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Vincent Benard

Vincent Benard

Vincent Bénard est analyste à l'Institut Turgot (Paris) et, depuis mars 2008, directeur de l'Institut Hayek (Bruxelles). C'est un spécialiste du logement et  de la crise financière de 2007-2008 (subprimes). Grand défenseur du libéralisme économique, Vincent décortique tous les errements des Etats providence !

Banques US : vers un gigantesque "Foreclosure-Gate" ?

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Les derniers développements juridiques de la crise financière atteignent les sommets de la quatrième dimensions de l'incompétence, la négligence, la bêtise, et maintenant, de la fraude la plus inimaginable. Entre rire et consternation, je vais tenter de vous narrer les aventures de Dupond et Dupont au pays des milliards.

Des gros couacs dans les procédures de saisie-liquidation ?

Nous ne parlons pas là de petites combines entre un courtier en prêts véreux d'Orange County et un chef d'agence de Countrywide, quand bien même les petites histoires croquignolettes de courtiers ayant "dealé" avec des banquiers pour amener des dossiers de crédit foireux, partager une commission, revendre dare dare le prêt à Fannie Mae (ou Freddie Mac, les pigeons volent toujours par deux) et fermer boutique quand la pyramide explose, commencent à fleurir aussi sur le Net.

Non, je vous parle d'ennuis judiciaires pouvant affecter les plus grandes banques d'Amérique du Nord, pouvant aller jusqu'à rendre impossible le recouvrement d'une importante proportion des prêts en défaut de paiement ! En quelque sorte, un "bailout" judiciaire massif des propriétaires endettés en difficulté.

Pour comprendre de quoi il s'agit, petit retour en arrière sur le système MERS, dont j'ai déjà parlé en détail par ailleurs.


Le MERS, un système de suivi de la propriété déficient

Dans tout pays occidental développé, existe de longue date un système d'enregistrement fiable de la propriété et des servitudes affectant cette propriété, comme par exemple les hypothèques. L'existence d'un tel système d'enregistrement fiable et pérenne est une condition sine qua non du décollage économique d'une nation, comme l'a brillamment montré l'économiste péruvien Hernando de Soto. En France, cet enregistrement est effectué par un service du ministère des finances, les hypothèques.

Aux USA, ce sont, traditionnellement, les "County Clerks", en quelque sorte des "notaires cantonnaux", qui assuraient cette tâche apparemment peu spectaculaire mais au combien importante. Mais aux USA, le recours à ces county clerks n'est pas formellement obligatoire pour toutes les opérations, notamment celles liées au crédit, à condition que le système d'enregistrement alternatif des créances attachées à une maison présente les mêmes conditions de sécurité des enregistrements que celui des "clerks".

Lorsque l'industrie du subprime et de la titrisation a commencé à se développer, induisant des ventes et reventes massives de créances entre courtiers, banques, Fannie-Freddie, fonds hypothécaires de titrisation (les fameux MBS), etc..., les financiers ont rapidement trouvé que la procédure des "clerks" était chronophage et coûteuse: ils ont donc créé un système alternatif d'enregistrement, le MERS, informatisé à l'extrême, censé garder une trace fiable de toutes les cessions et transferts de propriété des hypothèques rattachées à une maison.

Seul problème: un nombre croissant de tribunaux considèrent que les procédures du MERS sont insuffisamment fiables et respectueuses de la lettre comme de l'esprit de la loi, et que de ce fait, ils ne peuvent accepter les "preuves" de détention de créances hypothécaires présentées par le MERS ou une banque travaillant avec le MERS devant un tribunal: dans ce cas, la procédure de faillite est bloquée jusqu'à ce que le dossier soit intégralement reconstitué, à condition qu'il puisse l'être, la conservation des archives n'ayant semble-t-il pas été le point fort des différents acteurs rattachés au MERS...

J'évoquais dans un article récent la possibilité que certains jugements fassent jurisprudence et constituent de facto un bailout judiciare pour un grand nombre de propriétaires en défaut de paiement.

Et comme le MERS aurait trempé dans plus de 80% des titrisations de crédit immobilier, on imagine sans peine les sueurs froides qu'une telle perspective peut donner aux dirigeants de certaines grandes banques...

Mais si l'affaire en restait là, il n'y aurait rien de nouveau sous le soleil par rapport à mes articles précédents.

