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Bourse et chance

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On ne gagne pas en bourse avec de la chance, mais en forgeant sa personnalité

Il est 9h45 du matin: j’achète 7500 euros d’actions de la société Trigano. La grenade est dégoupillée !

La valeur dispose d’une belle inertie haussière depuis 10 jours. Ce matin, elle continue de grimper graduellement dans des volumes étoffés, et elle vient de franchir un seuil technique intermédiaire important.

A l’achat sur la valeur, un courtier cherche désespérément à acquérir un paquet de 20000 actions. Soit, environ le tiers de la quantité échangée habituellement en une journée complète, rien que ça !

Au fur et à mesure que le cours de l’action augmente, la montagne de 20000 titres à l’achat se déplace lourdement à la hausse pour figurer en tant que premier et plus gros acquéreur, juste histoire de profiter d’un gros vendeur qui lâcherait du titre en masse.

Sur les coups de 11h00, je constate que le carnet d’ordres est vierge des 20000 titres à l’achat.

Je scrute méticuleusement la liste des transactions … rien, pas de grosses applications signalées !

Soit l’acheteur a changé d’avis, soit le courtier sait quelque chose que le marché ignore encore.

Comme je suis un trader discrétionnaire, je sors de mes positions, quelquefois sur des anomalies de volumes, par instants sur une congestion des cours, parfois sur un retracement de la valeur, d’autres jours sur un retournement des indices, bref, pour de nombreuses raisons contextuelles, et rarement sur l’enfoncement d’un seuil technique à la manière de nombreux chartristes.

Je décide de revendre mes actions Trigano avec pour seule vraie motivation la disparition du gros ordre de 20000  titres du carnet d’ordres, et aussi le fait que mon compteur de plus-values est aujourd’hui largement positif … pas très professionnel comme réaction !

30 minutes plus tard, l’action Trigano plonge de 2%, elle consolide sur un seuil technique qui fait office de support presque toute la journée.

Puis, elle reperd encore 2,5% durant les trente dernières minutes de cotation.

Le titre entame un décrochage sans possibilité de rattrapage qui durera 10 jours, entraînant le titre à :  -25% de l’endroit où j’étais rentré !

Comme vous le lirez sous la plume de nombreux traders, quelquefois il vaut mieux avoir de la chance que d’être rigoureux et intelligent.

Si la chance est aveugle, elle n’est pas pour autant invisible, et ce jour là, je l’ai croisée !

Les lois de la probabilité nous enseignent qu’à long terme, nous devrions rencontrer, en moyenne autant d’évènements positifs que négatifs.

Or, dans nos entourages, nous remarquons que certains sont plus guignards que d’autres, de manière récurrente, et sur le long terme. Alors, que penser ?

Le thème de la chance est étroitement lié à l’étrange, de même qu’à l’ésotérisme.

On attire la chance avec des objets porte-bonheur. On conjure le mauvais sort avec des grigris.

La nomenclature de ces objets est tout autant pléthorique que  cocasse.

On trouve pêle-mêle  dans ce bric à brac de la conjuration : des chats noirs, des trèfles, des fers à cheval, des éléphants, des chiffres, des bijoux, des pattes de lapin … et, chaque civilisation dispose de son inventaire à la Prévert spécifique !

 Les scientifiques étant frileux à étudier les sujets difficilement palpables, marginaux, et peu quantifiables, nous  disposons de peu de données structurées en la matière.

Quelle est la nature réelle de la chance ?

Fortuna était pour les romains la déesse du destin. C’est à elle qu’incombait la responsabilité, sur celui-ci de diffuser de la chance, sur celui-là de saupoudrer du malheur.

Cette vision superstitieuse perdure encore de nos jours, n’emploie-t-on pas fréquemment l’expression « Dame Fortune » ?

 L’image est poétique, belle, et à l’instar de toutes les croyances populaires, elle n’apporte pas grand-chose à la compréhension du phénomène.

Les superstitions encouragent la croyance en la chance comme étant irrationnelle, tout en favorisant le recours à des pensées positives afin d’améliorer les réponses d’une personne face aux évènements pénibles à supporter.

Selon un psychologue de l’université de Milan, la différence entre événements ordinaires et extraordinaires est subjective.

Ainsi, il n’y a pas de coups de chances ou de phénomènes malheureux. Il n’existe qu’une imprégnation de la mémoire par ce qui semble aller contre nos pulsions de base, ou ce qui est inattendu.

Un exemple ? Dans ma voiture, je suis à un feu rouge. Mon téléphone portable sonne. Je veux savoir quel est le nom qui s’affiche en appel entrant. Je vais saisir mon portable, et … à cet instant le feu repasse au vert. Je dois repartir. Le conducteur de derrière va se fâcher si je reste sans bouger. Mon portable sonne : une fois, deux fois, trois fois … le service de  messagerie s’enclenche. J’ai perdu mon lien. Je m’agace de ce concours de circonstance, et je m’en souviendrai, oubliant derechef toutes les fois ou j’ai pu capter ma communication.

En fait, il semblerait que l’homme soit, en général, peu apte à estimer les probabilités de survenu d’un événement, quand bien même il serait simple à appréhender.

Ainsi, un phénomène devient extraordinaire simplement car on ne l’attendait pas. Et, ceci est totalement indépendant de la probabilité d’apparition de l’évènement.

Ainsi, à la caisse du supermarché le vendredi soir, j’ai la malchance d’être toujours dans la file d’attente qui avance le plus lentement ! La raison en est simple : plus il y a de caissières en heure de pointe, et plus la probabilité est élevée qu’il existe une caissière plus rapide que celle que j’ai choisie.

