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Guy Wagner

Guy Wagner

Je suis chief economist à la Banque de Luxembourg.

Dans mon blog, je commente les derniers développements sur les marchés financiers ainsi que mes évaluations sur leur future évolution.
Ces pages s’adressent aux investisseurs dans des fonds et actions avec un certain intérêt pour les marchés boursiers.


Mon parcours

Licencié en Sciences Economiques de l'Université Libre de Bruxelles, je rejoins la Banque de Luxembourg en 1986, où je fus successivement responsable des départements analyse financière et Asset Management. Depuis 2005, je suis administrateur-directeur de BLI - Banque de Luxembourg Investments.

Actions : correction ou marché baissier ?

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Depuis leur plus haut de l'année dernière, les actions européennes et japonaises ont reculé de plus de 20 %, les actions américaines de quelque 15 %. Se pose dès lors la question de savoir si le mouvement actuel ne dépasse pas la simple correction et si les marchés ne se trouvent pas à la veille d'un mouvement baissier nettement plus profond.

Au cours des vingt dernières années, les indices boursiers ont enregistré 2 véritables marchés baissiers, celui de début 2000 à début 2003 et celui de fin 2007 à début 2009. Dans les 2 cas, le recul était important, de sorte que les indices ont mis plusieurs années pour retrouver leur niveau initial, ainsi que l'illustre le graphique ci-après pour l'indice Standard&Poors 500 aux Etats-Unis. 

S&P 500 - 2 cycles baissiers importants sur les 20 dernières années

  

 Source : J.P. Morgan 

Ces 2 marchés baissiers ont trouvé leur origine dans des constellations très différentes. En 2000, ce fut unevalorisation excessive. Encore faut-il souligner que cette valorisation excessive ne se rapportait pas à tout le marché mais uniquement à certains secteurs et notamment à ceux liés à l' Internet. Ces secteurs ont fortement chuté par la suite avec même des valeurs de qualité telle que Microsoft enregistrant une chute de plus de 60 % de leur cours. Pour d'autres secteurs, la baisse fut toutefois beaucoup moins importante et les cours de bon nombre d'entreprises étaient d'ailleurs plus élevés en 2002 qu'en 2000. Pour un investisseur, la stratégie à adopter début 2000 était par conséquent de délaisser les secteurs fortement surévalués. Dans la mesure où tous les ratios de valorisation étaient dans le rouge pour ces secteurs, ceci était parfaitement faisable (ce qui rendait la chose plus difficile était le fait que ces ratios étaient déjà dans le rouge bien avant le début du marché baissier, mais que ceci n'empêchait pas ces secteurs de continuer à progresser de manière impressionnante et d'attirer ainsi de nombreux investisseurs convaincus d'assister à une ère nouvelle).

Début 2008, la situation se présentait de manière très différente. Il n'y avait pas de bulle évidente dans un secteur particulier. La valorisation de l'ensemble du marché était relativement élevée mais pas au point de justifier la chute qui a suivi. Les raisons de cette chute se trouvaient cette fois du côté économique et financier. A travers la titrisation des prêts hypothécaires, le déclin du marché immobilier américain se propagea à travers le monde et entraîna le système financier au bord du gouffre tout en provoquant unerécession économique mondiale et un effondrement des bénéfices des entreprises. Pour un investisseur, la stratégie à adopter était de délaisser les actions et de chercher refuge dans les emprunts d'Etat. 

Comment se présente la situation aujourd'hui? A priori, il n'y a pas de similitudes avec celle de 2000. Il n'y a pas de bulle dans un segment du marché boursier. En même temps, la situation économique semble nettement plus préoccupante. 

La situation actuelle ressemble un peu plus à celle de 2008. La chute des cours pétroliers fait ainsi craindre à d'aucuns un effet de contagion provenant du secteur énergétique, similaire à ce qui s'était passé avec le marché immobilier à l'époque. L'élargissement du différentiel de taux sur les emprunts de moindre qualité et la forte augmentation des prix sur les couvertures de défaillance (credit default swaps) du secteur bancaire sont également des phénomènes observés en 2008.   

Si certaines similitudes avec la situation de 2008 existent, les différences semblent néanmoins plus importantes. A certains égards, la situation actuelle est pire que celle de l'époque, à d'autres égards elle est meilleure. Les éléments qui font qu'elle est pire pourraient être qualifiés de structurels, ceux qui font qu'elle est meilleure de cycliques. 

Côté négatif, l'économie mondiale ne s'est jamais complètement remise de la crise de 2008/2009. Même aux Etats-Unis, la reprise qui a suivi était inhabituellement faible surtout si l'on tient compte des moyens mis en oeuvre pour stimuler la croissance. De nombreux freins structurels continuent à peser sur la conjoncture, à commencer par un endettement historiquement élevé, et qui a d'ailleurs encore nettement augmenté sur les dernières années. La différence étant qu'avant 2008, le problème de surendettement était essentiellement un problème du secteur privé, alors qu'aujourd'hui il concerne  également le secteur public.

Deuxième différence notable avec 2008, les banques centrales ont épuisé leurs mesures conventionnellespour faire face à un nouveau ralentissement économique. Les taux d'intérêt sont à zéro ou proches de zéro dans pratiquement tous les pays industrialisés. Se sentant investies d'une mission qui n'est pas la leur - stimuler la croissance et créer de l'inflation - les banques centrales ont commencé à mettre en oeuvre des mesures peu orthodoxes. Ces mesures n'ayant pas provoqué les résultats escomptés, la crédibilité des autorités monétaires est aujourd'hui ébranlée.   

