Nous approchons aujourd'hui d'un retournement de cycle, et il est même possible qu'il soit déjà en cours sur les marchés européens et émergents depuis quelques mois, même si ce n'est pas encore apparent en monnaie locale.
Les indicateurs avancés de récession ci-dessous n'indiquent pas encore de récession imminente, mais une situation de fin de cycle déjà bien avancée :
a) Spread de taux 10 ans - 6 mois US
b) indicateur multi-critères d'alerte de récession du "grand accélérateur".
Dans le même temps nous sommes en face d'une surévaluation des marchés à l'échelle mondiale équivalente à celle de 2000 et 2007 :
Graphique : zerohedge
Dans ce contexte, on pourrait logiquement se dire "un nouveau marché baissier de un à trois ans nous attend, comme en 2000 et 2007, puis les affaires reprendront avec les actions de relance des banques centrales et des gouvernements.".
En réalité je ne crois pas vraiment à ce scénario, et suis nettement plus pessimiste. J'anticipe au contraire une crise et un marché baissier sans précédent connu depuis plusieurs décennies pour quatre raisons :
1) La nature de la bulle actuelle.
Pour que la mayonnaise d'une bulle prenne, il faut toujours une "belle histoire" qui fasse rêver les investisseurs. Les valeurs internet en 2000, l'immobilier et le crédit hypothécaire en 2007 qui offrait une source de revenus infinie. Il s'agissait d'histoires concernant des classes d'actifs locales.
en 2018, cette "belle histoire" devient très spéciale : c'est tout simplement la conviction que les banques centrales ont la capacité de maîtriser parfaitement le système et d'assurer une stabilité durable sur les marchés financiers, permettant d'y investir quasiment sans risques. L'histoire concerne donc cette fois carrément le sommet du système financier (les banques centrales). L'implosion qui "cassera" cette histoire aura donc des conséquences sans commune mesure avec les "cassures" précédentes. Cette fois les acteurs économiques ne vont plus perdre confiance dans un actif (valeurs internet, immobilier), mais dans le système financier tout entier. Ce n'est absolument pas comparable en termes d'impacts à venir !
2) La capacité de résilience du système est bien plus faible qu'en 2000 ou 2007.
En 2007, nous avions des taux courts voisins de 5% aux USA, et aucune politique de quantitative easing en action.
Aujourd'hui ces taux sont à zéro au Japon et en Europe (marge de manoeuvre nulle), et à peine au dessus de 2% aux USA. le cycle de croissance en cours n'a pas permis de reconstituer des marges de manoeuvre monétaire significatives, contrairement aux précédents sommets de cycle.
Mais il y a pire : La BCE et la BOJ japonaise sont encore en mode "soutien artificiel" alors que nous sommes en plein haut de cycle.
La BCE rachète des obligations d'état de pays d'Europe du Sud à tour de bras pour tenter de maintenir à flot la zone euro, sans arriver à enrayer le creusement des déficits des balances Target 2 (bien plus hauts aujourd'hui qu'ils ne l'étaient en 2011-2012 lors de la mini-crise de la zone euro), et sans empêcher les taux longs italiens de remonter maintenant au dessus des 3%.
(graphique : www.yardeni.com)
Quand à la BOJ, elle est devenue le premier acheteur de fonds actions du Japon, et parmi les principaux actionnaires de plus de 40% des sociétés japonaises cotées, pour pousser la bourse japonaise à la hausse. Action forcément vouée à l'échec à terme, parce qu'à terme la BOJ (organisme para-étatique) deviendra propriétaire de plus de 50% des parts de la plupart de sociétés cotées, et on se trouvera de fait avec un pays nationalisé par la BOJ !
Il est donc évident que la BOJ et la BCE n'ont aujourd'hui plus de marge de manoeuvre disponible en cas de choc économique interne ou externe.
3) L'extension de la bulle est bien plus globale qu'elle ne l'était en 2007.
2007 a vu l'implosion d'une bulle de crédit principalement américaine, avec une contagion modérée au reste du monde.
Actuellement la bulle de crédit et la bulle d'actifs est générale, et des pays majeurs comme la Chine, qui étaient encore assez sains en 2007 ont vu leur endettement littéralement exploser depuis 10 ans.
Le ratio dette / PIB en Chine est ainsi passé de 141 à 256% du PIB depuis 10 ans.
(graphique : Bloomberg)
Et la situation de la zone euro, avec les divergences de compétitivité entre Europe du Sud et Europe du Nord, et les déséquilibres Target 2 associés, est bien plus fragile qu'elle ne l'était en 2007.
Nous avons donc tous les éléments réunis pour une contagion massive et rapide d'un départ de crise, quel que soit l'endroit où la mèche sera allumée (pays émergents, Europe ou USA).
4) La démographie est beaucoup moins favorable, notamment en Europe
En 2007, l'Europe bénéficiait encore d'une démographie assez favorable : le vieillissement de la population permettait encore une hausse de la part de population active au sein de la population globale.
En 2018 et au delà, c'est un phénomène exactement inverse qui se produit, à savoir que la part de population active diminue au profit des retraités, entraînant une tendance structurelle à la baisse de la consommation et des investissements. Le Japon se débat avec ce problème démographique depuis plus de 10 ans, mais a bénéficié jusqu'ici du soutien de la croissance mondiale et de son secteur industriel exportateur très solide qui a permis de compenser en partie. Ce ne sera pas le cas cette fois en Europe.
Graphique : population-europe
Voilà pourquoi je m'attends lors du prochain retournement de cycle à quelque chose de beaucoup plus puissant et violent qu'en 2008. Bien entendu les économies repartiront ensuite, notamment sous l'influence des pays d'Asie du SE. Mais de gros dégâts sont à attendre avant cela, et il vaut mieux y être préparé !