C’est une simple loi de la statistique qui est à l’œuvre, mais cela ne nous vient pas à l’esprit spontanément.

La chance, c’est des mathématiques … elle est de votre côté … une fois sur deux … la moitié du temps !

A cela, il convient d’ajouter que le cerveau tend à relier naturellement des évènements  même s’ils n’ont pas de liens causaux.

La simultanéité, ou la proximité de deux événements suffit à nous laisser percevoir un lien de cause à effet entre deux évènements qui n’ont pas de liens causaux.

Ce quasi réflexe naturel de la pensée est à la base de raisonnements aberrants voire fallacieux, du style : le capitaine du Titanic avait 59 ans lorsque le bateau a coulé. Si vous êtes capitaine d’un navire, il est impératif de ne pas naviguer dans votre cinquante neuvième année, sinon, vous pourriez avoir la malchance de couler aussi …

 Le psychologue Britannique Richard Wiseman, de l’université de Hertfordshire est un des chercheurs les plus pertinents au monde sur la notion de chance.

Suite à un lourd travail de dénombrement effectué au milieu des années 90 du siècle précédent, il nous apprend qu’environ 12% de la population pense être chanceuse, tandis que 9% de la population s’estime poursuivie par la malchance.

Un examen de la personnalité de ces deux groupes montre des oppositions très marquées.

De part leur comportement, et du fait de leur mode de pensée, les chanceux se créent plus d’opportunités que les autres.

 Ils savent mieux reconnaître les situations favorables, et n’hésitent pas à les exploiter.

Les personnes chanceuses possèdent une hauteur de vue, ainsi qu’un sens de l’observation très supérieur à la normale.

On constate aussi que les chanceux entretiennent souvent des contacts sociaux sous forme de réseaux plus ou moins complexes, augmentant ainsi leurs chances de voir émerger des situations favorables.

De plus, comme disent les Américains, « Last but not least » - « le dernier et non le moindre », les chanceux regardent le monde avec un optimisme inaltérable. Ils ne capitulent jamais car ils ont la foi en ce qu’ils entreprennent.

En fait, il semblerait que les malchanceux cherchent à se rassurer en invoquant des causes externes à leurs difficultés.

C’est la  théorie de l’attribution  qui dit que nous pouvons rechercher les causes d’un évènement soit en nous même, soit en des causes exogènes.

Le fait d’attribuer la faute au destin en cas de problème majeur évite d’avoir à se juger trop sévèrement.

Tout se passe comme si nous étions programmés pour attribuer nos succès à nos propres capacités, tandis que nous considérons un échec comme de la malchance.

Se dire malchanceux est une attitude probablement naturelle car peu consommatrice en énergie.

Le malchanceux ne cherchera pas à changer les choses. Cela lui permettra de continuer à vivre tranquillement sans aucune remise en cause personnelle, donc de persévérer dans son comportement d’insouciance et de frivolité !

Pour résumer, il convient de se souvenir que les attitudes typiques du gagnant sont : l’optimisme, la persévérance, et l’ouverture.

De nombreux séminaires de formation insistent sur ces trois points.

Aux dires des animateurs, l’application de ces dogmes transformerait des malchanceux, en des rois de la chance.

Il n’existe pas de lois de la chance qui seraient à découvrir et à exploiter.

Il existe simplement des attitudes qui favorisent la survenue d’événements chanceux, et des personnalités qui osent embrasser ces faits pour les accompagner éperdument.

Jean Simard, un romancier, dramaturge et essayiste québécois écrivait que « Les choses que l'on désire assez fort finissent toujours par se produire. C'est ce que les gens, superficiellement, appellent la chance ».

Certes, il existe bien des individus qui gagnent au loto alors même qu’ils jouent pour la première fois.

Cela ne signifie pas qu’ils ont plus de chance que les autres. Il faut voir cette gagne comme l’apparition d’un phénomène envisageable, de probabilité très faible, mais qui survient fatalement avec la loi des grands nombres.

Quant à celui qui gagne, la publicité du loto ne disait-elle pas : « 100% des gagnants ont tenté leur chance ! ».

Nous restons dans le monde des comportements, et de la personnalité … il n’y a pas d’intervention d’ordre supérieur sur le déroulement de nos vies.

La chance est le nom que l’on donne aux événements heureux et que l’on ne mérite pas aux yeux des autres.

Le prix Nobel de physique, Steven Weinberg, instigateur de la théorie de l’interaction électrofaible écrivait «  Plus nous comprenons le monde, plus il nous semble dépourvu de toute signification ».

Un astrophysicien, Jim Peebles, de l’Université de Princeton, pousse plus loin encore cette forme de désenchantement « Je suis porté à croire que nous ne sommes que des débris de bois mort flottant à la surface de la mer … ». 

Pour de nombreux chercheurs de premier plan, l’univers n’a pas de sens, ni de conscience.

Cela manque de panache, de poésie, et n’est pas porteur d’espérance. Alors, l’homme dans son incessante agitation tente-t-il d’inventer du sens.

Il appelle le résultat de cette cogitation : la chance.

En bourse, la chance se résume à la faculté de s’adapter instantanément à l’imprévu.

Avec la bourse, nous sommes fiers de nos gains, et nous les attribuons à notre talent.

class="MsoNormal" style="text-align: justify; margin: 0cm 0cm 0pt">  En revanche, pour les pertes, c’est toujours la faute de l’indice, du contexte, des fonds de pensions, etc … qui font chuter les cours sans raisons.

 

Pour ma part, je suis marqué depuis mes débuts par le fait inverse, à savoir que : je dois mes plus belles pertes à des erreurs personnelles de comportement, et que pour mes plus values les plus sexy, j’ai eu de la chance !

 

Christophe Gautheron

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