De l'incompétence à la fraude

C'est là que tout devient terriblement "amusant", enfin, façon de parler... Attention, ce n'est pas forcément facile à suivre, mais je vais essayer de rester dans les limites du pédagogiquement correct.

En théorie, les propriétaires endettés ont pris leur crédit à un courtier, qui l'a placé auprès d'une banque, laquelle a revendu le crédit à une autre banque ou à Fannie-Freddie, laquelle a placé la créance dans un "MBS", entité juridique à personnalité propre mais sans personnel, qui a regroupé des créances en provenance de multiples banques, et qui a donc délégué à une autre banque le soin de collecter les mensualités. En cas de faillite de l'emprunteur, cette "autre banque" délègue généralement à des firmes d'avocats spécialisés poétiquement surnommées les "foreclosures mills", "moulin à liquidation" en langage autochtone, le soin de monter les dossiers administratifs et de les défendre devant la cour.


Seul problème, faute d'enregistrement correct des créances hypothécaires, cette autre banque ne peut parfois pas amener de preuve recevable qu'elle est légitime à vendre la maison dont le débiteur s'est mis en défaut. Bref, reconstituer la chaîne de propriété d'une maison en liquidation n'est parfois sinon plus possible, du moins pas facile.


Pour ne rien arranger, certaines parties prenantes de la chaine de transfert de propriété ont fait faillite, ou ont été rachetées, dépecées, fusionnées...

Vendre une maison... Dont on est incapable de prouver qu'on est propriétaire !

Qu'importe: certaines banques semblent s'être décidées à aller défendre devant les juges leur reprise de possession de maisons en défaut... "au flan", avec la complicité des foreclosures mills, dont la charge de travail est devenue telle que les procédures internes de vérification de la validité des titres de propriété sont devenues au mieux laxistes, au pire frauduleuses: documents antidatés, etc...

Le New York Times et sa reporter vedette (Pulitzer et tutti quanti) Gretchen Morgenson, qui avait déjà déterré le scandale MERS, dévoile le pot-au-roses au grand public en enquêtant en Floride, mais la fraude existerait dans bien d'autres états. En Floride, donc, la Fraude serait endémique, trois firmes spécialisées qui gèrent 80% des faillites de cet état, celui avec le plus fort taux de prêts délinquants, étant sous investigation du procureur général de l'état. L'enquête semble avoir été déclenchée le jour où, pour la même faillite, deux banques se sont présentées (JP morgan et WaMu) comme co-détentrices d'une hypothèque... Dont l'examen a montré qu'elle appartenait en fait à Fannie Mae. Le cabinet de gestion de faillites avait tout simplement fabriqué des faux antidatés !

Pire encore, en Floride, l'Etat, soucieux de traiter la pile de faillites en retard, a embauché des juges, le plus souvent retraités, pour organiser des tribunaux spéciaux  (!!!), lesquels semblent parfois particulièrement complaisants avec les "preuves" présentées par les banques. L'affaire prend tellement d'ampleur que le parlementaire de Floride Alan Greyson (D), déjà en pointe dans le combat pour la transparence des opérations financières de la FED, s'est ému de la situation et demande au procureur général de Floride un moratoire sur les saisies gérées par les deux grands foreclosures mills jusqu'à ce que le procureur ait fini son enquête. Bref, on n'est plus dans le fait divers de quartier.

Du lourd ?

Les banques concernées par le Scandale ne sont pas de la petite bière: Ally, le géant du crédit anciennement connu sous le nom de GMAC, Wells Fargo, une des quatres premières banques, et bien sûr les inévitables Fannie et Freddie, dont le management semble poursuivre la trajectoire vers le zéro absolu entammée par ses prédécesseurs. Et dans doute bien d'autres.

Ally/GMAC, a décidé de stopper les procédures d'éviction qu'il gère dans 23 états (!!! - source: wapo) pour le compte de nombreuses compagnies de crédit, dont Fannie et Freddie, après que des auditions devant un tribunal aient mis au jour de graves manquement dans le sérieux de leurs procédures de constitution des dossiers.

