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Jacques SAPIR

Jacques SAPIR

Diplômé de l'IEPP en 1976, a soutenu un Doctorat de 3ème cycle sur l'organisation du travail en URSS entre 1920 et 1940 (EHESS, 1980) puis un Doctorat d'État en économie, consacré aux cycles d'investissements dans l'économie soviétique (Paris-X, 1986).
A enseigné la macroéconomie et l’économie financière à l'Université de Paris-X Nanterre de 1982 à 1990, et à l'ENSAE (1989-1996) avant d’entrer à l’ École des Hautes Études en Sciences Sociales en 1990. Il y est Directeur d’Études depuis 1996 et dirige le Centre d'Études des Modes d'Industrialisation (CEMI-EHESS). Il a aussi enseigné en Russie au Haut Collège d'Économie (1993-2000) et à l’Ecole d’Économie de Moscou depuis 2005.

Il dirige le groupe de recherche IRSES à la FMSH, et co-organise avec l'Institut de Prévision de l'Economie Nationale (IPEN-ASR) le séminaire Franco-Russe sur les problèmes financiers et monétaires du développement de la Russie.

Theresa May et le Brexit

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Madame Theresa May a donc annoncé son plan pour mettre en œuvre ce que l’on appelle le « Brexit », soit la séparation entre le Royaume-Uni et l’Union européenne. Elle a choisi, en définitive ce que l’on appelle la solution « dure » ou le « hard Brexit », c’est à dire la rupture avec le marché unique.

« Brexit means Brexit » : un divorce est un divorce

Cette option se comprend si l’on considère ce que le « marché unique » est devenu : tout à la fois un monstre de complexité, avec des réglementations de plus en plus tatillonnes mais aussi un instrument qui empêche les pays de l’Union européenne de défendre leurs propres intérêts. La délégation de pouvoir dont jouissent tant la Commission de Bruxelles que les diverses institutions européennes, dont il faut ici rappeler que aucunes n’est élues, conduisent à imposer des règles au-delà de ce qui peut s’avérer nécessaire pour l’économie d’un pays particulier. Le marché unique est ainsi devenu un rouleau compresseur qui prétend éliminer les différences entre des économies qui, pourtant, s’avèrent différentes. En fait, la marché unique a même entraîné un accroissement de ces divergences entre les économies de l’UE, ce que j’ai appelé, dans différents textes le processus « d’euro-divergence »[1].

Si, encore, ces règles avaient eu pour contrepartie une politique cohérente et volontariste cherchant à préserver l’économie des pays de l’Union européenne confrontés à la concurrence internationale. Mais, il faut bien dire que sur ce point l’UE agit en réalité comme un « ouvre-boite ». La Commission de Bruxelles négocie divers traités de libre-échange non pas du point de vue des Etats membres mais du point de vue idéologique qui est le sien et qui veut que le libre-échange soit la meilleure solution à tous nos problèmes. On en a vu un exemple dans le cas du CETA tout comme dans le cas du TAFTA[2]. Cependant, il n’y a pas que l’idéologie qui guide l’action de la Commission de Bruxelles et des institutions européennes. Il faut en faire le constat et le dire, haut et fort, l’UE est devenue, progressivement, un instrument aux mains de l’Allemagne et au détriment des autres nations. Cela à commencé par l’Euro, qui donnait à l’Allemagne deux avantages essentiels, une protection contre des dépréciations des monnaies de ses principaux concurrents européens, mais aussi qui assurait que la monnaie dans laquelle l’Allemagne commerce serait dépréciée par rapport à ce que devrait être son niveau logique. Ces deux avantages expliquent très largement l’immense excédent commercial dont l’Allemagne bénéficie. Mais, cette position favorable puis dominante de l’Allemagne se manifeste aussi dans les négociations extérieures de l’UE ou, clairement, ce sont les intérêts allemands qui sont les premiers servis.

Il convient donc de rappeler que cette domination de l’Allemagne et le type de fédéralisme furtif – et en réalité au service de l’Allemagne – qu’elle implique, furent des arguments importants qui ont pesé dans le Brexit. On comprend mieux les deux points parmi les plus importants dans le discours prononcé jeudi 17 juillet par Theresa May : la volonté de mettre fin à la prééminence du droit communautaire, instrument justement de ce fédéralisme furtifs, et la volonté de reprendre le contrôle des frontières.

Theresa May, Donald Trump et l’effacement de la France

La position de Theresa May ne peut qu’être confortée par les récentes déclarations du Président nouvellement élu des Etats-Unis, M. Donald Trump. Dans l’interview qu’il a accordé au Times of London tout comme au Bild, il a clairement indiqué son pessimisme quant à l’avenir de l’Union européenne[3]. Il est d’ailleurs significatif qu’aucun journal français n’ait été associé à cette interview. Donald Trump s’est exprimé en direction d’un lectorat britannique et allemand, parce qu’en réalité ce sont aujourd’hui les deux seuls qui comptent. Il faut le constater pour le regretter, mais la France ne pèse plus, si ce n’est à la marge, dans les affaires européennes.

