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Guy Wagner

Guy Wagner

Je suis chief economist à la Banque de Luxembourg.

Dans mon blog, je commente les derniers développements sur les marchés financiers ainsi que mes évaluations sur leur future évolution.
Ces pages s’adressent aux investisseurs dans des fonds et actions avec un certain intérêt pour les marchés boursiers.


Mon parcours

Licencié en Sciences Economiques de l'Université Libre de Bruxelles, je rejoins la Banque de Luxembourg en 1986, où je fus successivement responsable des départements analyse financière et Asset Management. Depuis 2005, je suis administrateur-directeur de BLI - Banque de Luxembourg Investments.

Emprunts d'Etat : Quo vadis ?

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« Investors have switched from “I don’t care about volatility, I want income” to “I don’t care about income, I don‘t want volatility”. » (Jeff Gundlach, fondateur de Doubleline Capital)

Correction des emprunts d’Etat

Depuis quelques temps, BLI recommande aux investisseurs d’éviter les emprunts d’Etat de grande qualité, car leurs rendements ne compensent plus la dépréciation monétaire. Au cours des dernières semaines, le rendement des bons du Trésor américain a sensiblement augmenté. Le rendement de l’emprunt d’Etat américain à 10 ans est passé de 1,6% début mai à 2,9% actuellement, ce qui correspond à une baisse de cours de près de 10%. Suivant la même tendance (mais dans une moindre mesure), le rendement du Bund allemand à 10 ans a grimpé de 1,2% à près de 2%, ce qui correspond à une correction des cours de 4,5%.

Evolution du cours de l'emprunt d’Etat américain 1,75% à échéance 15/5/2023 depuis début mai
kursverlauf 
Source : Bloomberg

Quelle est l’origine de ce mouvement de correction ?

La principale cause de ces développements sur les marchés obligataires est une déclaration du président de la Réserve fédérale américaine, Ben Bernanke, devant le Sénat. A la fin de son discours, celui-ci a averti les marchés d’une éventuelle réduction du programme de rachats de titres de la Fed, actuellement de 80 milliards de dollars par mois. Un tel changement provoquerait une baisse de la demande d’emprunts d’Etat américains et donc une chute de leurs cours. Les investisseurs ont anticipé ce scénario et réduit leurs positions.

Selon moi, une politique monétaire plus restrictive de la part de la première puissance économique conduirait l’économie mondiale à une récession, en plombant la consommation des ménages américains, qui est essentiellement alimentée par des refinancements à bas coût de crédits immobiliers. De plus, l’inflation n’est à l'heure actuelle pas un problème. Un changement de politique monétaire n'est dès lors pas nécessaire et impliquerait des dangers pour l'économie mondiale. C’est pourquoi j’estime que le commentaire de Ben Bernanke visait avant tout à tester la réaction des marchés, dans le cas où la banque centrale américaine procéderait effectivement à un changement de politique monétaire.

Si les choses en restent là, le marché devrait revenir tôt ou tard à son niveau d’avant le discours en question. La correction actuelle offrirait alors une opportunité d'achat.
Les emprunts d’Etat américains constituent en outre une forme d’assurance contre la menace d’une crise potentielle.

Risques actuels

Les tensions géopolitiques en Syrie et en Egypte ont refait surface depuis mai, tandis que sur les marchés financiers, d’importants pays émergents comme le Brésil, l’Inde, l’Indonésie, la Corée ou la Thaïlande subissent une crise monétaire. En Europe également, on s’attend à ce que des discussions sur l’euro refassent surface après les élections au Bundestag le 22 septembre. Pourtant, les cours des emprunts d’Etat américains ont baissé davantage.

Comment cela a-t-il pu se produire ? La situation a-t-elle changé au niveau structurel ? Les emprunts d’Etat américains ne constituent-ils plus un investissement sûr en période de crise ? Et quelles sont les implications pour les placements dans des emprunts d’Etat de grande qualité, non seulement en Amérique mais également en Allemagne ?

Les causes de la correction

Tout d'abord, le moment d’une correction était arrivé : les rendements réels négatifs observés avant mai 2013 sur les emprunts indexés sur l'inflation étaient et restent difficilement justifiables sur le plan économique.Rendement de l’emprunt d’Etat américain à 10 ans indexé sur l’inflation en termes réels
realrendite 
Source : Bloomberg

Cependant, avec la correction, le sentiment à l'égard des emprunts d’Etat, en particulier ceux des pays hautement solvables, a sensiblement changé : bien qu’il se soit rarement passé de mois où ces titres n’ont pas enregistré de pertes ces derniers temps, ils continuaient à être considérés comme quasiment sans risque. Ceci appartient désormais au passé et ce n'est pas une mauvaise chose, car aujourd'hui les taux ne sont plus complètement déconnectés de la réalité économique. Les 2,9% p.a. de l'obligation d'Etat américaine à 10 ans sont dans la zone de ce que certains analystes (certes pessimistes) estiment être la croissance nominale des Etats-Unis (et donc le niveau de taux normal pour les emprunts d'Etat) pour les années à venir, et le rendement réel d'environ 0,75% p.a. de l'obligation d'Etat à 10 ans indexée sur l'inflation se situe à un niveau raisonnable.

