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Vincent Benard

Vincent Benard

Vincent Bénard est analyste à l'Institut Turgot (Paris) et, depuis mars 2008, directeur de l'Institut Hayek (Bruxelles). C'est un spécialiste du logement et  de la crise financière de 2007-2008 (subprimes). Grand défenseur du libéralisme économique, Vincent décortique tous les errements des Etats providence !

Foreclosure-gate (III) : faux documents présentés en justice et première class action contre des grandes banques

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Les derniers développements du "foreclosure-gate" (appellation non mainstream - Souvent nommé "robo-signing scandal", ou "foreclosure fraud" aux USA) laissent penser que les suites judiciaires de cette affaire seront énormes, malgré les actuelles dénégations des banques -"simple problème technique, vous dis-je", semble être la ligne de défense commune - et je pronostique une nouvelle bourrasque financière pour les banques coupables. La vitesse à laquelle de nouveaux faits émergent laisse croire que les banques sont débordées par le scandale.

 

 

Et malgré tout, il aura fallu attendre ce matin pour que l'AFP, relayée par Libé, évoque l'affaire, évoquée ici sur Objectif Eco depuis quasiment deux semaines.

 

 

Des faux documents fabriqués en série !

 

 

Le dernier avatar de cette crise dans la crise, en première lecture, dépasse l'imaginable.  Le site 4closurefraud s'est procuré une liste de prix d'une firme spécialisée dans l'aide à la résolution de faillites pour les banques (voir document pdf sur scribd). LPS (Lender Processing System), c'est son nom, avait une filiale, DOCX, spécialisée dans la fabrication de... notices de transferts de prêt antidatées. Bref, DOCX FACTURAIT Quelques dollars chaque document, qui, techniquement, constitue un faux en écriture publique, et que des banques ont présentés comme authentiques devant des tribunaux. LPS a comme clients de nombreuses  grandes banques, même si la firme a cru bon de fermer, semble-t-il, sa filiale sulfureuse DOCX en avril 2010.

 

 

"Et alors", me direz vous, "simple problème technique - Il y a bien une créance, une dette, et il suffira de reconstituer la chaîne pour que tout rentre dans l'ordre, même si c'est un peu plus long que prévu". Non ?

 

 


Et bien non. Cette affaire peut avoir des répercussions financières tout à fait énormes pour les banques fautives. Et pas uniquement parce que dans tous les pays civilisés, la production de faux devant un tribunal met les juges généralement de très mauvaise humeur.

 

 

Pourquoi ? Yves Smith, repris par K. Denninger, nous expliquent que à partir de 2004-2005, la plupart des banques, au lieu de transférer les contrats de prêts signés sur papier aux fonds hypothécaires (les MBS), les ont conservées, faisant confiance, au mépris des lois en vigueur, au transfert électronique, lequel a été depuis jugé totalement insuffisant par nombre de tribunaux.

 

 


A moins, bien sûr, que cette "négligence" n'ait eu pour objet de couvrir le fait que les prêts signés et revendus aux MBS étaient contractés en violation de toutes les règles prudentielles en vigueur (fausses déclarations de revenus des emprunteurs, etc...), ce qui aggraverait encore le cas des banques émettrices de MBS, elles mêmes supposées respecter certains standards de qualité. Après tout, l'assureur de produits financiers AMBAC porte plainte contre Bank Of America parce que CountryWide, devenue sa filiale, aurait ainsi triché sur... 97% des dossiers de prêts apportés à diverses MBS ! Plus généralement, un audit réalisé par une firme indépendante entre 2006 et 2007 sur plus de 900 000 prêts titrisés (!) montrait que 28% ne respectaient pas les chartes internes des banques émettrices, qui pourtant garantissaient le respect de ces standards pour les prêts qu'ils revendaient aux MBS. Bref, il reste encore pas mal de pelotes de mauvais fils à détricoter.

 

 

Les banques originatrices des prêts ont gardé les papiers, mais ont été payées pour le transfert de la créance: elles ne sont donc techniquement plus en possibilité d'être rétablies comme détentrices des créances.

