Le stock d’or mondial est de 158’000t en 2007, et regroupe tout l’or qui existe sur terre sous forme de bijoux, de lingots, de barres, de pièces d’or ou de médailles, y compris tout l’or en réserve dans les banques centrales. La répartition est la suivante :
· Bijouterie 52% ;
· Banques centrales 19% ;
· Investissement (lingots, barres, pièces) 16% ;
· Industrie 12% ;
· Autres 1%.
La part du stock d’or mondial détenu par l’ensemble des banques centrales, est passée de 46% en 1966, à 19% en 2007. Durant cette période, le stock d’or détenu par les personnes privées et les institutionnels (en excluant l’industrie) est passé de 36’000t à 108’000t, alors que le stock d’or détenu par les banques centrales est passé de 38’000t à 30’000t. Les banques centrales sont donc en train de perdre la main dans le marché de l’or. Leurs annonces régulières de vente de stock d’or ne pourront bientôt plus assommer le prix comme par le passé.
L’offre d’or mondiale annuelle était de 3’529t en 2006. Mais en réalité, une partie des 158’000t du stock d’or mondial pourrait théoriquement augmenter l’offre du jour au lendemain si les personnes privées, les institutionnels et les banques centrales, prenaient la décision d’en vendre. Cette épée de Damoclès sur la tête de l’or est ce qui le différencie de toutes les autres matières premières.
Bien entendu, il n’est pas certain que les riches femmes indiennes ou arabes aient le réflexe d’amener leurs bijoux à la fonderie si elles apprenaient que le prix de l’or flambe sur les marchés. Connaissant la fascination de la gent féminine pour tout ce qui touche à l’or, je doute même qu’elles puissent l’envisager une seule seconde. Un prix de l’or en hausse ne le rendra que plus prestigieux à porter. Comme les raisons pour détenir de l’or aujourd’hui sont bien assez nombreuses, l’énorme réservoir d’or accumulé au niveau mondial ne laissera pas si facilement ses vannes s’ouvrir pour inonder le marché.
Toujours du côté de l’offre, l’industrie minière aura beaucoup de mal à répondre à un prix de l’or plus élevé en produisant davantage. Contrairement à d’autres industries, l’extraction d’or est totalement dépendante de la géologie locale. Dans la nature, l’or est disséminé dans la roche avec une extrême parcimonie, et les géologues peinent à mettre à jour des gisements de taille assez grande, et de concentration d’or suffisante, pour que l’extraction d’or soit possible économiquement. Et même si vous parvenez, après des années de prospection, à faire une découverte, vous avez le risque de vous retrouver à la merci d’un Etat ou d’un gouvernement local corrompu qui va se faire un malin plaisir de vous extorquer de l’argent. Ensuite, il faudra surmonter toutes les difficultés administratives des permis et autorisations, et finalement, réunir des dizaines, voire des centaines de millions de dollars, pour construire les routes, ériger les bâtiments et toute l’infrastructure, creuser la mine et acheter tout l’équipement nécessaire. Même si vous arrivez à sécuriser le financement de votre projet, il vous faudra encore plusieurs années avant que la mine soit opérationnelle et tourne à plein rendement. Donc, non seulement la construction d’une mine d’or est un business très difficile et risqué, mais il faudra compter de très grands délais (entre 5 et 7 ans au minimum) entre la découverte du site et la production à plein rendement, et ceci, quel que soit le prix de l’or. Il n’existe aucun raccourci pour les compagnies minières.
En conséquence, l’offre de l’industrie minière ne va pas croître très vite au cours des années à venir. Actuellement, les grands producteurs d’or ont beaucoup de mal à renouveler leurs réserves en or dans le sol. Certains analystes parlent même d’un déclin inéluctable de la production, à la façon du pétrole, car la plupart des gisements les plus riches et les plus faciles d’accès ont déjà été exploités. Pour ma part, je ne parlerais pas d’un déclin, car avec un prix de l’or à plus de $2000 l’once, il y a fort à parier que beaucoup d’endroits où l’extraction d’or n’était pas économique, puissent le devenir et contribuer à la hausse de la production, mais toujours avec 5 à 7 ans de retard sur le prix, ce qui laissera tout le temps à celui-ci de continuer son ascension.
