Le mouvement des gilets jaunes (auquel je suis à la base évidemment favorable, comme toute revendication contre l'excès d'impôts et la mainmise des environnementalistes sur notre politique) a pris ici une tournure bien différente de celle observée en France.
Et c'est aussi une bonne expérience et un petit aperçu de ce que pourrait devenir la vie en période de forte crise économique.
Résumons :
Depuis le 17 novembre, la Réunion vit (ou survit) au rythme des barrages routiers, le port par lequel arrivent les vivres étant totalement bloqué. Nous devons donc limiter nos déplacements au strict nécessaire, la radio branchée pour connaître l'emplacement des barrages et google maps pour trouver une stratégie de contournement par des petites routes ou chemins dans les hauts, quand elle existe.
Les principaux soucis et questions des réunionnais en ce moment : Quels sont les magasins restants,ou venant d'être réapprovisionnés par chance, dans lesquels on peut trouver des oeufs, du pain ou des légumes, l'information déclenchant un rush vers les dits magasins jusqu'à ce qu'ils ferment par moments sous la pression d'un barrage ou par rupture de stock...et quelles sont les stations-service dans lesquelles il y a de l'essence (ce qui provoque des files d'attente pouvant dépasser une heure, avec rationnement limité à 20 ou 30€ par voiture). Le fait de prendre une quatre-voies à contre-sens (pour cause de barrage) étant également devenu tout à fait banal ici.
Au delà de ces questions (qui ne m'inquiètent pas trop pour l'instant, ayant pu faire de bonnes courses samedi dernier et disposant de 7 à 10 jours de stocks), voici quelques leçons de vie que j'en retire...
1) Le "vivre-ensemble" est un vernis qui peut craquer très vite, et ne doit son existence qu'aux forces de l'ordre et à la crainte de sanctions si il n'est pas respecté.
Le jour où un état n'a plus les ressources nécessaires au maintien de l'ordre, le "vivre-ensemble" disparaît, et cela peut aller très vite.
Les premiers jours du mouvement, pendant lequel les forces de l'ordre étaient en sous-effectif avant l'arrivée de renforts (qu'on espère suffisants), des casses, pillages, rackets d'automobilistes sur certains barrages (droits de péage de 10 à 50€, avec parfois une modulation en fonction de l'ethnie du conducteur) sont apparus très rapidement. Certes le fait d'une petite minorité de jeunes, mais les rackets ont malgré tout bien eu lieu et les aspects ethniques également, et presque tous les réunionnais connaissent quelqu'un de leur entourage qui a été concerné.
Les humains sont des animaux qui ont été sélectionnés génétiquement sur des dizaines de milliers d'années pour fonctionner sur un mode tribal. Notre empathie (que la sélection naturelle a retenue pour nous éviter de nous entretuer en permanence et assurer ainsi la survie de l'espèce) est donc le plus souvent limitée (pas totalement mais en grande partie) à ceux que nous considérons comme faisant partie de notre "tribu" (celle-ci pouvant être une ethnie, une religion, une classe sociale, un corps de métier ou un réseau quelconque).
L'ocytocine, hormone de l'attachement, de l'amour et des liens sociaux, est aussi celle de la guerre parce qu'elle renforce la cohésion et l'exaltation d'un groupe (la "tribu") face aux autres. En situation de crise, elle est évidemment libérée et agit à plein, renforçant les tendances tribales de l'homme.
Voici quelques liens sur le sujet si vous souhaitez approfondir :
https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0960982210004306
http://www.slate.fr/story/134255/hormone-amour-aussi-guerre
Donc ne vous faites pas trop d'illusions sur les beaux discours philosophiques que vous pourrez entendre, la nature humaine moyenne en période de crise n'a absolument rien à voir avec ce que vous avez pu apprendre à l'école ou découvrir dans je ne sais trop quel bouquin de philo !
2) Intégrez l'aspect "sécurité" et "facilité d'approvisionnement" dans votre réflexion sur la crise à venir.
En ayant par exemple un patrimoine financier mobile pour pouvoir changer de lieu rapidement si vous jugez que la situation devient dangereuse pour votre sécurité.
Si vous avez un projet d'expatriation, pensez aussi à la sécurité avant la fiscalité. Dans un pays étranger, par définition vous ne ferez pas parti de la "tribu" et serez donc une cible privilégiée si l'environnement devient violent à cause par exemple d'une forte crise économique. Il y a malgré tout des pays pouvant être considérés comme très stables.
3) Plus l'environnement devient tendu, plus la capacité des gens à prendre du recul décroit et leur impulsivité augmente. A des niveaux parfois étonnants.
J'ai eu par exemple la surprise de voir des amis avec un bon niveau d'instruction (bac +4 / bac +5), CSP+ et un profil typiquement "bobo-écolo" (bien éloigné du mien) se mettre soudainement à soutenir et partager (et à me demander de partager) sur les réseaux sociaux des vidéos assez comiques venant d'un illuminé d'extrême-droite révolutionnaire nommé "Serge Petitdemange", puis d'élus LFI l'instant d'après.
N.B : Je parle là de la vraie extrême-droite et d'illuminés relevant plus de la psychiatrie que de la politique, évidemment pas de partis souverainistes républicains type RN ou Debout la République qui ont toute leur place dans le débat politique au même titre que les autres partis.
Appliqué aux marchés, cela explique le comportement totalement irrationnel et basé entièrement sur le sentiment de foule des marchés en situation de crise (j'explique dans le "grand accélérateur" comment tirer profit de ces comportements irrationels et impulsifs)
Appliqué à la société, en temps de crise, cela provoquera la flambée de rumeurs, fake news et mouvements de foule divers ajoutant au chaos ambiant. La seule réponse individuelle que je peux malheureusement vous apporter face à cela étant alors de ne pas vous trouver au mauvais endroit (ou pays) au mauvais moment, donc de réfléchir à l'avance à la stabilité de votre environnement. Parce qu'une fois pris dans un contexte d'émeute, ce n'est pas le fait d'avoir une arme ou une porte solide qui changera quoi que ce soit au problème.
Voilà, dans quelques jours ou semaines, la vie normale reprendra sans doute son cours ici. Je considère juste ce qui se passe en ce moment comme un bon avertissement pour le futur...