareils l’activité de votre cerveau.
« Quand vais-je gagner ? » : la réponse statistiquement admise, à savoir, dans plus de 40000 ans, si je fais 450 grilles par an, imbibe de chloroforme les cellules de vos cerveaux.
De fait, le cerveau n’est pas conçu pour se représenter des probabilités, mais simplement pour envisager des actions : quand la possibilité est là, la probabilité passe à la trappe !
Comme je vous le narrais un peu plus en amont de cette chronique : dépourvus du « circuit de l’anticipation », nous ne pourrions nous exprimer que dans le ici, et le maintenant.
Les sagesses Indiennes et Chinoises, sans même l’apport des connaissances de la neurobiologie, ont noté depuis des millénaires cette perversion du fonctionnement de la pensée humaine.
Et, ces courants idéologiques visent, entre autres, à remettre d’aplomb toutes les constructions mentales rendues bancales par le circuit de l’anticipation.
Ainsi, les sages d’Asie donnent la priorité à la voie, par rapport au but, faisant par là même, l’éloge de l’instant présent concret, vis-à-vis d’un futur improbable et inconsistant.
Il est fort probable qu’une grande partie des intervenants « non professionnels » de la finance, sous l’influence d’un noyau accumbens non optimal, ne fassent que chercher en l’avenir des marchés, un bonheur fantasmé qu’ils ont depuis toujours sous leurs yeux … et que du fait de notre culture, nous ne savons plus retrouver !
Christophe GAUTHERON