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Je suis naturellement grand, beau, j’ai le teint buriné par le soleil et le sourire enjôleur et des mocassins à gland, un très gros zizi et une absence totale de lucidité sur mes qualités et mes défauts !

J'ai un blog sur lequel j'aime enquiquiner le monde : Petites chroniques désabusées d'un pays en lente décomposition...

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De la trêve hivernale à l’expulsion par l’État de ses locataires modestes

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Nous sommes le 31 mars. Aujourd’hui, c’est la fin de la trêve hivernale.

Suite à l’hiver 1954, très rigoureux, l’Abbé Pierre appelle avec succès à la solidarité des Français contre le sans- ou le mal-logement. La loi du 4 décembre 1956 qui en résulte fonde la trêve hivernale, à savoir la suspension de « toute mesure d’expulsion non exécutée à la date du 1er décembre de chaque année jusqu’au 15 mars de l’année suivante ».

Cette trêve a bien évolué depuis. Les 3,5 mois de l’origine en sont devenus 5 en 2014 (ALUR) permettant une pause des expulsions du 1er novembre au 31 mars : un bailleur ne peut expulser un locataire que 7 mois sur 12 et sur les 7 mois qui lui restent, il ne peut le faire qu’entre 6h du matin et 21 heures le soir sauf exception (violence, squatteur, péril). Elle s’est élargie aussi puisque depuis 2008, la fourniture d’électricité, de gaz ou de chaleur doit être maintenue durant la trêve.

Sa conception a aussi été modifiée. D’abord conçue pour protéger le locataire du froid, elle est devenue une mesure pour le protéger d’un propriétaire sans scrupule : un bailleur qui contreviendrait à cette interdiction s’expose à des peines de trois ans de prison et de 30.000 € d’amende.

Une trêve qui ne règle aucun problème

Mais cette trêve ne fait que repousser le problème de quelques mois sans le résoudre. Au final, environ 132 000 décisions de justice d’expulsion ont été prononcées en 2015.

Ce chiffre impressionnant cache une réalité plus contrastée : ces expulsions, ramenée aux 11 millions de ménages locataires n’en représentent que 1,22%. En 2015, 14.363 expulsions (soit 10,88% des décisions) ont été exécutées avec le concours des forces de l’ordre. Par contraposée, plus de 89% des expulsions trouvent un dénouement sans violence, soit via un arrangement avec le bailleur avant l’expulsion effectivement, soit via une solution de relogement après la décision.

Notons en revanche que sur les 11 millions de ménages locataires en 2015, 55,7 % d’entre eux occupent un logement privé (6,1 millions), et 44,3 % un logement social (4,9 millions). Le problème des difficultés de paiement touche donc à la fois le privé et le social, et en pratique, plus le social que le privé.

Les dépenses contraintes (loyer, assurance, EDF, …) du logement pour les classes moyennes inférieures étaient en effet de 21% en 1980 et sont passées à 38% en moyenne en 2015. Pour les ménages les plus pauvres, elles sont passées de 24% à 48%. 74% de la population HLM est composé de ménages modestes et parmi les plus pauvres.

Aussi douloureux que ce soit, les locataires de HLM sont les plus nombreux à être expulsés.

Constat surprenant pour un État qui prétend lutter vaillamment contre les problèmes de logement ! S’agitant à coup d’ALUR, de lois et de décrets divers contre les prix indécents des loyers dans le privé et des propriétaires trop gourmands, cela parait impossible qu’il ait laissé dériver les prix des loyers dans le public.

Un État qui aggrave les difficultés

Allons ! Impossible n’est pas français, voyons : bien que le parc public, où logent les plus défavorisés, dépende directement de lui, l’Etat n’a rien fait pour réguler ces loyers.

Pendant que l’État s’acharnait électoralement et législativement contre les propriétaires privés, les loyers HLM ont augmenté gentiment de manière très supérieure à l’indice des prix à la consommation. Les seuils de prise en compte des aides personnelles au logement ont également été largement rehaussés.

Selon l’Observatoire des Inégalités, il semblerait même que « l’augmentation des loyers des logements sociaux a dépassé celle des autres logements : entre 1989 et 2011, l’indice du loyer du parc social a progressé de 84%, soit six points de plus que l’augmentation moyenne des loyers des logements du secteur privé. »



Oui vous avez bien lu : cet État qui lutte vaillamment, tous bords confondus, depuis des années contre le mal logement, qui milite pour un logement abordable en portant haut l’étendard des plus pauvres et des classes moyennes, qui vide les poches du contribuable pour financer les lois et de décrets indispensables pour sauver le pauvre locataire des griffes du vil propriétaire, qui a complexifié au possible les rapports entre propriétaires et locataires, tout en décourageant au passage les investisseurs, le tout au nom de la lutte contre les loyers trop chers…

… eh bien cet État a augmenté, sans hésiter, le loyer des plus démunis de 6 points de plus que l’augmentation moyenne « scandaleuse » du privé contribuant ainsi méticuleusement à la paupérisation des populations les plus fragiles.



