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Guy Wagner

Guy Wagner

Je suis chief economist à la Banque de Luxembourg.

Dans mon blog, je commente les derniers développements sur les marchés financiers ainsi que mes évaluations sur leur future évolution.
Ces pages s’adressent aux investisseurs dans des fonds et actions avec un certain intérêt pour les marchés boursiers.


Mon parcours

Licencié en Sciences Economiques de l'Université Libre de Bruxelles, je rejoins la Banque de Luxembourg en 1986, où je fus successivement responsable des départements analyse financière et Asset Management. Depuis 2005, je suis administrateur-directeur de BLI - Banque de Luxembourg Investments.

De l'aversion au risque à l'aversion aux pertes (2ème partie)

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"Rule #1 : Never lose money" (Warren Buffett)

A mon sens, la mainmise de cette approche académique sur la gestion de portefeuille détourne l’attention de l’investisseur du principal risque de tout investissement, le risque de perdre de l’argent.

Dès lors, il semble qu’il soit plus adéquat d’appréhender le risque d’un investissement comme la possibilité de subir des pertes permanentes en capital.C’est cette définition que nous avons retenue chez BLI. Et que nous plaçons au cœur de notre méthodologie de gestion de portefeuille. Nous nous caractérisons dès lors plus par une aversion aux pertes que par une aversion au risque.

Le risque devient un paramètre discriminant qui va guider, ex-ante, nos choix d’investissements individuels. C’est un risque multidimensionnel qui ne peut pas être modélisé ou quantifié, ni de façon prospective ni de façon rétrospective. Comme l’indique Howard Marks de Oaktree Capital Management, il n’existe pas de standard pour mesurer la probabilité de pertes en capital, qui repose sur un raisonnement qui diffère d’un individu à l’autre selon, par exemple, son objectif ou son horizon d’investissement.

Evaluer ce risque est un jugement établi à partir d’un ensemble incomplet d’informations. Face à l’incertitude du lendemain, il doit être porté avec circonspection avec pour finalité de réduire les probabilités de survenance d’évènements défavorables.

  

Le cercle de compétence

La qualité de ce jugement est fortement influencée par le profil de l’investisseur, en fonction de sa formation, de son expertise, de ses expériences, et par la connaissance de l’entreprise, de ses produits, de ses marchés, de ses perspectives.

La meilleure stratégie à adopter est donc de rester dans ce que Warren Buffet appelle le « cercle de compétence », propre à chaque individu. Cela consiste à choisir de façon sélective les entreprises dans lesquelles nous pourrions investir en fonction de notre capacité à les comprendre afin d’être plus à même dejauger les paramètres de risque. Warren Buffett précise que "Knowing what to leave out is just as important as knowing what to focus on" ; ce n’est donc pas la taille du cercle qui compte, mais plutôt savoir en fixer les limites. Comme l’indique Awath Damodaran, professeur de finance à la Stern School of Business (New York) « l’investisseur qui est sélectif sur les risques peut chercher à les exploiter à son avantage, tandis que l’investisseur qui ne se prépare pas suffisamment aux conséquences des risques peut en être sévèrement pénalisé ».

Endosser cette approche a pour avantage de mettre l’accent sur le processus d’investissement plutôt que sur sa finalité, la rentabilité attendue. Un processus d’investissement élaboré dans ce sens apporte une certaine sérénité et permet de réduire le nombre d’erreurs commises, un facteur critique de dilution de la rentabilitéd’un portefeuille.

Sources de risques

Dans le cadre de notre méthodologie, en sus de la compréhension nous avons de l’entreprise, et afin de réduire la probabilité de subir des pertes permanentes en capital nous nous reposons sur une analyse fondamentale structurée autour de trois sources de risques majeurs :

  • le risque fondamental qui a pour optique d’évaluer la capacité d’une société à maintenir sa capacité bénéficiaire. La différenciation de l’entreprise au travers d’un avantage compétitif, son bon positionnement sur ses marchés, une allocation du capital pertinente et dirigée vers son savoir-faire, sa capacité à agir sur ses prix de ventes permettront entre autres de déceler si l’entreprise contrôle la majorité des facteurs qui lui permettent de prévenir un déclin structurel de sa rentabilité ;
  • le risque financier qui vise à contrôler que la valeur de l’entreprise ne sera pas mise à mal par un financement inadéquat de son cycle d’exploitation ou de ses actifs immobilisés ;
  • le risque de valorisation, qui nous amène tout d’abord à limiter nos investissements aux sociétés dont nous pouvons appréhender la valorisation sur base de critères transparents et objectifs. Une fois cette valorisation effectuée, il faut veiller à ce que le cours de bourse nous offre une marge de sécurité par rapport à la valeur intrinsèque de la société afin de nous prémunir contre un évènement inattendu, un mauvais jugement mais aussi permettre d’accroître le rendement de l’investissement.

Des portefeuilles moins conventionnels

Par opposition à certains modèles de gestion plus classiques qui se basent entre autres sur la notion de volatilité, notre gestion tente de définir un choix de sociétés basé sur la transparence et la connaissance ou la compréhension que nous en avons, en appliquant notamment les critères suivants :

  • notre univers d’investissement est plus restreint que celui d’un indice de marché, dans la mesure où notre cercle de compétence ne s’étend pas à l’ensemble des sociétés et secteurs de l’indice et, d’autre part, la recherche de sociétés présentant un avantage compétitif durable élimine nombre de candidats, voire de secteurs de notre univers ;
  • c’est une gestion de convictions. Elle se traduit par des portefeuilles concentrés, sans pour autant accroître le risque par rapport à une approche plus conventionnelle de l’investissement, comme le soutient Buffett « We believe that a policy of portfolio concentration may well decrease risk if it raises, as it should, both the intensity with which an investor thinks about a business and the comfort-level he must feel with its economic characteristics before buying into it »;
  • les allocations sectorielles et géographiques du portefeuille sont structurellement différentes de celles d’un indice de marché. Elles résultent de choix dictés par la recherche de marges de sécurité et par une réflexion axée sur le coût d’opportunité d’un investissement ;
  • notre horizon d’investissement porte sur le long terme. « Time is the friend of the wonderful business» (Warren Buffet), car la société a la capacité de capitaliser sur ses forces et l’investisseur de bénéficier des fruits du rendement composé.
Ce cadre de travail se démarque substantiellement de la Théorie Moderne de Portefeuille sur deux points essentiels D’une part, la volatilité n’est plus considérée comme source de risque. Elle est inhérente à tout marché liquide où les frais de transactions sont faibles, et d’autant plus marquée que les choix et décisions des intervenants sont influencés par la psychologie, la peur, le conformisme, la capitulation, comme c’est le cas sur les marchés financiers. La volatilité peut être mise à profit comme source d’opportunités pour effectuer des investissements à prix intéressants dans des entreprises que l’on comprend. D’autre part, l’aversion aux pertes, qui identifie le risque comme la probabilité de subir des pertes permanentes en capital, prend le pas sur l’aversion au risque. Ceci rend possible une corrélation négative entre le risque et le rendement, ce que corroborent en partie les très bonnes performances boursières d’entreprises de grande qualité peu risquées.

Au travers de notre gestion c’est cette corrélation que nous cherchons à appliquer dans le choix de nos investissements.


Ivan Bouillot
Equity Fund Manager
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