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Jacques SAPIR

Jacques SAPIR

Diplômé de l'IEPP en 1976, a soutenu un Doctorat de 3ème cycle sur l'organisation du travail en URSS entre 1920 et 1940 (EHESS, 1980) puis un Doctorat d'État en économie, consacré aux cycles d'investissements dans l'économie soviétique (Paris-X, 1986).
A enseigné la macroéconomie et l’économie financière à l'Université de Paris-X Nanterre de 1982 à 1990, et à l'ENSAE (1989-1996) avant d’entrer à l’ École des Hautes Études en Sciences Sociales en 1990. Il y est Directeur d’Études depuis 1996 et dirige le Centre d'Études des Modes d'Industrialisation (CEMI-EHESS). Il a aussi enseigné en Russie au Haut Collège d'Économie (1993-2000) et à l’Ecole d’Économie de Moscou depuis 2005.

Il dirige le groupe de recherche IRSES à la FMSH, et co-organise avec l'Institut de Prévision de l'Economie Nationale (IPEN-ASR) le séminaire Franco-Russe sur les problèmes financiers et monétaires du développement de la Russie.

Dépréciation, Inflation et politique monétaire en Russie

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La dépréciation du rouble, depuis le début de 2014, a provoqué une poussée d’inflation. Mais, celle-ci s’avère avoir été moins forte qu’escomptée. Cela soulève le problème de la politique de la Banque Centrale de Russie, qui semble aujourd’hui indûment restrictive et qui contribue de fait à prolonger les difficultés de l’économie russe.

Estimation de l’impact inflationniste de la dépréciation du rouble

Quand un pays connaît une forte dépréciation de sa monnaie, le risque d’une poussée inflationniste surgit. Ce risque est plus ou moins important en fonction de :

  1. L’importance des biens importés dans la consommation nationale.
  2. L’impact de certains biens dans la production (énergie et matières premières).
  3. La capacité des salaires à résister aux poussées inflationnistes (état du marché du travail).
Dans le cas du rouble, la dépréciation moyenne atteint 56% par rapport au taux de change de fin 2013.

Graphique 1

 img class="aligncenter size-large wp-image-4849" src="https://f.hypotheses.org/wp-content/blogs.dir/981/files/2016/04/A-01-Gr1-Infla-500x347.jpg" alt="A - 01 Gr1 Infla" width="500" height="347" srcset="https://f.hypotheses.org/wp-content/blogs.dir/981/files/2016/04/A-01-Gr1-Infla-300x208.jpg 300w, https://f.hypotheses.org/wp-content/blogs.dir/981/files/2016/04/A-01-Gr1-Infla-500x347.jpg 500w, https://f.hypotheses.org/wp-content/blogs.dir/981/files/2016/04/A-01-Gr1-Infla.jpg 767w" sizes="(max-width: 500px) 100vw, 500px" style="margin: 18px auto; padding: 0px; font-style: inherit; font-variant: inherit; font-weight: inherit; font-stretch: inherit; font-size: inherit; line-height: inherit; font-family: inherit; vertical-align: baseline; max-width: 100%; height: auto; transition: opacity 0.2s ease; display: block; clear: both;">

Source; Banque Centrale de Russie 

Graphique 2

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Dans la même période, on assiste (sur 26 mois) à une hausse cumulée de 27% de l’inflation (prix à la consommation). Mais, une partie de l’inflation n’est pas liée à cette dépréciation. On sait que l’inflation peut avoir plusieurs causes :

  1. Une pénurie de main d’œuvre poussant les salaires tant nominaux que réels à la hausse.
  2. Des problèmes de financement des entreprises (insuffisance des crédits bancaires) qui poussent ces entreprises à augmenter leur prix pour financer par elles-mêmes les investissements.
  3. La politique monétaire.
  4. L’inflation dite « importée » quand les prix des importations augmentent par rapport aux prix internes.
Les facteurs (i) et (ii) sont connus comme des causes possibles de l’inflation en Russie, alors que la politique monétaire (iii) est relativement restrictive. Il faut donc, sur la période allant de janvier 2014 à février 2016 distinguer une inflation « normale » de l’inflation directement et indirectement induite par la dépréciation du Rouble. Le problème est de savoir quel est ce niveau « normal ». La Banque Centrale de Russie affiche un « objectif d’inflation » de 4% par an. Il peut être compris comme une estimation de ce niveau « normal ». Mais, les experts de la BCR ont tendance à minimiser le facteur (ii), c’est à dire l’impact de l’investissement sur les prix. On avancera alors une hypothèse d’un taux « normal » d’inflation de 6% l’an, correspondant à ce que l’on a appelé dans des travaux antérieurs le taux « structurel » d’inflation en Russie[1]. On présente ici à la fois le taux d’inflation (indice des prix à la consommation), l’hypothèse H1 (correspondant au taux de 4% qui est l’objectif de la BCR) et l’hypothèse H2 (qui correspond au taux de 6% défini dans des travaux ultérieurs).

