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Bernard Marois

Bernard Marois

Bernard Marois est diplomé d’HEC, MBA de l’Université Columbia de New York et docteur en sciences de gestion. Il est actuellement professeur emeritus au Groupe HEC.

Il écrit régulièrement dans des revues spécialisées, telles que Banque Magazine, La Revue Francaise de Gestion ou Les Echos.

« QUO VADIS » (OU ALLONS NOUS ?)

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L’été n’a pas apporté de grandes satisfactions, du point de vue économique, c’est le moins qu’on puisse dire. Les grands défis restent les mêmes : relancer la croissance en France ; sauver l’euro dans son périmètre actuel ; freiner la «  dégringolade » de l’Europe au niveau mondial. Revenons sur chacun de ces points.


I.  Relancer la croissance en France :
La barre des 3 millions de chômeurs vient d’être franchie et le record historique des années 90 est en voie d’être dépassé. Notons que 25% des jeunes sont inactifs, chiffre exécrable si on se projette dans l’avenir. La baisse de l’emploi est fortement corrélé par rapport à une croissance anémique, inférieure de 2 % de PIB par rapport à une croissance potentielle (c’est à dire ce que la France devrait atteindre, compte tenu de son dynamisme démographique) et cela depuis plus de 10 ans.
Un des vecteurs de cette mauvaise  performance est notre déficit commercial, qui représente environ 4 % du PIB français et ne fait que croître. 3 raisons l’expliquent :
 
1.   Le manque de compétitivité de l’industrie française : celle-ci se situe au 21ème rang mondial en 2012, contre  le 15ème rang en 2010. Tout a déjà été écrit sur ce sujet. Le coût du travail est le principal responsable de cette situation. Certains accusent la force de l’euro. Ce n’est pas le facteur essentiel, ainsi qu’en témoigne le recul de nos exportations vers la zone euro, de 17% en 1990 à 12,6% en 2010.


2.    L’absence de politique industrielle efficace, qui se traduit par une mauvaise spécialisation sectorielle. Si on exclut l’aéronautique, le nucléaire et le spatial, l’industrie française a pris beaucoup de retard. Un exemple éclairant peut-être apporté par l’analyse du secteur automobile, domaine où la France détenait une position forte. Comparons le groupe Volkswagen et le groupe Peugeot : le premier couvre toute la gamme, du luxe (Porsche, Bentley, Bugatti) au cœur de marché (VW, Seat, Skoda) ; le second est absent du segment du luxe ; or celui-ci représente presque 40% des bénéfices de Volkswagen. PSA est faiblement internationalisé, alors que la firme allemande est présente dans 27 pays à travers 100 usines (1).  En termes de production de véhicules, pour une base de 100 en 2009, Volkswagen atteint 140 en 2012 tandis que Peugeot tombe à 85 ! Désormais la firme sochalienne est au 8ème rang mondial, alors que Volkswagen se rapproche de la première place. Si nous revenons à l’industrie, d’un point de vue global, on constate que la R & D privée est tombée à 1,2% du PIB en France, contre 1,7% en Allemagne (2)  et 2% aux Etats-Unis.


3.    La difficulté à faire apparaître des ETI (Entreprises de Taille Intermédiaire), principales créatrices de nouveaux emplois. En Allemagne, le « Mittelstand » (ensemble des entreprises moyennes) est le fer de lance des exportations allemandes. Or celles-ci, sont presque 3 fois plus nombreuses que leurs homologues françaises ! Pourquoi les entreprises françaises de taille moyenne peinent à se développer ? On peut citer plusieurs raisons : des marges d’autofinancement trop faibles, une législation du travail peu favorable (35 heures, etc.), une internationalisation insuffisante (voir points précédents).
   On voit que, face aux 150 milliards d’excédents commerciaux de l’Allemagne, notre déficit de 70 milliards (ce qui veut dire 70 milliards d’importations non couvertes par des exportations) favorise la stagnation économique de la France. Alors de bons apôtres viennent nous dire : la France attire les investisseurs étrangers (même le Qatar vient apporter ses capitaux !), c’est donc que notre système économique est excellent. Faux, car il faut rétablir la vérité : il s’agit de chiffres bruts de flux entrants ; d’une part beaucoup de ces investissements résultent de rachats d’entreprises françaises (et donc n’aboutissent pas à une création d’emplois) et d’autre part, il faudrait déduire les ventes ou fermetures d’entreprises françaises du fait des non-résidents (cf. Arcelor Mittal). En termes nets, les chiffres sont beaucoup moins favorables (et donc occultés par les Pouvoirs Publics). En outre, ils ne prennent pas en compte les investissements français à l’étranger, largement supérieurs aux entrées de capitaux en France. De ce fait, la balance des capitaux est négative : il y a plus d’investissements qui sortent de France qu’il n’en rentre, ce qui n’est pas bon pour l’emploi! (3)
 