Quant à la demande d’or mondiale, elle pourrait littéralement assécher le marché en très peu de temps si l’or retrouvait sa prime de risque.
Après tout, 158’000t de stock d’or mondial ne représentent qu’un volume cubique de 20 mètres de côté. Et tout cet or ne pèse que $4’064 milliards en termes de dollars, au prix actuel de $800 l’once (une once = 31,1 g). En comparaison :
· Le marché obligataire mondial pesait environ $45'000 milliards en 2006, 11 fois le stock d’or mondial ;
· Le marché des actions mondial pesait environ $51'000 milliards en 2006, 12,5 fois le stock d’or mondial.
Si seulement 5% des capitaux investis dans les actions et les obligations convergeaient vers le marché de l’or pour chercher refuge en temps de crise, cela représenterait $4’800 milliards, soit une demande de 186’600t au prix de $800 l’once. Et tout à coup, vous avez une demande qui dépasse la taille de tout le stock d’or mondial !
Ce qui comptera réellement pour l’or dans les années à venir, c’est la demande d’investissement vis-à-vis du stock d’or mondial
Une autre façon de réaliser que le stock d’or mondial n’est pas si grand que cela, consiste à diviser cette quantité d’or par la population mondiale. Par habitant, nous avons seulement 23,8g d’or disponible, soit l’équivalent-or de 4 petites pièces d’or françaises « napoléon » de 20Fr.
Dans la demande industrielle se retrouvent les alliages dentaires, les composants électroniques (fils de connexion, pâtes à souder, revêtements en couches minces, surfaces de contact), la chimie (catalyseur industriel) et toutes les applications médicales pour l’or (fils pour stimulateurs cardiaques, gainages de fils pour les cathéters cardiaques, différents implants pour l’oreille, composant de médicament pour le traitement de l’arthrite). La recherche a découvert un certain nombre de nouvelles utilisations pratiques pour l’or : catalyseur dans des piles à combustible, contrôle de la pollution, nano particules d’or dans l’électronique avancée, vitrages de couches, traitements contre certains cancers (stade expérimental).
La demande des investisseurs. Les investisseurs à long terme (institutions diverses : banques privées, fonds de pension et fonds de placement) sont de gros acheteurs d’or à travers les Exchange Traded Funds (ETFs), qui sont des fonds négociables en Bourse dont les actions sont couvertes par de l’or physique. Il existe aujourd’hui huit ETFs sur l’or, et ils ont bénéficié d’un afflux de capitaux en hausse constante ces dernières années (voir annexes à la fin du livre). Ils détenaient collectivement 869t d’or en décembre 2007, dont 628t pour le seul ETF Street Tracks Gold Trust (GLD). Ci-dessous la progression de la demande d’investissement annuelle mondiale en or (en tonnes).
En regardant la figure de la demande moyenne sur 5 ans, on sera peut-être un peu déçu de voir qu’aujourd’hui la demande d’investissement ne représente que 19% de la demande totale, contre 69% pour la bijouterie. Cette situation pourrait donner à croire que si une crise économique mondiale se produisait, la demande en bijoux baisserait fortement et la demande globale en souffrirait.
La demande en bijoux pourrait effectivement baisser en cas de crise économique mondiale, mais il ne faut surtout pas négliger la demande potentielle énorme au niveau de l’investissement. Pour preuve, lorsque l’économie mondiale traversait une grave crise en 1973-1974, le Dow Jones accusait 47% de pertes entre la fin 1972 et la fin 1974, et la demande annuelle en bijoux passait de 1020t en 1972 à 248t en 1974. Une catastrophe pour la demande mondiale d’or ? Eh bien pas du tout, car la demande d’investissement explosait de 63t en 1972 à 799t en 1974, et le prix de l’or grimpait de 200% de $65 à $195. La demande d’or à des fins d’investissement représentait tout à coup 60% de la demande mondiale d’or, contre 4,8% deux années plus tôt.
