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Charles Sannat

Charles Sannat

Charles Sannat est diplômé de l’École Supérieure du Commerce Extérieur et du Centre d’Études Diplomatiques et Stratégiques. Il commence sa carrière en 1997 dans le secteur des nouvelles technologies comme consultant puis Manager au sein du Groupe Altran - Pôle Technologies de l’Information (secteur banque/assurance). Il rejoint en 2006 BNP Paribas comme chargé d'affaires et intègre la Direction de la Recherche Économique d'AuCoffre.com en 2011. Il enseigne l'économie dans plusieurs écoles de commerce parisiennes et écrit régulièrement des articles sur l'actualité économique.

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« Les chauffeurs de taxi sont des canuts… ! »

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Mes chères contrariennes, mes chers contrariens !

Difficile après les événements de la journée de ne pas vous parler des chauffeurs de taxi, de leur grève et de leur protestation. Je vais essayer d’aborder les choses de façon pragmatique et juste.

Un outil de travail qui coûte cher

N’imaginez pas que je vais me livrer à une défense inconditionnelle des chauffeurs de taxi. Néanmoins, par honnêteté intellectuelle, il est très important de rappeler certaines réalités de cette profession.

Il existe en gros deux types de « taxi ». L’artisan propriétaire de sa « plaque » et celui qui est locataire de sa « plaque ». Une plaque c’est le droit d’exercer comme taxi. Une plaque cela s’achète, cher, très cher, tellement cher qu’en réalité, bien souvent, ce n’est pas tant le chauffeur de taxi qui est propriétaire mais sa banque. 200 000 euros. C’est le prix par exemple à Paris pour devenir taxi.

Un chauffeur va exercer en « nom propre ». Cela veut dire qu’il est solidairement responsable de son activité. Si notre chauffeur de taxi ne rembourse pas son crédit, ou ne paye pas ses charges (le très célèbre RSI), la banque comme les organismes sociaux n’hésiteront pas un instant à venir saisir ses biens, ou sa maison.

Un chauffeur de taxi doit donc payer sa licence (la plaque), il doit payer des charges, il doit aussi financer très régulièrement l’acquisition de son véhicule, une assurance tous risques qui est très chère puisqu’il s’agit d’un métier où l’on transporte du monde, les frais de carburant…

Mais ce n’est pas fini (comme dit la pub), un chauffeur de taxi roule beaucoup. Énormément. Et vu le nombre de radars et de contrôles routiers, le moindre faux pas pour ces professionnels peut rapidement poser des problèmes importants. Bref, vous l’aurez compris, être taxi ce n’est pas forcément une sinécure, les contraintes sont nombreuses, les coûts sont importants et la législation très précise.

Une colère compréhensible, pourtant le métier de taxi va rapidement disparaître….

Il est donc assez logique que cette profession voit rouge lorsque des chauffeurs particuliers, qui ne sont pas assurés pour le transport de personnes, qui font cela occasionnellement donc sans avoir à remplacer un véhicule ou à acheter spécifiquement un véhicule pour cet usage, ne paient pas de charges ou d’impôts.

Même s’il est de bon ton de dire qu’Uber c’est super car c’est moderne, la réalité c’est que les profits d’Uber proviennent d’une distorsion de concurrence évidente. Uber s’arroge le droit de faire conduire des gens par des gens au mépris de toutes les règles y compris d’assurance. C’est parce que ses chauffeurs sont des amateurs qu’Uber peut gagner de l’argent.

Pourtant, je pense que les chauffeurs de taxi n’ont pas à avoir peur d’Uber dans sa version actuelle. Ils devraient néanmoins être effrayés par la version 2 d’Uber à laquelle ils seront rapidement confrontés (mais taxi ne sera pas le seul métier concerné). Je pense évidemment à la voiture sans chauffeur dans laquelle Uber, avec Google, est particulièrement en pointe.

Le métier de chauffeur de taxi est donc en réalité condamné et il s’agit à mon sens d’un combat que nos amis chauffeurs de taxi ont perdu d’avance. Ils n’arrêteront pas le « progrès ». Qu’ils se rassurent, je ne pense pas qu’être conduit par un robot soit un « prôgrès ». En ce qui me concerne, je préfère avoir un chauffeur crétin et désagréable plutôt qu’un robot, de la même façon que je préfère faire la queue à la caisse avec caissière qu’à la caisse automatique. Pourquoi ? Parce que c’est ma façon personnelle de résister à un système déshumanisant qui oublie aussi qu’économiquement, la richesse de tous dépend de la répartition par le salaire de l’ensemble de la création de richesse justement. Alors oui, je fais la queue y compris au péage là où un être humain prendra… ma carte bleue ! Au moins, il a un travail et donc un salaire pour faire vivre sa famille.

Mais, ne soyons pas naïfs. Les entreprises ont pour vocation unique de faire toujours plus de profits. Et quand les entreprises de transports pourront se passer des chauffeurs… elles se passeront des chauffeurs. Cela concernera les routiers mais également les taxis. Vous vous rendez compte les gains de productivité ? Votre camion pourra en plus rouler sans s’arrêter en permanence… plus besoin de pauses ou de sommeil. Idem pour votre taxi.

Les chauffeurs de taxi mènent donc un combat d’arrière-garde, comparable à celui des canuts. On casse les véhicules des autres comme les canuts cassaient les métiers à tisser… mais au bout du compte, les canuts ont disparu.

Et non, je ne me sers pas de l’argument des canuts pour dire qu’il y aura plus de travail après. Ce n’est pas le cas et ce ne sera pas le cas.

