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Vincent Benard

Vincent Benard

Vincent Bénard est analyste à l'Institut Turgot (Paris) et, depuis mars 2008, directeur de l'Institut Hayek (Bruxelles). C'est un spécialiste du logement et  de la crise financière de 2007-2008 (subprimes). Grand défenseur du libéralisme économique, Vincent décortique tous les errements des Etats providence !

L'accumulation de dettes pourries menace le système financier

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(Article initialement publié sur Atlantico)

Alors que les marchés semblaient se réjouir d'un audit chiffrant à « seulement » 62 milliards d'euros le besoin de recapitalisation des banques espagnoles, l'agence Moody's a jeté un froid en dégradant la notation du risque de crédit de 15 grandes banques mondiales, puis en abaissant de nouveau la note de la dette de 28 banques espagnoles. Le motif ? Il y a trop de créances douteuses dans leurs bilans.

Le comble de l'absurde est atteint dans la péninsule ibérique, où des banques en quasi faillite vont recevoir une capitalisation d'un fond de secours public, qui bénéficiera d'un prêt de l’État espagnol, lui même alimenté par des ressources européennes qui restent à déterminer, fournies par des États eux-mêmes proches du surendettement, comme l'Italie ou la France. Et tout cela pour quoi ? Pour qu'elles puissent continuer à prêter à l'État espagnol !

Les investisseurs remboursés par l'argent des nouveaux emprunts : nous avons là un schéma de Ponzi à l'état pur, mais aucun des Madoff à la tête de nos gouvernements n'ira pourrir en cellule, merci pour eux.

L'argent-dette mal utilisé ne peut être remboursé

Comment les États du sud de l'Europe espèrent-ils s'en sortir ? Grâce à... Une relance de la croissance, obtenue par un maintien à un niveau élevé des dépenses publiques, et donc par un creusement de la dette. Un tel niveau de niaiserie économique laisse pantois. Rappelons quelques fondamentaux normalement maîtrisés par tout étudiant en économie. 

La qualité d'une dette dépend de la faculté du débiteur à s'inscrire dans une chaîne de création de valeur suffisamment performante pour le rembourser. Si une entreprise investit sa créance dans des outils de production performants, dont les produits séduisent les consommateurs, aucun problème. Si cette chaîne de valeur permet aux salariés de voir leur rémunération augmenter, ceux-ci peuvent sans souci avoir recours au crédit.

Mais que la proportion de dettes mal utilisées augmente, et la capacité de remboursement des débiteurs est menacée. C'est ce qui se passe en Europe. L'illusion de prospérité créée par la monnaie unique a permis à des agents économiques de pays peu performants d'emprunter pratiquement au même prix que les Allemands, et le faible coût de cet argent facile a favorisé des utilisations de mauvaise qualité. Pour le secteur privé, trop de ressources ont été allouées, par exemple, à des maisons sans acheteur, comme en Espagne ou en Irlande. Quant aux États européens, il y a longtemps que tous utilisent leurs déficits pour financer les voies d'eau de leurs dépenses courantes, sans aucun bénéfice pour leur compétitivité.

Aussi la dette augmente-t-elle bien plus vite que la capacité de remboursement des emprunteurs. Et il ne faut pas compter sur une hypothétique croissance pour la résorber : dès 2010, la banque des règlements internationaux, dans une étude restée hélas confidentielle, montrait que pour ramener en 10 ans leur dette simplement au niveau d'avant crise, en 2007, les États européens devaient améliorer leur balance primaire de 5 à 10% de leur PIB, voire 15% pour certains PIGS (Portugal, Italie, Grèce, Espagne et Irlande).

Malgré les cris des adversaires d'une austérité encore timide, aucun État n'a effectué le tiers des efforts nécessaires à cette stabilisation. Et la croissance nécessaire à une telle performance sans effort budgétaire significatif est inenvisageable dans une zone Euro qui n'a guère brillé en ce domaine depuis l'adoption de la monnaie unique.

La dynamique actuelle des dettes publiques est insoutenable

Il faut se rendre à  l'évidence : la dynamique actuelle des dettes publiques est insoutenable. Or, l'exposition des grandes banques européennes à ces dettes se chiffre de 50 à 100 milliards par établissement, sans compter les produits dérivés, et il faut y ajouter les dettes privées non remboursées, qui atteignent aujourd'hui 8% des créances en Espagne. D'où l'inquiétude légitime de Moody's vis à vis du secteur financier.