L’Union européenne, qui a été vendue à l’opinion publique française comme un moyen de démultiplier l’audience et le pouvoir de la France s’est transformée, dans sa réalité, en une machine visant à dissoudre l’influence française, stade préparatoire à la dissolution de la France elle-même. Et on s’aperçoit que depuis le quinquennat de Nicolas Sarkozy et celui de François Hollande, la capacité de la France à faire entendre sa voix dans la politique internationale ne cesse de régresser. Un point important dans ce mouvement a été la signature du traité TSCG, traité encore appelé « Merkozy » car négocié de fait entre Angela Merkel et Nicolas Sarkozy et avalisé dès le début du quinquennat de François Hollande. De ce point de vue la continuité est totale, mais elle est aussi catastrophique. La politique dite « européenne » suivie par les deux présidents et par leurs partis respectifs, les « Républicains » et le parti « socialiste », aboutit dès lors à une impasse totale.

Il faudra donc tirer tout le bilan de cet effacement de la France. La politique mise en œuvre par l’UE n’est plus supportable et n’est plus tolérable du point de vue des principes démocratiques. Il convient donc de bien regarder ce qui est en train de se jouer entre l’Union européenne et Mme Theresa May. Le fait qu’elle ait cité la Grande-Bretagne et la France comme deux puissances nucléaires, assurant ainsi par la dissuasion la paix en Europe (et donc au-delà du simple cadre de l’Union européenne) constitue un encouragement à ce que nous reprenions nos affaires en main.

Le Brexit créé un précédent…

Le processus du Brexit a donc été techniquement lancé par le discours de Mme Theresa May de ce jeudi 17 janvier. Il durera un certain temps, mais il convient d’en préciser maintenant le tempo. Il est clair que Theresa May dispose se deux atouts importants. Le premier est la dépréciation de la Livre Sterling. ON parle beaucoup d’un « effondrement » du taux de change, mais en réalité, si l’on regarde sur les dix dernières années, le taux de change de la Livre n’a fait que revenir à un niveau « normal » par rapport à la compétitivité du pays.

Graphique 1

Taux de change de l’Euro contre la Livre Sterling

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Source : BCE

Cette dépréciation explique d’ailleurs que les prévisions de croissance faites pour 2017 aient été relevées. On est vraiment très loin de la catastrophe annoncée à son de trompes par tous les anti-Brexistes et autres eurolâtres. Le FMI vient d’ailleurs de relever ses prévisions, qu’il avait baissé à l’automne 2015, de 1,1% de croissance à 1,5%[4]. Cela confirme que le Brexit joue bien en faveur du Royaume-Uni.

Theresa May détient cependant un autre atout dans sa manche. Elle peut menacer l’UE de jouer à fond la carte de la Grande-Bretagne comme paradis fiscal. Les deux pays qui seraient ici les plus touchés seraient la République d’Irlande et le Luxembourg, patrie de Jean-Claude Junckers…

On peut donc penser qu’elle arrivera à ses fins et que le divorce entre le Royaume-Uni et l’Union européenne ne s’enlisera pas. Le point important ici est que ce divorce va établir un précédent. Jusqu’à maintenant la possibilité pour un pays de quitter l’UE était purement formelle. Bien sûr, cette possibilité existait théoriquement avec l’article 50 du traité de Lisbonne. Mais, les conditions politiques de sa mise en œuvre restaient très indistinctes. C’est pourquoi le discours de Theresa May est-il d’une telle importance. En matérialisant une stratégie de rupture, et en montrant qu’elle maîtrise cette stratégie, Mme Theresa May montre en réalité la faiblesse et l’impuissance de l’UE. Cette dernière ne s’avère donc pas seulement néfaste et dangereuse pour les pays membres, à l’exception de l’Allemagne ; elle s’avère incapable d’empêcher qu’on la quitte, et surtout qu’on la quitte pour son plus grand profit. Faire la démonstration du « coût » de cette rupture était l’un des grands enjeux pour l’UE. En échouant à faire monter les enchères et à dissuader un des grands pays qui la composaient de la quitter, l’UE signe son plus retentissant, et pus définitif échec.

[1] Sapir J., « The social roots of the financial crisis : implications for Europe » in C. Degryze, (ed), Social Developments in the European Union : 2008, ETUI, Bruxelles, 2009 ; Idem, « Is the Eurozone doomed to fail », pp. 23-27, in Making Sense of Europe’s Turmoil, CSE, Bruxelles, 2012.

[2] Sapir J., « Le vrai sens du terme. Le libre-échange ou la mise en concurrence entre les Nations » in, D. Colle (edit.), D’un protectionnisme l’autre – La fin de la mondialisation ?, Coll. Major, Presses Universitaires de France, Paris, Septembre 2009.

[3] http://www.thetimes.co.uk/article/brexit-will-be-a-great-thing-you-were-so-smart-to-get-out-09gp9z357

[4] https://www.bloomberg.com/news/articles/2017-01-16/imf-raises-u-k-growth-forecast-for-2017-reversing-previous-cut
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