Durant le marché haussier de l’or des années 70, la demande d’investissement est passée de 3,6% de la demande mondiale d’or en 1971 à 30,9% en 1981. En comparaison avec notre présent marché haussier sur l’or, la demande d’investissement est passée de 9,3% de la demande mondiale en 2001, à seulement 19% en 2006. Nous n’avons encore rien vu de ce qui pourrait ressembler à une ruée vers l’or en tant que valeur refuge. Le métal jaune a donc encore le potentiel de nous surprendre dans les années à venir !
L’Inde est le plus grand consommateur d’or au monde, pour des raisons culturelles et religieuses. La société indienne reste profondément ancrée dans la religion, avec 80% de la population qui pratique l’indouisme. L’or est perçu comme un symbole de fertilité, de prospérité et de richesse. Dans les textes anciens de l’Inde, les Veda, il est dit qu’en portant de l’or en offrande on se voit accorder la sécurité matérielle et la vie éternelle. Depuis des temps immémoriaux, les Indiens considèrent l’or comme un métal indestructible, doté de propriétés multiples, et dont l’utilité ne se limite pas à la fabrication de bijoux. L’or est ainsi devenu une véritable obsession dans le cœur des Indiens, et ils continueront d’en faire un usage frénétique pour la saison des fêtes et des mariages, d’octobre à avril, quel que soit son prix. Ci-dessous, nous voyons l’influence de la saison des mariages en Inde sur le prix de l’or, avec un effet d’anticipation de la part des commerçants indiens pour ajuster leurs stocks (60% à 70% de toute la bijouterie indienne est vendue entre octobre et novembre).
Mais l’or est également vu par la société rurale comme un moyen d’épargne, car la monnaie indienne, la roupie, se dévalue très vite. Le prix de l’or montre une hausse continue depuis 1970 et bat largement l’indice des prix à la consommation indien, ce qui en fait un actif très recherché pour se protéger contre l’inflation (30% de la demande d’or en Inde est destiné à l’investissement).
L’économie indienne est amenée à se développer rapidement dans les années et décennies à venir, et la hausse du niveau de vie de ses habitants va se faire ressentir dans la demande d’or. L’Inde a le potentiel pour devenir la quatrième puissance économique mondiale d’ici à 2025, et la troisième d’ici à 2050, juste derrière les Etats-Unis et la Chine.
La Chine possède également une culture millénaire avec une forte affinité pour l’or, contrairement aux cultures occidentales comme les Etats-Unis, qui ne voient dans l’or qu’une relique barbare inférieure aux actifs financiers. Après des années d’interdiction du commerce de l’or sous Mao, les citoyens chinois ont à nouveau été autorisés, et même encouragés, à posséder de l’or depuis 2001. Acheter de l’or n’est plus un problème en Chine, et les nouveaux investisseurs chinois pourraient bien rechercher l’or comme investissement alternatif au marché boursier si celui-ci devait connaître quelques ratés dans les années à venir. A mesure que les investisseurs asiatiques vont devenir plus riches, leur attachement traditionnel à l’or va les conduire à transférer de gros capitaux vers le marché de l’or physique, afin de diversifier leurs investissements. Alors qu’un investisseur américain pourrait se contenter de 1% d’or physique dans son portefeuille, un investisseur asiatique pourrait en vouloir 10%, 20% ou même davantage. Avec l’ouverture du Shanghai Gold Exchange en 2007, les petits investisseurs privés chinois peuvent à leur tour entrer directement sur le marché de l’or physique, pour peu de frais. L’émergence de la Chine comme superpuissance économique va, indépendamment du marché boursier, booster la demande de bijoux en or pour la nouvelle classe moyenne chinoise. L’or joue gagnant sur les deux tableaux.
L’attrait de l’or dans tout le Moyen-Orient est également solidement ancré dans la tradition. Là-bas, les joailliers et les bijoutiers se comptent par dizaines de milliers. A Dubaï s’est ouvert dernièrement, le Dubaï Gold & Commodities Exchange (DGCX), un marché international haut de gamme pour les matières premières et l’or. En fait, un peu partout dans le monde, s’ouvrent de nouveaux lieux d’échange pour des produits financiers sur l’or. Lorsque la demande pour l’or grimpera réellement, les investisseurs des quatre coins du globe n’auront aucun mal à entrer dans ce marché.
Léonard SARTONI