Deux suggestions à faire à nos amis taxis

Collectivement, il ne faut pas demander l’application de la loi au sens strict, il faut aller plus loin. Il faut revoir la profession et aligner le régime des VTC sur celui des taxis ou inversement. Non, ne hurlez pas tout de suite et ne me jetez pas à la Seine avant d’avoir lu la suite.

Si on aligne ces deux régimes, il faut évidemment indemniser les taxis pour l’acquisition de leur licence dont le prix, à terme, va tendre vers 0. Or les gars sont endettés pour leurs licences à 200 000 balles et en plus ils ont plus de concurrence… donc impossibilité de gagner leur croûte, d’où la colère.

Alors de deux choses l’une, car tout dans la vie doit être régi selon les principes de justice et de cohérence. On ouvre le transport des gens à la concurrence. Dès lors on demande aux nouveaux venus, les VTC, de s’acquitter d’une soulte de disons 5 ou 10 000 euros afin d’avoir le droit d’exercer. Cette soulte alimente un fonds qui rachètera progressivement aux taxis leurs licences à la valeur du marché. On fixe évidemment le prix de la plaque en le figeant à son prix actuel afin que personne ne soit lésé.

Si on n’indemnise pas les taxis… eh bien on n’ouvre pas leur marché à la concurrence sinon cela veut dire que l’État s’arroge le droit de ruiner des gens, des familles entières et de façon générale, ce ne sont pas des procédés acceptables.

Il va falloir changer de métier

La deuxième suggestion, c’est que ceux qui comprennent l’avenir et qui ont encore beaucoup d’années à tirer feraient mieux de penser à une réorientation professionnelle. Vendez vos licences tant que vous le pouvez et allez faire autre chose. Je sais, ce n’est pas forcément facile, ni simple, il faut faire bouillir la marmite et puis que faire d’autre… certes. Mais mon analyse de l’évolution économique m’amène à penser que ce métier est condamné à brève échéance. VTC, Uber, co-voiturage, taxis clandestins, sans oublier voiture sans chauffeur et augmentation de toutes les charges tous les ans font du modèle économique d’un taxi un échec financier à venir.

Que cela ne soit pas une bonne nouvelle, j’en conviens. Que nos camarades taxis aimeraient entendre autre chose j’en suis presque certain, mais ce serait leur mentir et je ne mens jamais. D’ailleurs, lorsque l’on voit leur réaction dont la violence rappelle celle des bonnets rouges bretons, on sent bien une forme de désespoir.

Pourtant, comme le disait Churchill, « il vaut mieux prendre le changement par la main, avant qu’il ne vous prenne par le cou ». Et encore une fois cette maxime s’applique ici. Pendant des décennies, les taxis ont été tranquilles. Or depuis moins de 5 ans, le changement est palpable, évident même. Et ce statut finira par craquer, comme l’enseignement et l’Éducation nationale sous la pression des MOCCs qui sont les cours en ligne et où, du fin fond de la Corrèze, vous pourrez apprendre en écoutant le meilleur des professeurs de médecine du monde. Les enseignants n’en sont même pas conscients et pourtant leur métier, dans sa forme actuelle; est déjà mort (sans même avoir à évoquer les résultats souvent pitoyables).

Bref, vous devez comprendre que la convergence entre les technologies de l’information, de la robotique et de l’intelligence artificielle vont totalement bouleverser le monde du travail dans les 10 prochaines années.

Cela signifie que vous devez, à titre personnel, anticiper cette future réalité et que vous devez choisir ou vous reconvertir vers des métiers qui soient :
- non délocalisables ;
- non robotisables ;
- non informatisables.

Ce raisonnement et cette réflexion doivent être menés par toutes les personnes qui ont encore au moins 10 années de travail devant elles. Je vous souhaite à tous beaucoup de courage et de lucidité afin d’aborder cette nécessité de changement, souvent subie, avec le plus de douceur possible et le moins de traumatisme, mais il s’agit-là de périodes toujours délicates et les transitions sont toujours difficiles à gérer.

La violence ne peut être que l’ultime recours…

Enfin, dernier élément de réflexion que je souhaitais partager avec vous, lorsque l’industrie du disque en pleine déconfiture fait tout ce qu’elle peut pour criminaliser les « pirates » qui sont aussi ses clients, elle se tire une balle dans le pied. Mettre ses propres clients en prison n’est pas une solution durable. On ne peut pas bâtir un modèle économique sur la contrainte pénale. Il faut donc se réinventer ou évoluer, au choix. De la même manière, ce n’est pas en cassant la gueule des clients d’Uber ou des VTC que les chauffeurs de taxi gagneront la « bataille des cœurs ». Dans la majorité des cas, la violence est bien mauvaise conseillère et contre-productive. L’image renvoyée par les taxis au reste de l’opinion est désastreuse.

Il existe des quantités de manière de se rendre populaire… Je ne sais pas moi, par exemple, une petite opération péage ouvert lors des départs en vacances attirera infiniment plus de sympathie de la part du peuple (qui tire la couenne) qu’un blocage du périph, et comme vous toucherez au grisbi (les sous), vous serez très rapidement écoutés !! Je pars en vacances le 1er août et je prendrai l’A10… Je vous dis ça c’est juste au cas où !!

Il est déjà trop tard, préparez-vous.

Charles SANNAT

Pour lire un portrait au vitriol du fondateur d’Uber, c’est sur le site Capital ici… que l’on ne peut pas accuser de marxisme !
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