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De l'avenir d'Aston Martin

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Quand en 2007 j'évoquais le rachat d'Aston Martin par un groupe d'investisseurs moyen-orientaux emmenés par Richard Davis, je mentionnais d'ailleurs qu'il s'agissait d'un challenge, et que ce n'est que sur la durée, après avoir traversé aussi bien des périodes fastes que des années difficiles, assuré le renouvellement des générations de modèles, qu'on pourrait voir.

Avec l'absence remarquée d'Aston Martin au Mondial, avec pour explication le fait qu'ils ont des ressources limitées, il n'y a rien de fondamentalement rassurant actuellement.

Très concrètement, Aston Martin est une "petite" société indépendante, qui ne vend que quelques milliers de véhicules par an. L'année 2007 fut record avec un peu plus de 7000 unités, c'était l'euphorie économique et il y avait la poursuite du lancement de la petite et moins onéreuse Vantage V8. Depuis, les ventes ont perdu 30% environ, même s'il semble que 2010 soit en reprise. On est dans le creux de la vague, c'est le test pour Aston...

Ulrich Bez, le patron depuis 10 ans, a annoncé qu'Aston a toujours été rentable sur les dernières années et le sera encore en 2010. Dans une perspective historique, c'est une performance, car il faut se rappeler qu'entre sa naissance en 1914 et le début des années 2000, Aston n'a du être rentable que quelques années seulement et à chaque fois n'a du son salut qu'à des passionnés fortunés (dont le fameux David Brown en 1947) !

Rentable donc aujourd'hui, certes, mais il y a 3 choses :

- Les profits, même là, sont maigres, de l'ordre de 10M€ en 2009 et 12M€ en 2008.

- Aston est déja très endettée de par son LBO. Les covenants bancaires ont d'ailleurs été casser, mais cela fut le cas d'au moins la moitié des LBO. Pour restaurer le balance sheet, ils ont d'ailleurs vendu quelques actifs récemment : le site historique de Newport Pagnell, les droits de distribution dans la zone MENA (Middle East/North Africa), ainsi que les droits de distribution pour les produits dérivés, tout cela pour un peu plus de 20M€.

- Ses actionnaires (2 fonds d'investissement) connaissent eux-même des problèmes financiers et ne pourront pas remettre au pot. L'un d'entre eux a d'ailleurs envisagé de mettre en vente tout ou partie de sa participation dans Aston pour se renflouer, mais sans succès.

Aston reste donc aujourd'hui une société fragile, à la pérennité non assurée...avec une rupture qui n'est jamais loin.

Une marque digne de ce nom se doit d'innover régulièrement en sortant un "vrai" nouveau modèle tous les 3 ans disons, et un renouvellement des gammes tous les 7 à 10 ans au pire.

Jusque ici, le deal a été à peu près tenu, mais principalement du temps et avec les investissements de l'ancien puissant actionnaire, Ford : DB9 en 2003, Vantage en 2006, DBS en 2007 (certains diront que ce n'est qu'une DB9 +, ce qui est en grande partie vrai), et enfin Rapide en 2010 (présentée au salon de Detroit en 2006, donc le gros du développement a bien été fait sous Ford). Plus la marginale (en terme de volume) One-77 dont les 1ers exemplaires seront livrés dans quelques mois.

La question est donc maintenant le renouvellement de ces 3 gammes dans le futur, pas juste les séries limitées, les améliorations, relookages et autres (on a eu droit récemment aux séries "black carbon" des V12 Vantage et DBS, la Vantage N420 et la DBS UB2010).

Avec de maigres profits, un endettement déja important et un actionnariat qui connaît des problèmes, la situation n'est pas facile : le développement d'un tout nouveau modèle, et non juste pas du "réchauffé", c'est des dizaines de millions d'€ d'investissement, en R&D, manufacturing et marketing (ce pour Aston, car pour un constructeur généraliste qui vise des centaines de milliers de ventes voire des millions, on parlerait plutôt en centaines de millions d'€ d'investissement ou même des milliards).

De fait, j'ai appris récemment qu'Aston n'a dépensé moins de 20M€ l'année dernière en R&D, soit moins de la moitié de l'année précédente. Les budgets ont été sérieusement slashés, ce qui peut obèrer la capacité d'innovation. Mais Apple a aussi montré qu'un petit budget R&D sérieusement focus peut faire de grandes choses.