Mais le changement de perception a conduit à un mouvement massif des investisseurs : selon un rapport de Bloomberg, les fonds obligataires ont enregistré des entrées de 1.200 milliards de dollars sur la période de 2009 à 2012. Associé aux investissements directs (non quantifiables) des investisseurs institutionnels et privés, ce mouvement massif a ramené les taux des emprunts de toute sorte à des plus bas historiques et ainsi conduit les fonds à réaliser de bonnes performances.

Après la correction de mai, les fonds d’emprunts d’Etat étaient dans le rouge depuis le début de l'année et les investisseurs comprenaient manifestement pour la première fois depuis longtemps que le cours des emprunts pouvait aussi chuter brutalement. C'est ce qui a conduit, selon Bloomberg, à des sorties de capitaux des fonds obligataires américains à hauteur de 69,1 milliards de dollars en juillet et de 30,3 milliards de dollars au cours de la période du 1er au 20 août. Les investisseurs ont vendu des obligations, ce qui explique la chute des cours.

Aspects fondamentaux

Ces évolutions n’ont pas grand-chose à voir avec les données macroéconomiques fondamentales, ni avec une véritable remise en question de la sécurité des emprunts d’Etat. Il est vrai que l’économie mondiale ne se trouve plus dans une situation aussi difficile qu’il y a un an et que la zone euro n’est officiellement plus en récession. Mais peut-on vraiment se féliciter d’un taux de croissance de 0,3% dans la zone euro au deuxième trimestre en glissement annuel ? Une baisse officielle du taux de chômage aux Etats-Unis sous la barre des 7% a-t-elle du sens alors que le taux de participation baisse en parallèle ? Dans quel pays industrialisé (y compris le Japon !) l’inflation pose-t-elle réellement problème ? Comme indiqué plus haut, d’un point de vue fondamental, les emprunts d’Etat américains sont déjà revenus à un niveau intéressant, du moins pour les analystes pessimistes quant à la croissance.

Valeurs refuges

Une question se pose plus que jamais : quels placements pourraient se substituer au dollar, à l’or, aux bons du Trésor américain ou aux Bunds, lorsque tôt ou tard une crise surviendra ? Ce qui est certain, c'est que la crise financière nous a appris qu’il n’existe plus de placement sans risque. Même les emprunts d'Etat comportent des risques. Mais où placer son argent en cas de krach boursier ou de toute autre crise ?

Le risque est une mesure relative et puisque toutes les autres options sont plus risquées, je ne vois comme solution que a) l'or, la plus ancienne valeur refuge qui soit, b) le dollar (les Etats-Unis sont la première puissance économique et militaire), c) les emprunts d'Etat américains (pour la même raison) ainsi que d) les emprunts d'Etat allemands (l'Allemagne est - du moins pour le moment - le garant de la stabilité en Europe).

Par définition, personne ne sait quand et où surviendra une crise. Il est fort possible que d’ici là, les marchés continuent de suivre la tendance actuelle de hausse des rendements, mais selon moi, les emprunts d’Etat américains sont correctement valorisés compte tenu de la conjoncture mondiale et des risques de crise.

La situation des emprunts d'Etat allemands

Concernant les emprunts d'Etat allemands, la situation n'est pas aussi tranchée que pour les titres américains.

Les Bunds n’ont pas vu leur prix diminuer (et donc leur attrait augmenter) dans la même mesure que les bons du Trésor américain. Cela tient principalement au fait que la Banque centrale européenne a indiqué clairement qu'elle ne projetait pas de modifier sa politique monétaire dans un avenir proche. Du point de vue européen, cette position est sensée : la zone euro est sortie avec difficulté de la récession au deuxième trimestre 2013 et la situation des banques européennes n'est pas encore suffisamment solide pour que la BCE revienne à une politique monétaire normale.

La correction des emprunts d'Etat allemands semble n'être qu'une conséquence atténuée de la correction des emprunts d'Etat américains. Peut-on en conclure que les emprunts d'Etat allemands - dans une moindre mesure que les titres américains - constituent également un investissement intéressant ?

Sur la base des fondamentaux, la réponse serait plutôt « non ». Même les observateurs les plus pessimistes tablent sur une croissance nominale (soit l'inflation + la croissance réelle) de plus de 2% dans les années à venir au sein de la zone euro. C'est davantage que le rendement actuel de l'emprunt d'Etat à 10 ans. Cependant, la situation est telle en Europe qu'un investisseur doit pousser son analyse plus loin.