 
II.       Sauver l’euro
A court terme, la situation a été stabilisée, grâce à la BCE (qui va soutenir les marchés obligataires en rachetant les dettes des Etats en difficulté) et à la prochaine mise en œuvre du MES (Mécanisme Européen de Stabilité) qui prend le relais du FESF (Fonds Européen de Stabilisation Financière). Mais les marchés restent sceptiques (cf. les hausses de taux frappant à intervalles réguliers l’Espagne et l’Italie).
En fait, il existe 3 scenarii de long terme :
1.      La zone euro subsiste dans son périmètre actuel. Cela suppose la mise à niveau structurelle de l’Europe du Sud, c’est à dire des transferts de plusieurs centaines de milliards d’euros vers la Grèce, l’Espagne, le Portugal et l’Italie et cela pendant de nombreuses années. Autrement dit, le budget communautaire devrait rapidement passer de 1% du PIB européen à 10% environ (le budget fédéral américain dépasse les 12%). Cela signifie pour la France des prélèvements énormes en faveur du budget communautaire. Clairement, on ne pourra « converger » économiquement(4) qu’à travers une baisse du niveau de vie des Etats les plus riches de la zone euro, dont la France. Bon courage !
 
2.      La zone euro subsiste mais se contracte, en excluant les maillons faibles. D’un point de vue économique c’est une politique plus facile à mener sur le long terme, car l’optimisation peut être atteinte plus vite, grâce à la plus grande convergence des économies des pays membres restants. Mais, il existe 2 obstacles redoutables : le coût politique d’un semi-échec, pour l’ensemble de l’Europe et, la phase de transition (sortie des pays « faibles ») avec « le risque de contagion » à gérer et l’accompagnement difficile des « sortants ». Par ailleurs, c’est une situation inédite, d’un point de vue historique.


3.      La zone euro disparaît. C’est la solution la plus négative : échec politique de l’Europe patent et retour à une situation antérieure (chacun pour soi) avec son lot de problèmes (dévaluations compétitives, mais « inflation importée » ; conflits inter-Etats, etc.). Je ne crois pas que la France y gagnerait beaucoup : certes, elle retrouverait une politique de change et une politique monétaire indépendantes, mais comme 65% de nos échanges s’effectuent à l’intérieur de l’Europe, cela serait une catastrophe pour nos entreprises(5).
 



III.             Freiner le recul de l’Europe.
 
Quelques chiffres peuvent illustrer clairement notre propos. En 2012, la France espère au mieux connaître une croissance de 0,5% du PIB ; dans le même temps, la Chine devrait atteindre 8% ; sachant que le PIB de la Chine égale approximativement deux fois celui de la France, cela veut dire que la richesse chinoise s’accroîtra de 32 fois celle de la France en 2012. Dans le cas de l’Inde, le chiffre correspondant est de 8 fois et celui du Brésil de 10 fois. Dans la mesure où la zone euro et le reste de l’Europe se situent aux alentours, en consolidé, de 0,5% de croissance du PIB, on peut leur appliquer les mêmes raisonnements. Si l’on projette ces chiffres sur plusieurs années, on comprend que le recul de l’Europe est inéluctable.
Dans ces conditions, il est difficile d’être optimiste, en ce qui concerne les prochaines années. Souhaitons qu’au minimum, une solution soit apportée à la gouvernance de la zone euro (je privilégie le scénario 2) et que les autorités publiques françaises « reviennent sur terre », en cessant leur « déni de réalité » et en s’attaquant réellement aux problèmes(6) que j’ai évoqués dans la première partie de cet éditorial.

Bernard MAROIS
Professeur Emérite HEC PARIS
Président d’Honneur du Club Finance HEC
 
 

 

 


(1)Alors que Volkswagen assemble et vend 2 millions de voitures en Chine, PSA n’en écoule que 450 000. Quant à la firme Renault, elle est pratiquement absente de ce marché.
(2)A titre d’exemple, les dépenses de R&D de Volkswagen s’élèvent à plus de 3 fois celles de Renault, grâce, en partie, à des marges bénéficiaires bien meilleures.
(3) Cette analyse peut-être affinée, en distinguant les effets à court terme (très négatifs) des effets à long terme plus positifs, les implantations à l’étranger permettant parfois d’augmenter les exportations françaises (transferts internes).
(4) Rappelons qu’une zone monétaire n’est viable à long terme que si elle est « optimale », c’est à dire, renforce la convergence économique des pays membres.
(5) Elles devraient alors gérer leurs risques de change, ce qui n’ai pas aisé pour des PME.
(6)Je ne m’étends pas sur les problèmes de l’endettement et de déficit budgétaire que j’ai abordés dans des éditos antérieurs. Le désendettement est indispensable, la réduction du déficit incontournable, mais doivent être étalés dans le temps, pour éviter la récession et privilégier la diminution de la dépense publique à l’augmentation des impôts (ce qui n’est pas le cas pour le moment).
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