L'inquiétude qu'on peut avoir actuellement est donc tout à fait légitime. Cependant, il n'y a pas encore de faits inquiétants : la Rapide, qui connaît un bon démarrage, a été sortie cette année et le très exclusif flagship One-77, au hefty price tag de 1,5M€, sera livrée aux premiers richissimes clients dans quelques mois. Juste un modèle d'image cependant, faible impact économique direct avec juste 77 exemplaires...

So far, so good, mais on attend avec beaucoup plus d'impatience le 1er grand renouvellement produit, celui du remplacement de la DB9, prévue en 2013, soit 10 ans après son apparition. Si la voiture prend du retard, les choses pourraient alors se corser durement pour Aston Martin. Une marque, c'est une histoire et du rêve, mais ça se construit et ça s'entretient d'abord avec de bons produits et de l'innovation régulière. Sinon, la marque se meurt...

Les Aston Martin sont très belles, pour moi les plus belles de ce segment Sport/Luxe, mais question technos embarquées elles sont maintenant clairement à la traîne, loin derrière les Porsche, Ferrari, Lamborghini, Bentley et maintenant aussi McLaren et son inédite et exclusive technologie de chassis carbone. Sans parler évidemment de l'incroyable techno qu'on trouve dans une Mercedes SLS.

La beauté peut bien faire passer un certain nombre de choses, mais il ne faut pas non plus être trop décalé (le GPS d'une Aston est une véritable honte), ni se permettre des price tags incohérents (la DBS est bien trop chère, je l'ai déja dit).

La voie la plus pragmatique pour Aston me semble être celle d'un rapprochement, adossement, partenariat avec un grand constucteur, de façon à avoir accès à des ressources bien plus vastes. Chose qui a été faite par Ferrari avec Fiat, Lamborghini avec Audi, ou Bentley avec Volkswagen par exemple.

Le tout est néanmoins de faire un bon deal, avec un Aston Martin qui conserverait son autonomie, sa créativité, son image, tout en bénéficiant de la puissance industrielle, technologique et financière de son partenaire.

A propos d'image, l'arrivée de la "Cygnet" est quand même aussi un sacré pari qui risque de troubler la perception du public sur la marque. On a beau mettre du cuir, du raffinement et du luxe dans une micro voiture, la badger Aston Martin et non pas Toyota, elle reste une micro voiture avec un tout petit moteur. Dans ce segment, je pense qu'il faut faire rêver en conservant une certaine exclusivité, là ce ne sera pas le cas. Alors certes la voiture ne sera proposée initialement qu'aux possesseurs d'Aston Martin, mais il va falloir qu'on m'explique comment ils vont goupiller ça sur le marché de l'occasion ?

Sur une autre dimension, Aston Martin a ouvert il y a quelques jours son 2ième retail store, à Munich, photo ci-dessus (le 1er est sur le circuit du Nurburgring).

"The Aston Martin Store in Munich pursues a new concept ’Fashion – Lifestyle – Art – Events‘ that unites these elements all under one roof in an area of 240 m2. The philosophy of the store is to provide visitors with a unique retail environment with current visitors able to view the DBS from James Bond film, Casino Royale, which is currently on display in the store...

"Envisioned as the essential Aston Martin boutique, the store offers Aston Martin merchandise, clothing collections, accessories, and luggage items as well as exclusive executive gifts. Also available will be the Aston Martin Racing range, the complete Aston Martin 007 edition and products of Hackett London..."

Belle initiative que de rendre visible la marque de cette façon, reste à voir sa rentabilité et sa pérennité, liées aux produits et à la force d'Aston.

Le retail, ce sont de lourds coûts fixes (droit au bail, loyer, personnel de magasin) et tout cela n'est rentabilisé que s'il y a un throughput suffisant, généré par des produits qui attirent et plaisent. Cercle vertueux (comme le montre actuellement Apple) mais potentiellement cercle vicieux aussi : marque forte et produits sexy/bien positionnés, retail store qui attire, marque alors renforcée par la visibilité et le passafge, etc. Marque et produits faibles, retail store déserté qui finit par fermer, marque moins visible, etc.

 

Michel DE GUILHERMIER

Article original =

http://micheldeguilhermier.typepad.com/mdegblog/2010/10/le-futur-daston-martin-.html

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