Le modèle de croissance des dernières décennies, marqué par le recours au crédit et par un relâchement de la politique monétaire au moindre problème, semble ainsi remis en question. En même temps, les réformes structurelles nécessaires ainsi qu'une stratégie économique cohérente continuent à faire cruellement défaut.

La situation économique actuelle n'est pas sans rappeler celle des années 1920 à 1950. La période 1913 à 1950 se caractérisait également par une croissance faible de l'économie mondiale, n'avoisinant que quelque 1,9 % par an (source OCDE : Millenial Review). Les inégalités sociales étaient très importantes, à l'image de ce qui est le cas aujourd'hui. Le krach boursier de 1929 et la crise économique qui s'ensuivit ont ébranlé la confiance dans l'économie de marché. Il en résulta une régulation excessive de nature à annihiler tout esprit d'entreprise. En même temps, les taux d'intérêt n'étaient plus déterminés par le jeu de l'offre et de la demande mais fixés par les autorités. Les mouvements de capitaux furent contrôlés et restreints. La plupart des pays essayaient de stimuler leur économie à travers des dévaluations compétitives et n'hésitaient pas à introduire des mesures protectionnistes. Beaucoup de ces tendances existent à l'heure actuelle.  

Une comparaison avec la période 1920 à 1950 montre également qu'aussi violents que furent les 2 marchés baissiers des années 2000, ils ne se comparent en rien à celui de l'époque. Il a fallu 25 années à l'indice Dow Jones pour retrouver son niveau de 1929 (en termes nominaux). Lorsque les 2 facteurs qui déterminent le rendement des actions - la croissance des bénéfices et les multiples de valorisation que les investisseurs sont prêts à accorder à ces bénéfices, deviennent négatifs, les dégâts deviennent énormes. Le cours d'une entreprise avec un bénéfice par action de 10 EUR et un rapport cours/bénéfice (PER) de 15 s'élève à 150 EUR. Si son bénéfice recule de 20 % et son PER à 10, le cours sera de EUR 80, un recul de près de 50 % qui dépasse de loin la simple diminution du bénéfice.   

 Evolution de l'indice Dow Jones Industrials : 1921 - 1957

  

Source : Bloomberg 

Côté positif, il convient tout d'abord de noter la forte chute du cours de la matière première la plus importante pour l'économie, le pétrole. Depuis le deuxième trimestre 2014, le cours du pétrole a diminué de plus de 70 %, créant un stimulus important pour la conjoncture mondiale. A titre de comparaison, le cours du pétrole avait quasi doublé en 2007. Un net renchérissement du pétrole a par le passé généralement entraîné une décélération; une baisse du pétrole une accélération de l'activité économique. 

Deuxième grande différence avec 2008, le niveau des taux d'intérêt. En 2008, un investisseur pouvait encore obtenir un rendement d'environ 4 % sur un placement monétaire ou obligataire de qualité. Aujourd'hui, ce rendement est proche de zéro, voire négatif. 

Le niveau bas des taux d'intérêt augmente l'attrait des placements boursiers par rapport aux placements à revenu fixe et justifie un niveau de valorisation plus important pour les actions, toutes choses étant égales par ailleurs. Il limite aussi le problème du surendettement. Ainsi, si le niveau d'endettement est à un plus-haut historique (par rapport au Produit Intérieur Brut) dans les pays industriels, la charge de cette dette est loin de l'être grâce justement à des taux d'intérêt exceptionnellement bas. On pourrait d'ailleurs arguer qu'avec des rendements actuellement négatifs sur une part importante des emprunts souverains, les Etats feraient mieux d'augmenter encore leur endettement. Il est en tout cas déplorable que ces Etats ne mettent pas à profit leur coût de financement particulièrement faible pour effectuer des investissements productifs ayant un effet multiplicateur.

La réponse à la question de savoir si le recul des cours boursiers enregistré sur les derniers mois est le début d'un marché baissier ou une correction dans un marché haussier est différente selon que l'on donne plus d'importance aux éléments structurels (négatifs) ou cycliques (positifs). J'aurais personnellement tendance à (beaucoup) m'inquiéter des éléments structurels mais à penser que les éléments cycliques l'emporteront dans les mois à venir. Je pense également que la confiance dans les banques centrales est ébranlée mais pas (encore) perdue. Dans la mesure où une forte baisse supplémentaire des marchés boursiers mettrait en péril les objectifs visés par les banques centrales, il est impossible d'exclure qu'elles aient recours à des mesures de plus en plus extrêmes pour empêcher une telle baisse (achat d'obligations à risque?, achat d'actions?, ...).

J'accorderais donc le bénéfice du doute aux marchés boursiers et penche pour la thèse de la correction. D'autant plus qu'un certain nombre de facteurs qui avaient pesé sur la confiance des investisseurs au cours des derniers mois se sont récemment améliorés. La Chine a clarifié sa politique de change, les chiffres sur la production industrielle aux Etats-Unis pour le mois de janvier ne pointent pas vers une aggravation de la récession manufacturière, l'annonce d'un rachat d'une partie de sa dette par la Deutsche Bank a arrêté la chute des valeurs bancaires et les cours du pétrole et de certaines autres matières premières montrent des signes de stabilisation.  

J'ai gardé le principal élément positif en faveur des actions pour la fin. Les cours boursiers ont reculé de quelque 20 % depuis le deuxième trimestre 2015. Tel n'est pas le cas pour les bénéfices des entreprises. Les actions sont donc devenues moins chères de sorte que leur potentiel de rendement à long terme a augmenté
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