Graphique 3

Evolution de l’indice des prix à la consommation et hypothèses quant à l’inflation sans la dimension structurelle

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Si on rapporte ces taux au mouvement de dépréciation du Rouble, on constate une inertie importante des prix internes, sauf dans le cas de la crise spéculative de novembre 2014 à février 2015. Les prix, hors inflation « structurelle » semble en fait assez peu sensibles à la dépréciation du Rouble. Par ailleurs, la désorganisation du système bancaire russe depuis la fin de 2014 laisse à penser que le phénomène d’inflation induit par le financement de l’investissement a certainement été important en Russie à partir de l’été 2014. La courbe de l’hypothèse H2 apparaît bien plus réaliste que celle de l’hypothèse H1.

Graphique 4

Dépréciation du rouble et impact inflationniste

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On calcule alors un liseur quant à la dépréciation, afin de tenir compte du fait que tous les produits importés ne réagissent pas instantanément à la dépréciation du Rouble et on rapporte ce lisseur (courbe dite « ajustée ») à l’inflation « hors inflation structurelle » que nous avons appelée l’hypothèse H2. On constate alors que si le Rouble s’est déprécié de 56% depuis janvier 2014, l’impact sur les prix n’a été que d’environ 12%, soit un rapport entre ces deux mouvements qui n’est que de 22%.

Graphique 5

Dépréciation du rouble avec « lisseur » et inflation induite par cette dépréciation

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La politique monétaire de la Banque Centrale de Russie

Ceci éclaire sous un jour particulier la politique monétaire de la BCR. Cette dernière fait de la lutte contre l’inflation son objectif principal, voire unique. Mais, l’impact de la politique monétaire sur l’inflation est modéré. Si la BCR a probablement eu raison de chercher à limiter la hausse à l’hiver 2014-2015, il n’en va plus de même aujourd’hui. Le taux d’intérêt, fixé à 11%, apparaît ainsi comme largement abusif, et de nature à accroître en réalité ce que l’on a appelé « l’inflation structurelle », en privant les entreprises d’un accès au marché bancaire.

Ce qui est clair et se traduit par la forte diminution de l’investissement depuis deux ans.

Tableau 1

Données économiques (en glissement annuel)

  2014 2015 12/2015 1/2016 2/2016
PIB 0,7% -3,7% -3,5% -2,5%  
Commerce de détail 2,7% -10,0% -15,3% -7,3% -5,9%
Salaires réels 1,2% -9,3% -8,4% -3,6% -2,6%
Production industrielle 1,7% -3,4% -4,5% -2,7% 1,0%
Investissement
-1,5%
 
-8,4%
 
-8,1%    
On constate que la production industrielle présente de meilleurs chiffres que ceux du PIB, et que, surtout, elle se distingue des chiffres de la consommation de détail. Ceci indique qu’une certaine forme de substitution aux importations est en train d’avoir lieu. Mais, il est clair que le processus est bien plus faible que ce que les entreprises russes espéraient. Mais, le recours à des enquêtes d’entreprises montrent que les taux d’intérêts réels sont effectivement trop lourds pour de nombreuses entreprises. Cela les conduit à chercher à de financer sur le volume des ventes, et explique le maintien d’un taux d’inflation relativement élevé. Les entreprises augmentent leurs marges (via les prix) pour ne pas avoir recours aux banques. Elles réduisent l’investissement comme variable d’ajustement. Cela se traduit par la chute très brutale de l’investissement. Elle peut, en partie, expliquer la faiblesse relative actuelle du processus de substitution aux importations.

La Banque Centrale de Russie, de par sa politique monétaire, est aujourd’hui probablement le frein principal à la reprise de l’activité et de la modernisation industrielle en Russie.

On peut ainsi mesurer que l’inflation induite par le « choc » de dépréciation a été très réduite en Russie, mais on peut en déduire l’effet délétère de la politique monétaire telle qu’elle est menée par la Banque Centrale de Russie. Une baisse du taux d’intérêt, qui est fixé depuis le 3 août 2015 à 11%, à 7% s’impose dans les plus brefs délais.

[1] Sapir J., « Kakim dolzhen byt’ uroven’ infljacii? (O znatchenii davnykh diskuccij dlja opredelenija segodnjachej strategii razvitija Rossii) » [Quel niveau pour l’inflation] in Problemy Prognozirovanija, n°3/2006, pp. 11-22.

Idem : « What Should the Inflation Rate Be ? (on the importance of a long-standing discussion for defining today’s development strategy for Russia) » inStudies on Russian Economic Development, Vol. 17, n°3 / May 2006.

Idem, « What Should Russian Monetary Policy Be » in Post-Soviet Affairs, Vol. 26, n° 4, Octobre-Décembre 2010, pp ; 342-372.

Idem, « Inflation monétaire ou inflation structurelle ? Un modèle hétérodoxe bi-sectoriel », FMSH WP-2012-14, juin 2012, Working Papers Series,http://www.msh-paris.fr   
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