 

 

Visiblement, les gestionnaires de MBS qui étaient en théorie les détenteurs de la créance (puisque les mensualités étaient versées à ces MBS qui elles mêmes rémunéraient les investisseurs qui achetaient les obligations CDO émises par ces MBS. Vous suivez ?) estimaient qu'ils pouvaient attendre qu'un problème se manifeste (quel problème ? L'immobilier ne baisse jamais, parait-il...) et se reposer sur l'enregistrement MERS.

Or, exit l'option "MERS", pour des raisons déjà évoquées par ailleurs (voir ici). Et alors ? Ne suffisait-il pas de permettre le transfert de la note écrite du banquier originateur vers la MBS au moment où la faillite de l'emprunteur apparaissait pour régler le problème ?

Non, car alors le contrat de prêt transmis est un prêt "déliquescent", dont l'emprunteur est en retard. Et techniquement, les MBS qui ont émis des CDO basées sur des créances supposées saines  n'ont pas le droit d'accueillir des créances déjà boiteuses ! Pis même, si l'émetteur a fait faillite (comme les géants du prêt "foireux" countrywide et indymac), le transfert de créances est doublement verrouillé tant que la faillite n'est pas entièrement résolue.

 

 

Pire encore: le statut particulier des MBS selon la loi américaine (ce sont des REMIC. Pour les mordus de détails, voir wikipedia) leur permet de bénéficier d'une exemption de la double taxation des loyers perçus à condition que le REMIC soit constitué d'un seul coup d'un pool de prêts datant de moins de 90 jours. En ne respectant pas ce délai de 90 jours pour enregistrer les prêts achetés aux banques émettrices, la MBS se met en situation technique de redressement fiscal... Ce qui, évidemment, réduit considérablement sa valeur résiduelle, déjà pas très élevée en ces temps de crise.

D'où, semble-t-il, le recours des banques gestionnaires des MBS à des officines de type LPS pour... Fabriquer des attestations de transfert de créance antidatées.

 

 

Techniquement, nous avons donc des MBS qui ont vendu des obligations CDO à des investisseurs sur la promesses que ces CDO étaient soutenues par un "collatéral", en l'occurence un prêt immobilier, mais qui n'avaient pas fait le nécessaire pour enregistrer le transfert de créance afférent. Or, le Foreclosure-Gate promet que ces MBS auront les pire difficultés à faire valoir leurs droits sur les maisons saisies, sans parler de possibles conséquences fiscales. Tiens, pendant le week end, deux états supplémentaires, la Floride et le Massachussets, demandent une suspension des procédures d'expulsion de certaines banques, et une sénatrice d'Arizona demande un moratoire national de trois mois, "le temps d'y voir plus clair"... à part ça, "juste un problème technique".

 

 

Les CDO ne valaient déjà plus grand chose, mais là, pour le coup, elles ne valent plus rien, plus personne, même le plus grand liquidateur de faillites qui soit, ne voudrait mettre le moindre penny dans du papier aussi perclus d'incertitudes juridiques.

Or, alors que la chute de l'immobilier était un sale coup pour les détenteurs de CDOs, mais peu exploitable juridiquement -ils ont joué, ils ont perdu-, il apparaît évident que la légèreté avec lesquelles les banques ont géré l'enregistrement du collatéral des MBS ouvre la porte à des "class actions" massives de la part d'épargnants floués.

 

 

Ah, mon écran radar me signale que ça y est: une première class action est lancée dans le Kentucky contre le MERS, GMAC, Deutsche Bank, LPS, DOCX, Citi, et quelques autres moins connus. Cela démarre fort.

 

 

Qui détient encore des CDO émises par des MBS ? Combien de milliards dans la balance ? Wait and see. Les prochains jours promettent d'être animés !

 

 

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Articles précédents sur Objectif Eco : Foreclosure-Gate 1, F-Gate 2;

 

 

Sur Objectif Liberté, MERS (1), MERS (2)

 

 

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