Le cas spécifique de la zone euro : risques de défaut

Jusqu'ici, nous avons considéré les emprunts d'Etat allemands comme le pendant européen des emprunts d'Etat américains. Ce n'est que partiellement exact. Etant donné que dans la zone euro, contrairement aux Etats-Unis, la souveraineté sur la planche à billets ne revient plus à un pays unique mais à la Banque centrale européenne, un pays peut se retrouver dans l’impossibilité de rembourser ses dettes, comme c'est le cas de la Grèce. Un investisseur doit donc être compensé pour le risque de défaut de chaque pays. De même, un investisseur dans un emprunt d'Etat libellé en euros doit prendre en compte le risque d'un éclatement de l'euro. Ces deux facteurs expliquent les nets écarts de rendements des différents Etats. On ne peut donc pas parler d'emprunts d'Etat « européens ». Il faut différencier chaque pays.

Puisque parmi les principales puissances économiques de la zone euro, l'Allemagne est le pays le moins endetté et celui qui publie les données les plus favorables actuellement, il est plausible que les emprunts d'Etat allemands n'offrent pas de prime de risque (cela pourrait changer à l'avenir). Un tel statut conduit même plutôt à une décote de rendement, car ces emprunts sont pratiquement les seuls dans leur situation. Ainsi, l'offre est réduite. En outre, les intermédiaires financiers exigent des garanties (les collatéraux) pour un nombre croissant de transactions et les acteurs du marché demandent naturellement la meilleure qualité. Par conséquent, cette qualité se paie encore plus cher. En d'autres termes, on observe une décote de rendement.


Le cas spécifique de la zone euro : éclatement de l'euro

Concernant un éventuel éclatement de l'euro en plusieurs nouvelles devises régionales ou nationales, la situation est très complexe. Pour estimer ce risque, il faut au moins pouvoir évaluer la probabilité dudit éclatement, le moment auquel il surviendra ainsi que ses conséquences financières. Mais comme tous ces paramètres sont déterminés par la politique, il est pratiquement impossible de leur attribuer une valeur économique. Il est néanmoins évident qu'après une éventuelle réforme monétaire, les nouvelles devises des pays dits du Nord auraient une valeur nettement supérieure à celle des devises des pays dits du Sud. Cela devrait faire baisser encore davantage les rendements des emprunts d’Etat allemands.

La prime de risque tombe

Lorsque l’évaluation de ce risque au premier semestre 2012 était livrée au bon vouloir du marché, le rendement des emprunts d'Etat allemands à 2 ans a chuté en dessous de 0%. A l’inverse, le rendement des emprunts d’Etat espagnols à 2 ans a grimpé (temporairement) à plus de 7%. Comme ce niveau de financement aurait rapidement été intenable pour l'Espagne et qu'il aurait conduit à un éclatement de l'euro, les responsables européens et la BCE sont intervenus par le biais de différentes annonces et mesures. Depuis, la prime de risque n’a cessé de chuter. L'évolution de la différence de rendement entre l'emprunt d'Etat allemand à 10 ans et l'emprunt d'Etat espagnol à 10 ans depuis le discours de Mario Draghi le 22 juillet 2012 constitue un exemple frappant.

Spread entre l’emprunt d'Etat espagnol à 10 ans et l’emprunt d'Etat allemand à 10 ans
spreadspain 
Source : Bloomberg

Et il est de moins en moins souvent question d'une fin de la monnaie unique dans les débats publics.

L’écart se creuse

D'un autre coté, l'écart économique se creuse. Le chômage augmente en France, en Espagne, en Italie et en Grèce, tandis qu’il baisse en Allemagne. La production industrielle allemande ne cesse de croître, tandis que celle de la France, de l’Espagne, de l’Italie et d'autres pays stagne ou se contracte. Cette année, l'Allemagne devrait présenter un budget équilibré. Tous les pays du Sud, y compris la France, échoueront une fois encore à satisfaire au critère de Maastricht d'un déficit maximum de 3%. L'Allemagne reste le pays le plus compétitif de la zone euro, selon l'indice harmonisé de compétitivité de la BCE. Même lorsque l'excédent commercial baisse, ses exportations dans les pays de la zone euro restent supérieures à ses importations.

La question qui se pose est la suivante : comment va évoluer la prime de risque ? Et les rendements des emprunts d’Etat allemands baisseront-ils en conséquence ? Le risque politique d'un éclatement de l'euro n'existe quasiment plus et ne peut donc qu'augmenter. Les tensions sociales et les différences économiques s'intensifient, ce qui fait que le risque et donc la prime de risque ne peuvent que croître. Par le passé, la hausse de la prime de risque correspondait tout autant à une hausse des rendements des emprunts des pays du Sud qu'à une baisse des rendements des emprunts allemands. Je ne vois aucune raison pour que cela ne se reproduise pas si les problèmes de la zone euro refont surface.

Pour résumer, je suis donc d'avis qu'un investissement dans les emprunts d'Etat allemands reste modérément attrayant. En raison de la complexité de la zone euro, cela n’apparaît toutefois pas clairement. Et comme les rendements sont nettement plus faibles qu’aux Etats-Unis, ce placement n’est pas aussi attrayant que les bons du Trésor américain.

 

Dieter Hein

Gérant de fonds

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