Tout laisse croire que la crise entre dans une nouvelle phase d'aggravation très douloureuse. Si l'on s'en tient au cas de l'Espagne, une recapitalisation des banques signifie que celles-ci ne pourront pas continuer à garnir leurs portefeuilles d'obligations de leur État souverain, brisant la chaîne de Ponzi. Or, l’État espagnol a besoin de plus de 270 milliards de refinancement en sus de la recapitalisation de ses banques d'ici à la fin 2014 [ii]. Seuls les mécanismes européens de « stabilité », il faut le dire vite, pourront lui apporter ces sommes... Mais tous les États qui contribuent à ces fonds sont eux-mêmes surendettés ! Tôt où tard, les investisseurs décideront que l'Allemagne ne pourra pas à elle seule garantir le comblement de toutes les voies d'eau de la maison Europe : qui paiera alors les renflouements ?

Les stratégies de bricolage de fonds de « secours » ou d'Eurobonds supposés résoudre les problèmes de dette des États nationaux par une mutualisation au niveau européen sont en train, à l'évidence, d'échouer lamentablement. Et Mario Draghi (président de la BCE) a fort heureusement fait savoir que les mesures exceptionnelles de création monétaire artificielle depuis la BCE ne sauraient devenir la règle, sous peine d'un retour à des inflations insupportables. Il faut donc imaginer rapidement d'autres moyens d'assainir la situation.

D'autres solutions sont possibles...

Lorsqu'une entreprise est insolvable, elle doit soit négocier un accord de réduction de dette, généralement en échange de capital de l'entreprise faillie, soit être liquidée. Un État ne peut être liquidé (essayez de faire saisir le Parthénon par un huissier...), il faudra donc, pour les États insolvables, négocier des remises de dette (« haircuts ») avec leurs créanciers.

Évidemment, certains objecteront qu'un défaut souverain d'importance entraînerait nécessairement la faillite de nombreuses banques détentrices de ces titres, menaçant l'économie d'un grippage total. Pour éviter un tel phénomène, les États-Unis ont adopté au mois de mai un dispositif de mise en redressement des grandes banques piloté par la FDIC (l'assureur fédéral des comptes courants) prévoyant un assainissement d'une grande banque en faillite par un mécanisme de transformation progressif de ses dettes en capital [iii], et surtout aucun appel au contribuable, contrairement aux plans de sauvetage récents.

Récemment, Michel Barnier, pour le compte de la Commission européenne, a présenté des propositions philosophiquement proches [iv]. Ces propositions ne sauraient résoudre tous les problèmes, elles n'empêcheront pas des ajustements douloureux des États-providence, qui devront de toute façon réduire considérablement leur empreinte économique, et leurs détails techniques posent encore quelques questions. Mais ces plans permettraient, si leurs promoteurs se révèlent capables de les mettre en œuvre, de s'assurer que de grosses faillites bancaires n'empêcheraient pas cette économie que l'on dit « réelle » de fonctionner tant bien que mal pendant que l'économie financière subirait une très grande purge de ses dettes toxiques.

Malheureusement, faute d'avoir envisagé de telles dispositions dès 2008, bien que quelques économistes de renom s'en soient dès lors faits les chantres, il est peu probable qu'un tel dispositif européen de gestion des grandes faillites bancaires voit le jour avant 2015.

Pourtant, il y a urgence à ce que les États cessent de faire semblant de croire qu'ils peuvent sortir de la crise en « bidouillant » des plans de sauvetage mobilisant des milliards qu'ils n'ont pas, et en creusant leur endettement sans retenue. Il est trop tard pour essayer de sortir de la crise en comptant uniquement sur un assainissement des comptes publics courants, quand bien même celui ci reste indispensable. Une gestion ordonnée de la faillite des États les moins solvables et des banques trop exposées à ces dettes toxiques est plus que jamais indispensable, quelle qu'en soient les difficultés politiques.

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[i]  BIS Working Paper n°300, « The future of public Debt », mars 2010 http://www.bis.org/publ/work300.pdf?noframes=1
[ii] Sources: analyses de JP Morgan et Royal Bank of Scotland

[iv] Les échos, 6 juin 2012 : « Michel Barnier :  Les banques doivent payer pour les banques »

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