Henri Dumas
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Libéral convaincu, je tire des expériences de ma vie une philosophie et des propositions.
Le tout sans prétention de vérité.
Mon blog : www.temoignagefiscal.com
Rififi chez les abeilles
Audience de l'article : 1736 lecturesSi vous n’êtes pas abonné, vous pouvez le trouver en ruche au prix de 10g de miel.
Cette année la première page est occupée par l’interview de deux abeilles ouvrières, Marcelle et Ginette (les noms ont été modifiés).
Nous le reproduisons en intégralité.
AM : Mesdames nous sommes sur l’abeillodrome de Villacoublay, il est 7h, vous vous apprêtez à partir en mission, mais la nuit a paraît-il était difficile. Pouvez-vous nous en parler ?
Ginette : Tu peux le dire c’est le bordel complet, pas vrai Marcelle.
AM : Des problèmes de cadences de travail je crois savoir ?
Marcelle : Oui, entre autre. C’est vrai qu’on doit faire trois missions à l’heure au lieu de deux pendant nos dix heures.
AM : C’est une lourde contrainte ?
Ginette : Bof, ça dépend des jours. Quand il fait beau ça va. De toute façon on l’aime ce boulot. C’est quand le vent est fort ou qu’il pleut que c’est un peu dur.
Marcelle : Quand même on est souvent en surcharge maintenant. C’est moins maniable. L’autre jour, chargée comme une mule, je me suis fait attaquer par un bourdon, si Manu avait pas été juste à côté j’y passais.
AM : On dit que la réunion syndicale des ouvrières de la ruche a été houleuse.
Ginette : Ça c’est sûr.
AM : Quel était le problème ?
Marcelle : C’est ces connards du gouvernement, les bipèdes de L’Ecole Nationale des Abeilles (ndlr l’ENA). Ils se sont mis dans l’idée de nous piquer tout le miel, y compris la gelée royale. Ils ont des nouveaux appareils et ils font deux récoltes par an. Après, on a plus rien à bouffer pour l’hiver.
AM : Mais ne sont-ils pas tenus de respecter le Code de Protection des Abeilles (le CPA) ?
Ginette : Tu parles. Ils sont maqués avec la grande distribution, ils s’en foutent du CPA.
Marcelle : Mais le pire, c’est qu’ils multiplient la concurrence. Avant ici on était six ruches, maintenant on est douze.
Ginette : Ouais, on bosse comme des connes. Du boulot impeccable. Résultat on crève de faim parce qu’ils nous piquent tout.
Marcelle : Ils disent qu’ailleurs y a des ruches qui produisent deux fois plus, je les crois pas.
AM : Que dit la reine ?
Ginette : Rien. Elle gueule, elle a toujours faim. Elle nous traite de fainéantes. Ça va mal finir.
Marcelle : Oui, les voisins, à deux ruches d’ici, leur reine a préféré se suicider. Ils ont tous été euthanasiés ensuite. Ça arrive de plus en plus souvent.
Ginette : Le comble, c’est que ces voleurs du gouvernement ils disent que c’est la faute de l’écologie, des engrais.
AM : Ah bon. Et les engrais ne vous gênent pas ?
Marcelle : Si, bien sûr, c’est collant et pas bon. On s’en fout plein les pâtes et ça shoote un peu. Mais bon, on peut assumer. Tandis que se faire piquer toutes ses économies, ça tu t’en remets pas.
Ginette : Y a des ruches qui ont le moral à zéro. Tu les croises elles sont maigres comme des clous, on les sent perdues, elles savent pas où elles vont. Bosser tout l’été pour crever de faim tout l’hiver, c’est pas une vie.
AM : Qu’avez vous décidé ?
Ginette : Rien
Marcelle : Y en a qui voulaient attaquer ces cons de bipèdes du gouvernement, les cupides de l’ENA qui nous prennent pour des nazes, mais si on en fout un en l’air les autres vont nous gazer, alors …
AM : Et la grève ?
Ginette : On en a parlé, mais c’est impossible. Il faut nourrir la reine tous les jours. Si on arrête le boulot à moitié on aura du mal à le redémarrer et de toute façon ils prendront tout. Non, il faudrait se casser.
AM : Quitter la ruche ?
Marcelle : Ouais, mais c’est vachement compliqué. Dans la nature y a plein de problèmes, de territoire, de stockage, de sécurité, etc… La majorité ne veut pas partir. Et partir seule c’est impossible. Ou alors avec un bourdon, mais bon, c’est mal vu…
AM : Qu’allez-vous faire ?
Ginette (riant et décollant) : Rien du con, tu vois bien qu’on n’est pas du bon côté de la vie. C’est comme ça, on y peut rien.
(Propos recueillis sur Nagra par Nicolas Hulot pour L’Abeille Matin.)