Rassurez-vous, cela ne lui a pas suffi.

La logique économique boiteuse de l’État

Car tout en posant, de surcroit, des quotas obligatoires de logements sociaux pour loger ces plus démunis qu’il entend défendre, il a par ce mécanisme rendu ces logements moins accessibles aux plus démunis.

Que voulez-vous ! Persuadé que ses actions allaient finir par enrayer le chômage et la pauvreté avec succès, l’État s’est mis à bâtir un monde idéal pour les classes moyennes avec frénésie : il a alors bâti, bâti, et encore bâti de jolis immeubles dans de chouettes endroits.

Las. Ni la pauvreté, ni les plus démunis n’ont disparu. Zut et flûte.



L’Observatoire des Loyers indique en effet qu’ « Entre 2003 et 2013, le parc social s’est enrichi de près de 500 000 logements en France. Mais les nouveaux logements proposés sont moins accessibles pour les ménages à faibles ressources car les plafonds de revenus pour y accéder et les loyers pratiqués sont plus élevés. »

Chacun jugera de la logique de profit qui gouverne les bailleurs sociaux : alors que l’État stigmatise le bailleur qui veut tirer quelques avantages de sa location, il se retrouve lui aussi en tant que bailleur au minimum dans une logique d’équilibrage de son investissement, voire carrément de profit.

Comme le pointe Anthony Rodrigues, de l’Association de défense des consommateurs (CLCV), le bailleur social « doit respecter un équilibre entre ses dépenses et ses recettes. En cas d’impayés, lorsque la dette est trop importante, on a cette logique économique qui aboutit à une expulsion du locataire. »

Une offre de logements publics toujours plus inadaptée

Ce problème n’est pas récent et avait même été pointé en 2011 dans le rapport du Comité de suivi du Droit Au Logement.

Si ces nouveaux logements sont plus « abordables » que ceux du secteur privé, ils ne correspondent toutefois plus aux besoins. Avec le DALO et la constitutionnalisation du droit au logement – qui met à la charge de l’État l’obligation d’assurer un logement décent à tous ses citoyens – c’est une véritable catastrophe.

En définitive, alors que les HLM se retrouvent à loger toujours plus de ménages modestes (de 17 % en 1973, on passe à 39,8 % en 2006), ils logent en revanche moins de ménages défavorisés ou (et c’est bien pire) dans des logements inadaptés, aggravant des situations déjà particulièrement précaires.

Pour Manuel Domergue, de la Fondation Abbé Pierre, la situation se résume ainsi :

« La France construit de plus en plus des logements haut de gamme qui sont destinés à des classes moyennes qui gagnent 2.000 ou 2.500 euros par mois et peuvent se permettre des loyers plus élevés. Le problème c’est que ceux qui font des demandes des HLM sont au SMIC ou en dessous. Alors pour satisfaire quand même ces demandes de personnes en grande difficulté, on leur attribue parfois des logements sociaux haut de gamme. On sert les dents et on espère que ça tienne. Seulement, ça ne tient pas toujours et on se retrouve dans des situations d’expulsion locative. »

Certes, comme l’indique un rapport de la Cour des comptes du 22 février 2017, il est toujours possible de travailler sur les seuils ouvrant l’accès au logement HLM afin d’augmenter la taille des populations concernées, ou modifier la durée des baux pour augmenter le taux de rotation permettant aux locataires les plus modestes d’en bénéficier plus facilement.

Malheureusement, d’après le président de l’Union sociale pour l’Habitat (USH), ces méthodes s’opposent à la « conception française du logement social », qui serait à visée « généraliste » et non pas « résiduelle » – c’est-à-dire cantonnée aux personnes démunies. Autrement dit, les HLM, dans une politique de rentabilité, préfèrent appliquer des sur loyers en cas d’augmentation des revenus des locataires et favoriser une mixité sociale vers le haut plutôt que de favoriser l’accession aux logements des plus démunis.

À ce rythme-là et pour reprendre les mots de Jean-Baptiste Eyraud de l’association Droit au Logement, la conclusion s’impose d’elle-même : « À terme, les ménages modestes ne pourront plus habiter en logement social. »

Bien joué, l’État. Bravo. Brillante réussite.




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