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Yann Henry

Yann Henry

J'ai 32 ans et je travaille actuellement dans la direction financière d’une grande banque française. Je suis Conseiller National du PLD et ingénieur actuaire. Je tiens un blog que j'ai appelé LIBRE DE CHOISIR : http://yannhenry.blogspot.com/

L’échec programmé de la « taxe Tobin »

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La « taxe Tobin » consiste en la taxation des transactions financières. Elle s’appelle ainsi du nom de son inventeur James Tobin (prix Nobel d'Économie 1981) et avait pour objet de lutter contre la spéculation. L’économiste l’a suggérée en 1972 avant d’exprimer de fortes réticences, celle-ci étant devenue un des chevaux de bataille des organisations altermondialistes (notamment ATTAC).
Un tel système de taxation avait déjà été mis en place au début des années 1980 en Suède. Les résultats furent catastrophiques, avec un effondrement des volumes de transaction et des recettes fiscales bien inférieures à ce qui était escompté. Pourtant, l’idée n’a jamais été abandonnée et la taxe sur les transactions financières (TTF), également appelée « taxe Tobin », fut ainsi d’abord portée par Nicolas Sarkozy, qui voyait en elle toutes les vertus. Il s’agissait selon lui de « la meilleure des formules » pour trouver « de nouvelles ressources pour le développement ». Cette taxe se voyait même affublée d’un caractère moral et était « utile pour dissuader la spéculation », bien que des études aient démontré que l’augmentation des coûts de transaction augmentait la volatilité alors que la spéculation la faisait diminuer [1]. Cette taxe fut finalement mise en place en août 2012 par le gouvernement socialiste de Jean-Marc Ayrault. Les achats d'actions de sociétés cotées à Paris et dont la capitalisation dépasse le milliard d'euros sont ainsi taxés à 0,2 % (109 entreprises) sont concernées.
L’heure est venue d’en tirer un premier bilan et les résultats s’avèrent être aussi peu probants en France qu’en Suède. La taxe devait, selon François Marc (rapporteur du budget au Sénat) contribuerau budget de l'État à hauteur de 360 à 400 millions dès 2012, puis de 1,6 milliard d'euros en année pleine. Las, elle n’aura généré que 250 millions en 2012 et l’actualisation des prévisions par Bercy ne laisse plus espérer que 600 à 800 millions d'euros pour l’année en cours.
Le gouvernement français, qui a souvent une longueur d’avance pour voter de nouvelles taxes, va êtrerejoint par dix autres pays de l’Union européenne [2] pour un élargissement qui devrait intervenir début 2015 mais dont les contours ne sont pas encore précisément définis. Son produit, évalué en début d’année par Pierre Moscovici à « plusieurs dizaines de milliards d'euros », est désormais estimé dans la fourchette basse, puisqu’elle ne devrait plus rapporter que « vraisemblablement plus de dix milliards d'euros ».
Toujours est-il que la définition du périmètre de cette taxe va s’avérer problématique. Lors de sa mise en place par le gouvernement français, ce dernier avait pris soin d’exclure de son champ d’application les obligations publiques et privées. Étant donnés les considérables besoins de financement des États (les membres de l’OCDE devraient emprunter 10 900 milliards d’euros en 2013), les gouvernements ont évité de se tirer une balle dans le pied. De plus, les politiciens reprochant régulièrement aux banques de ne pas assez financer l’économie, ils ne pouvaient simultanément proposer de taxer les obligations privées, ces dernières étant la seconde source de financement des entreprises après le crédit bancaire. Pourtant le périmètre de la prochaine taxe européenne pourrait être plus large : les échanges d'actions et d'obligations seraient taxés à un taux de 0,1% (niveau supérieur à la rémunération de certains titres souverains à court terme…) et les contrats dérivés à un taux de 0,01%.
Éric Pagniez, de l'association française de gestion financière, s’inquiète de son côté pour la compétitivité des fonds monétaires français (dont les rendements sont également proches de 0 %). Ces derniers, avec des actifs de 374 milliards d'euros, sont en effet leaders européens et seraient menacés par les OPCVM monétaires basés au Luxembourg et en Irlande, qui ne seront pas concernés par la taxe.
La « taxe Tobin », malgré ses échecs passés, a donc été mise en place en France et sera élargie à de nombreux autres pays européens. Toutefois, son rendement risque d’être bien moindre qu’attendu, mais également de déstabiliser de nombreux acteurs du marché et de peser sur le financement de l’économie.
[1] Article : The Role of Transaction Costs for Financial Volatility : Evidence from the Paris Bourse,Harald Hau
Voir également La spéculation et le prix des oignons
[2] Allemagne, Autriche, Belgique, Espagne, Estonie, Grèce, Italie, Portugal, Slovaquie et Slovénie.

Publié initialement sur le site 24hGOLD.
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