Wells Fargo, premier prêteur hypothécaire US en 2010, a poussé le vice jusqu'à inclure dans ses contrats type de ventes sur saisie une clause où l'acheteur renonce à toute poursuite contre Wells si les titres de propriétés s'avèrent défectueux. C'est ennuyeux, car cela veut dire que Wells a peur de vendre des maisons... qu'elle ne possède pas, ou dont elle ne détient pas clairement le mandat de vente. Ce qui est évidemment illégal. Pour faire passer la pilule, Wells propose aux acheteurs de prendre en charge les frais de justice... Et comme ça, l'acheteur n'a pas d'avocat à lui, et se laisse rouler dans la farine.

Panique à bord ?

Evidemment, de telles clauses ont mis la puce à l'oreille de magistrats, d'avocats des acheteurs, des personnes forecloses, etc... On ne peut que se demander ce qui peut pousser une banque présumée responsable et respectable, connue dans le monde entier, et qui aurait tout à gagner à préserver une certaine réputation de respectabilité, à agir ainsi. J'ai bien une idée sur la question: Certaines banques ont tellement de maisons potentiellement en forclusion, synonyme de sinistres dramatiques potentiellement en portefeuille, qu'elles  sont passé en mode "panique" pour tenter d'en récupérer au plus vite une fraction de la valeur.

Les conséquences pourraient être totalement dramatiques pour les banques impliquées (source : Denninger):

Les faillites concernées seront au mieux rejugées après reconstitution des dossiers, ce qui prendra beaucoup de temps et fera donc encore perdre beaucoup d'argents aux banques, au pire... Annulées, ce qui signifiera que le débiteur gardera quoi qu'il arrive sa maison sans pouvoir la payer ! Et il pourra tranquillement rééchelonner sa dette sur des dizaines d'années.

Mais ce qui sera encore plus chaud pour les banques émettrices de MBS, c'est que les clients de ces MBS risquent fort de se retourner contre elles et d'exiger de très lourdes réparations pour manoeuvres frauduleuses, puisque les MBS étaient certifiées garanties par des collatéraux immobiliers.

Pire encore, si la justice tend à considérer ces écarts de conduite comme une pratique intentionnelle des sociétés impliquées, et non comme de simples erreurs ou négligences, alors des dommages punitifs stratosphériques dans le cadre de class actions ne sont pas à exclure.

Mais le passé récent a montré que la justice américaine pouvait faire preuve de pas mal de mansuétude vis à vis du secteur bancaire... Et l'attitude de certains juges des tribunaux d'exécution de faillites "à la chaine" laisse ouverte l'hypothèse d'un pétard mouillé. Enfin, GMAC, nationalisée après la faillite de GM, appartient encore à l'état fédéral. Qui a donc sans doute intérêt à ce que l'affaire soit minimisée. Mais aux USA, on arrête pas la justice si facilement. Qui vivra verra.

Il est trop tôt pour évaluer précisément l'ampleur des dégâts, mais de Bloomberg au Wall Street Journal, nombre d'analystes estiment que cela pourrait être énorme. Yves Smith, de Naked Capitalism, examine ici les conséquences possibles de l'affaire GMAC. Dans l'hypothèse plausible ou des juges prendraient ombrage d'histoires de présentation de faux devant un tribunal (le magistrat est susceptible...), l'affaire pourrait avoir des répercussions incommensurables !

Dans tous les cas, les seuls coûts judiciaires induits par la nécessité de re-juger les saisies après avoir minutieusement reconstitué la chaîne de propriété devrait coûter aux banques des milliards supplémentaires.

Conclusions

Il est stupéfiant de voir comment toute l'industrie américaine du crédit accumule les bourdes, négligences, et pis encore, comment elle semble collectionner les fraudes. Une telle aggrégation de canards boiteux ne mérite qu'une chose: que l'on les laisse faire faillite pour de bon. Renflouer de tels boulets avec l'aide des contribuables est non seulement injuste et économiquement inefficace, mais totalement ridicule. Un mécanisme de résolution ordonnée des faillites bancaires est plus que jamais nécessaire.


© septembre 2010 - Vincent Benard & Objectif Eco
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Sources :

Yves Smith sur GMAC
Yves Smith sur Wells Fargo
Mother Jones (left) : a crack in the foreclosure pipeline

GMAC suspend ses évictions dans 23 états (wapo)

Denninger sur les possibles développements du Foreclosure Gate (résumé de l'article de Yves Smith)
Gretchen Morgenson : procédures expéditives en Floride et développements judiciaires

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Lire aussi :

Sur Objectif Liberté, MERS (1), MERS (2)

 

 
 

 

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